Ben Laden était devenu la figure symbolique du terrorisme mondialisé. Il incarnait un diable parfois bien utile.
Il avait fini par faire partie du paysage. Avec sa longue barbe, son regard enfiévré, son turban inamovible, il défiait la plus grande puissance du monde. On le disait retranché dans les zones tribales, couchant comme un ermite dans d’inaccessibles grottes, sillonnant des montagnes frisant les cieux. De temps en temps, tel un sous-marin en plongée dont on aperçoit furtivement le périscope, il donnait signe de vie via une vidéo au son grésillant.
Les spécialistes disaient bien qu’il ne dirigeait plus grand-chose, qu’al-Qaida était devenue une nébuleuse franchisée dont les acteurs locaux n’en faisaient qu’à leur tête. Que Ben Laden, protégé par certains services pakistanais, vivait presque comme tout le monde. Oussama n’en demeurait pas moins un symbole fort. Le mal a besoin de s’incarner, le diable d’avoir une représentation. Sans enfer, le paradis perd de sa saveur. Et dans ce rôle, Ben Laden était parfait. On imaginait ce fils dévoyé d’une grande famille saoudienne d’origine yéménite, tirant les ficelles de mystérieux et terrifiants réseaux semant la mort au nom d’une vision délirante de l’islam.
Lâché par son protecteur pakistanais
Comble du romantisme, Oussama, chantre des opprimés, était né avec une petite cuillère en argent dans la bouche ou plutôt avec un sac de béton au pied de son berceau. La famille Ben Laden, c’est le numéro un du BTP du royaume wahabite, une sorte de Bouygues saoudien.
La fin d’Oussama appartient, elle, au registre d’une série télévisée hollywodienne : renseignements de longue main, opération commando héliportée, action ciblée et repli en bon ordre une fois la mission remplie. En fait, Oussama a sans doute été lâché par ses protecteurs pakistanais, qui ont, au moins, facilité son élimination. Comme jadis, Carlos avait été livré aux Français par ses hôtes soudanais.
Ben Laden disparu, al-Qaida aura beaucoup plus de mal à exister médiatiquement, donc à exister tout court. Malgré les proclamations de solidarité avec le défunt Oussama, les talibans afghans poursuivent leur propre combat : celui de la défense des intérêts pachtounes. Quant aux sociétés arabes, si elles se sont sociologiquement islamisées, elles sont largement imperméables aux divagations d’al-Qaida. Les séides de Ben Laden vont toutefois vouloir démontrer que la mort de leur chef ne les a pas anéantis : la bête blessée peut encore être dangereuse.
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