Ousmane Tanor Dieng répond à la lettre de Karim Wade : « Il ne compte pas, c’est le fils du président, c’est tout »

Après avoir pris part à Athènes au XXIII congrès de l’Internationale socialiste, Ousmane Tanor Dieng, secrétaire général du PS, séjourne en France où il a tenu un meeting à Marseille avant de rencontrer la presse à Paris. C’est dans un luxueux hôtel parisien, que le chef de file des socialistes sénégalais a répondu aux questions des journalistes et a indiqué que le nom du candidat unique de Benno sera connu au plus tard en septembre. Ce candidat ira à la présidentielle avec les conclusions des assises nationales comme base programmatique.
Le ministre d’Etat Karim Wade a adressé une lettre ouverte aux Sénégalais. Quel commentaire faites- vous de ce message ?

J’avoue que je ne l’ai pas lu la lettre. On m’en a parlé, mais bon moi je n’attend rien de bon de Karim Wade ou de son père. Il ne compte pas. En réalité, c’est le fils du président c’est tout. Si le président n’est pas là, il n’a pas d’existence propre. Se permettre d’envoyer une lettre ouverte aux Sénégalais, cela me paraît relever de la prétention en attendant d’en voir le contenu. Mais à priori, je ne vois pas pourquoi il se permet cette démarche.

Il se dit victime d’attaques injustes de tout bord alors qu’il fait de son mieux pour le pays ?

Est ce que c’est juste que son père le mette là où il l’a mis ? On regroupe plus de cinq ministères qu’on lui confie, il se mêle de tout même des questions qui ne relèvent pas de ses attributions. Est-ce que c’est juste ?

S’il était resté fils du président dans son coin à Londres pour chercher de l’argent, c’est bien. Mais on ne peut pas faire de la politique et chercher de l’argent, c’est deux choses différentes. Je pense qu’il ne faut pas mêler les affaires de l’Etat avec les affaires familiales. C’est Abdoulaye Wade qui a amené ces pratiques à cette échelle dans le pays. Le rôle que joue Karim et Sindjely c’est inacceptable. C’est même indécent. C’est contraire à notre culture. Je ne suis pas persuadé qu’un autre sénégalais aurait été capable d’exposer ses enfants comme cela. Ça me parait normal que les gens parlent de lui et c’est normal que nous demandions qu’il démissionne. Qu’il ne soit plus ce minsitre qu’il est, s’occupant pratiquement de tout, une espèce de vice-président ou de premier ministre, ce n’est pas normal.

Plusieurs sources ont fait état d’une implication de la France et des Etats-Unis dans le projet de réforme constitutionnelle. Vous-y croyez ?

Non. Je n’ai pas de preuves. Ce que je peux dire par contre, c’est que le destin du Sénégal et son avenir sont entre les mains des Sénégalais, pas entre celles des Français ou des Américains. Ils peuvent essayer tout ce qu’ils veulent, mais ils ne feront pas le Sénégal à la place des Sénégalais. Le 23 juin a montré que nous avions pris notre destin en main. Maintenant, ils peuvent faire ce qu’ils veulent et faire croire à Wade que si sarkozy le présente lui et son fils à Barak Obama, ça peut changer les choses, non. Je note par ailleurs que par rapport à la modification de la constitition, les ambassadeurs de ces pays ont pris des positions conformes aux standards démocratiques. C’est cela que nous attendons d’eux.

Qu’en est-il des mercenaires qui auraient débarqué au Sénégal. Vous pensez que le président Wade est capable d’en faire venir pour régler des comptes ?

Le pouvoir est capable de tout. Abdoulaye Wade est capable de tout, parce qu’il tient à s’accrocher au pouvoir. Mais pour cette affaire mon sentiment est qu’il ne faut pas dramatiser ou banaliser, parce qu’une information comme celle là est importante. Il faut mettre l’Etat devant ses responsabilités, parce que dans un pays organisé, il y a les renseignements généraux, la police, la gendarmerie et l’armée. Il n’est pas pensable qu’on puisse laisser des mercenaires descendre à l’aéroport de Dakar et se dispatcher pour infilter les militants ou attaquer les gens, tout comme ceux qui entreraient par les frontières terrestres ou maritimes. Aujourd’hui, la déclaration qu’il faut faire, c’est de mettre le gouvernement devant ses responsabilités. Il ne serait pas acceptable, ni sérieux, que dans un état comme le Sénégal, que des mercebaires puissent à ce nombre, 150 ou 400, venir sans que les services de renseignement, la police, la gendarmerie et l’armée ne soient pas au courant. C’est aux forces de sécurité de répondre à la question de savoir si des mercenaires sont sur le territoire national, quelles sont les informations qu’elles ont sur le sujet. Si par extraordianire, elles n’ont pas les informations, qu’une enquête soit menée. C’est pourquoi, il ne faut pas faire comme si cela n’existait pas, c’est à dire banaliser. Il ne faut pas que par ce moyen ces gens là (ndlr : le pouvoir) nous intimident, démobilisent les Sénégalais pour que demain s’il y a une manifestation, le peuple ne sorte pas et qu’on dise finalement que notre mobilisation du 23 juin s’est essouflée. Il faut éviter cela. Il faut indiquer aux Sénégalais que 400, 500 ou 1000 mercenaires ce n’est rien par rapport à la volonté de l’ensemble du peuple. S’il y a des centaines de milliers de sénégalais qui sortent, les mercenaires ou autres ne pourront s’opposer à la volonté populaire. C’est cela une position responsable, une position intelligente. C’est cela la bonne manière de poser le problème et c’est ma position.

