Plaidoyer pour une agriculture Africaine

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Les prix alimentaires flambent dans le monde. L’Afrique a beaucoup de terres et souffre pourtant de malnutrition à grande échelle. Une idée fait son chemin: l’union des Africains pour une politique agricole commune.
La flambée des prix alimentaires mondiaux (+35% depuis un an) provoque des manifestations en Ouganda et au Burkina Faso. A n’en pas douter, elles seront suivies par d’autres. La nourriture chère déstabilise d’autant plus les populations africaines que l’alimentation représente beaucoup dans leurs dépenses totales: la moitié du budget des ménages en moyenne, par exemple pour le Gabon. Déjà, 240 millions de personnes sont sous-alimentées en Afrique subsaharienne, selon la Banque mondiale. Ce chiffre augmenterait de 10 millions si les prix grimpaient encore de 10%.

C’est dans ce contexte tendu qu’était organisé à Dakar (Sénégal), les 18 et 19 avril, un vaste colloque sur l’agriculture mondiale. Le président Abdoulaye Wade veut influer sur le «G20 agricole» qui se tiendra en juin à Paris, au cours duquel le président Nicolas Sarkozy veut parler de la stabilisation des prix des matières premières. L’idée générale portée par les intervenants du colloque, organisé avec le Mouvement pour une organisation mondiale de l’agriculture (Momagri), est que la gestion mondiale libérale de l’agriculture a conduit à l’impasse, en particulier en Afrique. Depuis les émeutes de la faim de 2008 dans plusieurs pays, une prise de conscience commence à se faire que la crise alimentaire va structurellement se renforcer: il faut doubler la production mondiale agricole d’ici à 2050 pour nourrir les 9 milliards d’humains qui peupleront la Terre à cette date. La direction actuelle ne permettra pas d’y parvenir. Il faut en revenir à un certain protectionnisme, recréer des stocks, et, pour prévenir les crises, bâtir une nouvelle institution de gouvernance rattachée au G20.

Des terres mais pas d’investissements

L’argument fondamental en faveur d’un «nouveau paradigme agricole» —l’expression est d’Abdoulaye Wade— porte sur les investissements rendus insuffisants à cause du libre-échange. Le raisonnement est celui-ci: les coûts de production diffèrent considérablement et irrémédiablement entre les parties du monde. Une tonne de blé coûte ainsi 50-70 euros dans les plaines d’Argentine, contre 100-150 aux Etats-Unis, 140-250 en Europe et au moins 200 en Afrique. Dès lors, si la compétition est libre, les agriculteurs moins bien placés ne peuvent pas résister. Les importations libres des régions les moins chères détruisent forcément les agricultures des régions plus chères. Or, et c’est là un point fondamental qui singularise l’agriculture par rapport à l’industrie, les terres arables sont limitées. L’Argentine n’a pas assez de surfaces pour nourrir la planète entière, il faut que les autres agriculteurs des autres régions parviennent à survivre. L’erreur historique, selon Jacques Carles, délégué général de Momagri, a été d’introduire l’agriculture au sein des négociations du GATT (ex-Organisation mondiale du commerce) et de conclure à l’«ouverture des marchés» dans l’Uruguay Round en 1994.

Le meilleur exemple de cette «destruction» s’observe en Afrique. Le continent dispose de terres excellentes en quantité; une division du travail est même envisageable entre l’élevage dans la zone sahélienne et les céréales, fruits et légumes près des côtes. L’Afrique était autosuffisante jusqu’au début des années 1980. Elle est aujourd’hui importatrice nette pour 20 milliards de dollars (13,75 milliards d’euros). Pourquoi? De nombreuses études ont tenté de répondre. Mais l’essentiel est que l’agriculture, déstabilisée par les importations, a été délaissée par les organisations internationales (FMI, Banque mondiale) et du même coup par les gouvernements eux-mêmes. Les difficultés des petits propriétaires terriens provoquent un exode rural? Quoi de plus «normal»? Il intervient en Afrique après celui d’Europe, puis d’Asie. La main d’œuvre ira dans les zones urbaines où elle sera disponible pour l’industrie. Le malheur est… que l’Afrique n’a jamais pu développer son industrie et les jeunes ruraux s’accumulent dans les rues des villes sans travail. Et ils y subissent de plein fouet, comme tous les urbains, les hausses des prix des denrées que le pays importe puisqu’il ne les produit plus.

En outre, à cette grande raison de la «destruction» par le libre-échange, s’ajoutent des causes locales. Les gouvernements africains ont aussi poussé les producteurs à délaisser les cultures vivrières pour investir dans des cultures de «substitution aux importations» (céréales) les fragilisant encore plus, ou bien des cultures d’exportation (cacao, huile, café, coton), mais là encore en les fragilisant puisque ces denrées ont des prix fixés ailleurs et font l’objet de concurrence déloyale du Nord (coton américain). Il eut fallu créer des usines d’industrie agro-alimentaire en aval, mais exporter les produits bruts vers le Nord est permis tandis que vendre des produits finis se heurte aux barrières douanières.

Développer une politique agricole africaine

Cet aspect local n’est pas à négliger. Mamadou Cissoko, président d’honneur du Réseau des organisations paysannes et de producteurs de l’Afrique de l’Ouest (Roppa), insiste pour dire qu’il est illusoire d’attendre les solutions du G20. C’est déjà au niveau de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) qu’il faut agir: permettre des échanges entre ces pays par des infrastructures correctes, aider à la formation, moins taxer, etc.

Faire demi-tour, voilà ce que dit le nouveau paradigme. Maintenir les agriculteurs sur place à faire des produits consommés sur place, les protéger par des barrières douanières, augmenter leurs rendements par des meilleures semences et créer des marchés régionaux. En clair, cela s’appelle le modèle de la Politique agricole commune, la PAC européenne. Cette nouvelle agriculture africaine serait défendue au niveau global par la sortie du sujet «agriculture» de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et la création d’une nouvelle institution internationale qui coifferait les organisations aujourd’hui dispersées (FAO, PAM…) et réunirait les experts du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. Elle fixerait les prix «indicatifs» des denrées par région, et en conséquence le niveau des tarifs douaniers, et préviendrait les crises par une «veille» des productions et des prix.

Les émeutes de la faim ont provoqué un début de prise de conscience mondiale que les credo libéraux précédents sur l’agriculture méritaient d’être révisés. Les propositions de Dakar ont-elles des chances d’être suivies d’effet? Le débat est-il aussi ouvert que cela au sein du G20? Faire demi-tour, réinstaller du protectionnisme ne risque-t-il pas d’encourager l’immobilisme alors que les besoins alimentaires croissants appellent à augmenter vivement les rendements? La Cédéao a-t-elle la volonté de s’unir vraiment comme l’Europe en 1958? Le débat doit s’ouvrir.

Eric Le Boucher

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