Les enseignants, des irréprochables ? Par Mathiam Thiam Inspecteur Général de l’Education Nationale

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Dans l’espace négro africain, le savoir est sacré et ceux qui sont chargés de le transmettre sont sacralisés et portés sur un piédestal d’irréprochabilité du fait de l’élévation intellectuelle et morale que leur sacerdoce requiert. Dès lors, pourquoi le fait de rappeler aux enseignants les responsabilités qu’induit leur charge pourrait être perçu comme un péché de lèse magister ou une atteinte à leur dignité académique? C’est du moins ce que semble suggérer la réaction imbue de morgue et ponctuée de digressions aussi malheureuses que discourtoises, d’un universitaire de l’UGB au discours pourtant très bien salué de Monsieur le Premier Ministre Abdoul Mbaye, lors du lancement des manifestations du cinquantenaire de la FASTEF, le 26 mai 2012 à l’UCAD.

Cette présomption et non certitude d’irréprochabilité qui nous est accordée, nous les enseignants, est protégée par les franchises universitaires qui créent un sanctuaire où l’intellect peut se recueillir  et réfléchir librement, loin de la force brutale et de l’inquisition des censeurs de l’esprit. Pour autant, elles ne nous affranchissent pas de la censure de la société ou de ses impératifs de survie. Après avoir aménagé cet espace de salubrité et de sérénité intellectuelles, ces franchises  nous obligent bien au contraire à nous recueillir humblement au chevet de la société et écouter ses angoisses et ses frayeurs, surtout lorsqu’elle sent que l’avenir de ce qu’elle a de plus cher, l’avenir de sa jeunesse, est compromis par le spectre hideux d’une année blanche, consécutive à la faillite de l’éthique qui ne cesse de reculer. Cette présomption d’irréprochabilité que nous accorde la société nous accule, nous enseignants, segments éclairés du corps social, à exorciser les démons qui risquent de  discréditer le système éducatif par des revendications certes légitimes, mais portées des fois sans intelligence stratégique.

Etre enseignant, de surcroit universitaire, c’est avoir le courage de briser la chape de plomb de la pensée unique qui étouffe la raison des voix dissidentes dans les réunions syndicales où le conformisme proscrit l’auto critique et devient un dogme, voire une forteresse inexpugnable.

Le recours systématique à la grève comme instrument de lutte ne peut prospérer à travers les siècles, sans adaptation intelligente au contexte historique. Les luttes héroïques des classes ouvrières du 19e siècle qui ont courageusement pris d’assaut le capitalisme sauvage qui, sous les plumes mémorables de Marx et Engels, « a supprimé la dignité de l’individu devenu simple valeur d’échange», ne peuvent s’appliquer à une jeune nation  qui construit laborieusement son développement dans une démocratie balbutiante mais porteuse d’espoir. Mesurer dans ce contexte le mérite ou la valeur de l’enseignant par référence à des concepts de l’économie capitaliste (PIB et autres taux de croissance) fait outrageusement l’économie d’une question autrement plus complexe parce que philosophique. Monsieur le Recteur de l’UCAD a récemment déclaré, lors d’une cérémonie, que les « enseignants produisent plus que des richesses: ils créent de la valeur ». Toute confusion conceptuelle autour de ce paradigme donnerait raison à Oscar Wilde qui disait que « le cynique est celui qui connait le prix de tout et la valeur de rien ». La valeur que l’enseignant crée, c’est la joie mêlée de déférence et de reconnaissance de cet ancien élève devenu médecin qui le reçoit dans son cabinet. C’est l’élan spontané de cet autre élève devenu architecte qui se précipite pour payer votre note de restaurant à votre insu, ou ce parent d’élève qui vous honore devant vos collègues par des remerciements empreints d’émotion! Cette valeur pétrie de générosité et de gratitude transcende toute grille indiciaire et n’a d’égales que mille et une magnifiques toges professorales, frappées de l’hermine veloutée et immaculée, symboles de brillance intellectuelle, d’intégrité morale et de compétence professionnelle!

Cette confusion conceptuelle est aussi symptomatique de l’érosion des valeurs d’un patrimoine patiemment construit ou légué par des militants de l’école, des chevaliers de la craie et de l’éponge, stratèges de luttes glorieuses, défunts ou encore vivants parmi nous, tels que Chérif Tall, Boubacar Kane, Cheikh Faty Faye, Maguette Thiam, Cheikhou Diagne, Falaye Noel Diop, Tidiane Baidy Ly … !  Ce précieux patrimoine de la bonne vieille école risque de s’effondrer devant des stratégies du bord du gouffre dont la radicalité d’un autre âge rappelle l’idéal anarchiste d’un « monde nouveau » naissant des cendres d’un monde pourri, un autre couper-coller conceptuel du 19e siècle emprunté aux damnés du Voreux de Germinal! Nous devons sortir de ces schémas aussi romantiques que surannés pour construire notre monde avec intelligence et réalisme en utilisant les outils d’aujourd’hui.