Quel est votre sentiment sur le recours à l’armée pour le maintien de l’ordre ?

Je connais notre armée. Je ne suis pas quelqu’un qui parle de choses qu’il ne connait pas. Nous avons une armée républicaine, une armée professionnelle. Personne, Abdoulaye Wade ou un autre, Senghor avant, Abdou Diouf avant, ne pourra mêler l’armée à la vie politique du Sénégal. C’est totalement impossible. Si Abdoulaye Wade le croit, il se trompe complètement. L’armée s’en tiendra aux principes républicains. J’en suis sûr. Je connai les militaires, j’ai travaillé avec eux et je leur fait confiance.

Comment analysez-vous la position de l’Union Africaine lors du sommet de Malabo sur la crise en Libye ?

Abdoulaye Wade a été désavoué à Malabo, mais il a été désavoué aussi au Sénégal le 23 juin. C’est de désaveu en désaveu, d’échec en échec, lui qui a osé allé dire à Khadafi les yeux dans les yeux, il faut qu’il parte parce que c’est un dictateur, que depuis 40 ans il martyrise son peuple, que le peuple libyen veut qu’il parte. Le peuple sénégalais aussi lui a demandé de partir. Alors moi aussi je le regarde les yeux dans les yeux pour lui dire de dégager, c’est ce que veut le peuple sénégalais. Abdoulaye Wade a déclassé notre diplomatie, l’image qu’il donne de notre pays n’est pas méritée. C’est une image lamentable et le 23 juin a commencé à redonner au sénégal l’image que les peuples du monde entier, africains, du nord comme du sud attendent du séngal. Je crois que nous aurons à redresser et à redorer le blason de notre pays lorsque Abdoulaye Wade partira et que nous reviendront aux affaires.

Pour revenir à la politique intérieure, on observe depuis quelques semaines un foisonnement de candidature ou d’intention de candidature à la présidentielle de la part de hauts cadres internationaux sénégalais. Doivent-ils rejoindre les rangs de Benno et de la candidature unique ? Oui, ma conviction est que la meilleure solution est de trouver un candidat du rassemblement et lorsque nous aurons ce candidat, je crois qu’ils comprendront que la meilleure solution ce sera de venir avec nous pour que, tous ensemble, on fasse partir Abdoulaye Wade et qu’on fasse table rase de tout ce qu’il a fait comme dégâts dans le pays, qu’on ait une coinstitution, une nouvelle république, que nous ayons un nouveau fichier, un nouveau processus électoral fiable, un organe chargé de préparer les élections et ensuite, les partis qui veulent aller ensemble ou seuls peuvent le faire. Je crois que c’est cela la bonne orientation, mais pas d’essayer de s’évaluer, de savoir ce qu’on représente. Aujourd’hui, ce n’est pas cela qu’il faut, ce qu’il faut c’est que Wade dégage.

Après plus d’une décennie dans l’opposition, est-ce que votre regard sur les problèmes du pays a changé ? Est-ce que votre perception a changé ?

J’ai beaucoup appris ces 11 dernières années sur la nature humaine. Des choses que je n’ai pas connues pendant tout le temps que j’ai passé avec Diouf et Senghor. Evidemment quand vous êtes aux responsabilités, la manière dont les gens vous parlent, vous informent et vous approchent est tout à fait différente quand vous êtes dans l’opposition. Ça m’a permi de faire mon autocritique. Il y a des choses que telle ou telle personne me reprochait et sur lesquelles j’ai réflechi. A chaque fois, j’ai essayé de discerner ce qui relève de l’attaque personnelle, ce qui relève du jugement de valeur, ce qui relève du jugement objectif. C’est cela qui est important. J’ai essayé avec humilité de tenir compte des informations qui me parviennent. Je suis un homme publique, c’est normal qu’on me critique, mais quand vous êtes aux affaires, on ne vous dit pas forcément les choses.

Aujourd’hui, j’ai plus de temps pour rencontrer les militants. Au final, je pense que c’est important de connaître le pouvoir, sa complexité, ses difficultés, sa sensibilité, mais l’expérience dans l’opposition permet de mieux servir son pays.

Propos recueillis par Bocar Alpha Kane (Paris)

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