Mame Less Camara: « Le M23, quelque part, c’est du désordre qui vient s’ajouter à un désordre préexistant »

Date:

Journaliste et formateur, Mame Lesse Camara pense que les candidats indépendants pourraient bénéficier d’un autre regard de l’électorat en 2012. M. Camara analyse les événements du 23 juin, apprécie les rassemblements du 23 juillet et parle de la majorité et de l’opposition en perspective de la prochaine présidentielle. Non sans partager un point de vue : « Y en a marre est en train de régler, de façon surprenante, le problème de la relève générationnelle ». Dans cette première partie, il porte un regard critique sur le rôle du M23 et dégage et dessine d’intéressantes perspectives après les manifestations du 23 juin. Entretien.

Qu’est qui, à votre avis, se cache derrière la guerre des chiffres entre le M23 et la majorité après les mobilisations du 23 juillet ?

Nous assistons actuellement à l’ouverture d’une période de mise en spectacle des discours, des promesses et des prétentions. Il faut rendre visible tout cela. Malheureusement, le seul moyen connu par les politiciens pour mobiliser, faire un déploiement de force, c’est de convoquer les militants à des meetings, des rassemblements qui vont donner l’illustration, la preuve sur le terrain de qui est le plus fort, qui a la plus grande capacité à rassembler. C’est le jeu auquel les deux camps se sont livrés le 23 juillet. C’était véritablement un duel, décalé seulement de quelques heures pour montrer à la même population, dans la même ville les capacités de mobilisation de chacun des deux camps. Nous sommes donc dans cette période assez singulière. Tout le monde se souvient, d’ailleurs, qu’ils se sont quittés en se promettant de continuer la mobilisation. Du côté du M23, certains recommandent que, désormais, tous les samedis, ce meeting se reproduise. Et quant au président Wade, il a donné consigne à ses partisans de multiplier les meetings jusqu’à l’échéance de 2012.

Le M23 apparaît comme un rassemblement hétéroclite dont les membres ont des intérêts divergents.  Peut-il arriver à un résultat préjudiciable au régime en place ?

Le M23, quelque part, c’est du désordre qui vient s’ajouter à un désordre préexistant. Benno lui-même est très désarticulé entre les fondateurs, c’est à dire ceux qui étaient dans le Front Siggil Senegaal (Fss) par fusion avec d’autres groupes qui ont enregistré l’arrivée de certains leaders comme Macky Sall qui est dans Benno sans en partager, au fond, ni les orientations principales (le régime parlementaire ne lui convient pas, encore moins le court mandat de transition). Donc, déjà, au sein de Benno, il y a des discordances assez marquantes. A cela est venu s’ajouter un nouveau flux constitué par une partie de la société civile qui a allègrement fait le pas et qui a franchi cette sorte de ligne invisible entre la société civile et les partis politiques. Aujourd’hui, ceux qui reprennent en chœur les mots d’ordre du M23, ce sont à la fois des politiques pures mais aussi c’est la Raddho, Amnesty international et d’autres organisations dites de la société civile. Donc, on ne sait pas trop comment positionner les rappeurs dans ce mouvement. Ces derniers ont deux ou trois objectifs qu’ils partagent avec les membres de Bennoo, de la société civile. Au fond leur projet est, comme ils disent, un nouveau type de sénégalais (Nts). On a donc différents types de projets. Celui de Bennoo est de conquérir le pouvoir politique. Les acteurs de la société civile disent se battre pour défendre la Constitution et enfin le projet de jeunes rappeurs qui veulent réformer, à leur façon, la société. Donc, ce sont des projets qui partent un peu dans tous les sens, mais qui ont un dénominateur commun : le président Abdoulaye Wade ne doit plus se représenter pour un troisième mandat.

Vous voulez dire qu’il n’y a pas grand chose qui unit les membres du M23 ?

C’est mon avis.  Si l’on passe au crible ce qu’ils peuvent reprocher au président Wade, en dehors de cette exigence de ne pas se présenter pour un 3mandat, on se rend compte qu’il n’y a pas beaucoup de choses qui les unit. Ils sont beaucoup plus rassemblés contre qu’unis pour. Et c’est peut-être cela la limite de mouvements comme le M23 qui sont des sortes de rassemblements pour contester et pour résister beaucoup plus qu’un projet positif à réaliser.