Le premier Ministre et des millions de Sénégalais, étreints par l’angoisse d’une année blanche ont le droit, voire le devoir de s’émouvoir devant l’aplomb de ceux qui, parmi nous enseignants peuvent, entre débrayages intempestifs et grèves sauvages, déserter les salles de cours pendant des mois  et réclamer leurs salaires! Comment tolérer le spectacle tonitruant de ce professeur cautionnant les appels à l’année blanche lancés par un groupuscule d’élèves, quand la crise commençait à se dénouer ? Ne pas s’en émouvoir c’est reconnaitre et assumer la faillite de l’éthique, la perte de toute capacité d’indignation, c’est dire cyniquement que le jeu en vaut la chandelle. Si c’est ce qui semble être le cas, il faut craindre que la leçon d’une victoire à la Pyrrhus n’ait pas été bien apprise, car dans ce cas d’espèce, les gains de la colère légitime des enseignants seront bien en deçà des peines illégitimes infligées à la nation! J’ose croire qu’aucun universitaire ne souscrira à ces positions, sinon ce serait la faillite de l’intellect, la souillure de la belle hermine!  Pour conclure et dissiper cette confusion entre valeur et prix créée par des fixations indemnitaires ou indiciaires, méditons cette réflexion de Simone de Beauvoir à Fidel Castro pour replacer la valeur-homme à la place qu’elle ne devrait jamais quitter:

«La vie d’un homme vaut plus qu’une récolte de canne à sucre!»

 

PS : Dédié à Falaye Noel Diop

 

Mathiam Thiam

Inspecteur Général de l’Education Nationale

FASTEF, Département d’Anglais

 

 

 

 

5 Commentaires

  1. Merci Monsieur Thiam pour cette contribution o combien pertinente et qui, inutile de le dire, vient a point nomme’. Il etait grand temps que quelqu’un de la profession vint remettre les pendules a l’heure et sonner la fin de la recreation! Merci d’avoir rappele a ceux et celles-la qui l’auraient deja oublie qu’etre enseignant releve du sacerdoce. Je me souviens avoir de mes yeux vu, dans le Fouta, des maitres d’ecole qui n’hesitaient point a mettre leur tableau sur dos d’ane et de suivre les eleves au gre des transhumances des parents de ces derniers. MErci encore une fois.

  2. Merci Monsieur l’Inspecteur
    vous avez dit vrai.Et c’est ça le rôle de l’intellectuel dans une société.Et ce sont ces débats là qu’il nous faut dans les médias pour que le peuple s’en imprègne et comprenne nos enjeux.Mais malheureusement elles nous bombardent à longueur de journée de lutte,de musique que sais-je encore…. des idioties.Seul je dis bien seul le SAVOIR peut nous permettre de sortir de la où nous sommes.
    Merci encore Monsieur l’Inspecteur

  3. Si vous voulez être crédible, diffusez tous les commentaires sur les sujets que vous mettez en ligne. J’ai été le premier à intervenir sur l’article de M. Thiam, mais malheureusement, pour une raison inconnue, je ne trouve pas mon commentaire. Si vous voulez que tout le monde tire dans la même direction, alors vous réduisez le champ de vision des internautes. Acceptez d’entendre des voix complémentaires ou discordantes. Je répètes que ce qu’a dit Mr Thiam n’est pas faux mais que des frustations dues à l’injustice sociale, aux mensonges, au non-respect des engagements pris, ont pour effet de pousser les enseignants à déserter l’enseignement pour d’autres secteurs, ou à adopter des positions jugées extrêmistes. Mais malgré tout cela si l’on ferme les yeux en essayant de les mettre en mal avec la société( pas Mr Thiam mais les gouvernants), on ne facilite pas la résolution des problèmes de l’école sénégalaise. Si aller en grève n’incite pas les autorités à trouver des solutions acceptables, quelles autres méthodes de lutte suggérer aux enseignants pour qu’on les écoute? Comprenez que les revendications ne portent pas uniquement sur les salaires et indemnités, il y a aussi les conditions de travail des enseignants qu’il faut revoir : on un enseignement de qualité alors que certains enseignants doivent gérer des classes de plus de 100 élèves! Alors réfléchissons ensemble pour trouver des solutions mais je pense que beaucoup d’entre elles viendront du gouvernement.

  4. N’en deplaise aux utopistes qui veulent nous confiner dans une posture de saints « …Cette valeur pétrie de générosité et de gratitude transcende toute grille indiciaire et n’a d’égales que mille et une magnifiques toges professorales, frappées de l’hermine veloutée et immaculée, symboles de brillance intellectuelle, d’intégrité morale et de compétence professionnelle!… » nous continuerons à nous battre pour la reconnaissance et l’effectivite de nos droits.

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