Ce mouvement a quand même réalisé la prouesse de faire trembler le régime de Wade lors des manifestations du 23 juin…

Je pense que le 23 juin a été à la fois un choc et une surprise pour le pouvoir et l’opposition regroupée au sein de Bennoo Siggil Senegaal. D’ailleurs, le choc a été tel que Bennoo, qui a été si difficile à construire, a quasiment renoncé à son identité en la plongeant dans une identité plus large qui essaie de capter la dynamique et la capacité de mobilisation de la journée du 23 juin. Donc, en fait, tout le monde a été surpris. Jamais, jusqu’ici, l’opposition n’a pu rassembler autant de monde. On se rend compte que ceux qui se sont mobilisés ont eu peut être d’autres objectifs, d’autres motivations que simplement des motivations de militants ou de volonté de répondre à une convocation, un appel de l’opposition. Du côté de la majorité également, je crois que c’est un lapsus quand le Président dit qu’ils ont été surpris. Surpris par l’ampleur de la manifestation, mais jusqu’ici encore incapable de dénouer l’énigme du 23 juin. En fait, que voulaient véritablement dire les manifestants en affrontant la Police, en se mettant quasiment hors la loi par rapport à une instance : l’assemblée nationale ?

Même la manière dont le président a, dans la précipitation, retiré le projet, on s’est rendu compte que personne ne s’y attendait. La majorité pensait que cette énième révision constitutionnelle n’allait avoir aucune conséquence. Le président et ses partisans pensaient que les uns allaient juste s’agiter, puis cela allait être encore le retour à la case départ. Et puis les autres qui étaient venus par acquit de conscience. C’est un acte d’opposant minimal que de manifester son désaccord devant l’Assemblée nationale lorsque le projet de loi qui est en examen est considéré comme une violation flagrante des fondements de la République.

Finalement, pour la première fois depuis 11 ans qu’il est aux affaires, Wade a reculé. Qu’est ce qui a été déterminant dans cette reculade du pouvoir ?

Je crois qu’il est entré en jeu quelque chose qu’on n’ose pas trop appeler « le peuple ». Très, souvent pour les politiques, le peuple est une fiction constitutionnelle (il n’existe que dans la Constitution). On ne rencontre jamais le peuple en chair et en os dans la rue. Alors, ce jour là, le peuple était dans la rue. C’est pourquoi, d’ailleurs, le choc a été partagé pour différentes raisons par les deux camps. Et puis, il y a eu une sorte de thérapie du 23 juin : le 23 Juillet. C’est-à-dire revenir sur les « lieux du crime » pour s’assurer, concernant ce qui deviendra le M23, que nous avions effectivement réalisé un prodige et qu’il fallait le répéter pour y croire.  Pour la majorité, faire en sorte qu’une mobilisation plus grande rassure les militants. C’est que le moral de la majorité a été sapé, après la démonstration de force du 23 juin. Surtout qu’il y a eu la réplique du 27 juin, une réplique qu’on a considérée comme honteuse, dont on a préféré dire qu’elle était le fait de casseurs, de voyous. Très certainement, cette réplique était une première application, maladroite certes, de la leçon du 23 juin. Les jeunes se sont dits, quand on fait pression sur le pouvoir, il est capable de retirer une loi. Donc, si on reprend la même pression, il est capable enfin de fournir l’électricité.

Les deux camps se livrent une bataille psychologique après les rassemblements du 23 juillet. Pourquoi ?

Les veilles d’élection sont des moments de dérèglement des comportements. On s’autorise plus qu’on l’aurait fait en temps normal.  Mais, c’est également un moment de délégitimation de tous les acteurs. Celui qui est arrivé en fin de mandat sait qu’il est en fin d’exercice et qu’il lui faut repasser pour obtenir un nouveau mandat. Et ceux qui attendaient ce moment pour que le pouvoir change de camps également se mettent en branle pour obtenir l’alternance. Donc, c’est une période non pas de non droit, mais de légitimité suspendue. C’est pourquoi, chacun essaie d’arracher cette légitimité. Les uns se disent qu’ils ont fait un grand rassemblement, et, que ceux qui sont venus, sont venus spontanément. Les autres disent jamais un Président n’a été soutenu par une assistance aussi forte. Au fond donc, la légalité n’est pas en cause, mais c’est le problème de la légitimité qui l’est. Qui exerce le pouvoir en toute légitimité ou bien alors qui a la prétention de demander que le pouvoir lui soit affecté. C’est pourquoi, je parle de légitimité suspendue. Tout ce qui passera dans les six mois qui nous séparent du scrutin du 26 février 2012 va consister à compter cette légitimité. Militant par militant, votant par votant, pour faire en sorte que le jour du scrutin une légitimité conquise pendant la campagne recoupe la légalité qui donne droit à  l’exercice du pouvoir.

Le président a enchaîné les rencontres avec ses partisans. Est-ce que cela montre qu’il n’arrive toujours pas à avaler la pilule administrée lors des événements du 23 juin ?

Je ne peux pas dire que le Président a été traumatisé. Mais, je crois qu’il a été fortement surpris de la résistance. C’est la première fois, en 11 ans de pouvoir, qu’une modification de la Constitution a du être retirée à la hâte parce que le processus s’est heurté à une résistance inattendue dont on a constaté l’ampleur sans véritablement saisir le sens. Le président a pensé qu’il fallait tout de suite réagir. Étant un homme de foule, Wade a donné la réponse qu’il connait à une situation dont il ne connait pas encore le sens profond. Il a rencontré les élus de son camp, les instituteurs et les chefs de village. On l’a senti fébrile, soucieux de s’assurer, par une tour de propriétaire, que chacune des composantes de ce qui constitue l’assiette sociale de son pouvoir est bien là et que le monde réel grâce auquel il a gouverné pendant une dizaine d’années est toujours là. C’était important pour lui de parler à ces gens là. Encore une fois, le problème n’était pas un problème de légalité. Sur ce point, Wade ne s’est jamais inquiété. Dès son arrivée au pouvoir, il a construit une légalité pour lui. Sa Constitution était une façon de se mettre dans la posture la plus confortable possible. J’ai toujours été frappé par le fait que Abdoulaye Wade, qui a toujours contesté que Diouf ait la latitude d’être à la fois président de la République et chef de parti (l’article 8 de l’ancienne Constitution le lui interdisait), une fois aux affaires, légalise le fait que le président de la République peut être chef de parti. Donc, il a construit la légalité non pas par rapport à ses convictions mais par nécessité de renforcer sa position.

Vous voulez dire que toutes ces rencontres étaient une manière pour Wade de reconquérir sa légitimé ébranlée avec les événements du 23 juin ?

Absolument ! Pour Wade, il fallait reconquérir la légitimité. Et comme, pour les politiques, la légitimité se mesure à la taille de la foule qui acclame le leader, il s’est dit qu’il faut montrer que son pouvoir n’est pas coupé du peuple et que la légitimité est toujours de son côté. Quoi que cela coute en matière d’investissement. Tout le monde sait que ceux qui se sont retrouvés à la Vnd n’étaient pas tous de Dakar. C’était véritablement le Pds qui s’était convoqué en Congrès extraordinaire ouvert à tous les membres pour dire au président voici la force qui vous soutient, ce n’est pas un pouvoir qui tombe ou qui s’affaiblit. Le Sénégal, le peuple est avec vous. Le message était clair. Des questions concernant « Touche pas à ma Constitution », «  Non à un 3e mandat » n’étaient pas son problème. Il a mis en place la légalité qui va très certainement entériner sa candidature. Il est tranquille de ce côté. Là où il pouvait avoir des inquiétudes, c’était du côté de la foule. Et il a su, par effet de démonstration, montrer une capacité de mobilisation supérieure à celle de ses adversaires. Evidemment, si on regarde la modalité mise en œuvre, on relativise cette mobilisation.

(A suivre)

Entretien réalisé par

Yollande Sarr, Jocelyne Ndiaye et Aziz Kâ

 

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

DEPECHES

DANS LA MEME CATEGORIE
EXCLUSIVITE

[Video] Incendie à Walfadjri TV : Le studio principal prend feu

XALIMANEWS-Le studio principal de Walfadjri a pris feu. Les...

Enquête / Scandale financier à la Chambre de Métiers de Sédhiou : les révélations accablantes de l’Ofnac

XALIMANEWS-Dans son rapport de 2023, l'Office national de lutte...

Saccage de l’ambassade du Sénégal au Canada : la justice canadienne reconnaît la légitimité de « l’acte » des accusés

XALILANEWS-La justice canadienne reconnaît la légitimité de "l’acte" des...