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Port multifonction de Ndayane : le danger qui guette la petite côte

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À une heure de route de Dakar, Ndayane est toujours là. Pas de vieille dame offrant bijoux et pagnes, mais un trait de côte poissonneux donnant sur une petite lagune. Puis, dans les terres, des bêtes en pâture, des champs de mil et de sorgho guettés par la sécheresse et quelques poignées de maisons à bougainvilliers. Un pays d’arbustes tenaces, de moineaux dorés et de sardinelles. L’indifférence qui accompagne leur disparition programmée étonne. Bientôt, la mer rêvée par Birago Diop laissera la place à des kilomètres de conteneurs, de gaz d’échappement et de bruits de moteurs. 1 200 hectares ont été préemptés par le gouvernement sénégalais pour construire un port à conteneurs géant et une « zone économique spéciale ». Le modèle revendiqué est celui du port de Jebel Ali, à Dubaï : quais interminables et impôts inexistants. Les travaux, d’un coût total estimé de 3 milliards de dollars, devraient se terminer dans cinq ans.
Construit par le géant dubaïote DP World, le « Port du futur » doit permettre au Sénégal de percer sur « le marché de la conteneurisation mondiale ». On connaît ses promesses – le « plus grand port multifonctions d’Afrique de l’Ouest » – mais pas encore l’étendue de ce qu’il va engloutir avec lui, selon Mediapart.

Non-respect des lois sénégalaises sur l’environnement

Le chantier du port de Ndayane a officiellement été lancé le 4 janvier dernier, lorsque le président Macky Sall est venu en poser la première pierre. Le caillou est toujours là, sur la lagune, entouré de quelques briques. Une centaine de mètres plus loin, une poignée d’ouvriers s’affaire.

« Tout est fin prêt pour démarrer le projet », s’est félicité le chef de l’État lors de la cérémonie. C’est omettre un détail : en l’état, le projet de port ne respecte pas la loi.

Celle-ci impose la réalisation d’une étude d’impact avant la construction de toute infrastructure susceptible d’avoir des conséquences importantes sur l’environnement. Ne pas respecter cet impératif expose à une peine de six mois à deux ans de prison. Les autorités concernées assurent que cette étude a bien été menée concernant le port de Ndayane.

Constat d’huissier attestant que l’étude d’impact environnemental du port de Ndayane (Sénégal) n’a pas été déposée dans la mairie de la commune, comme le prévoit la loi.

Une étude d’impact environnemental a bien été réalisée » et sera mise à la disposition du public « incessamment » assure le ministre des pêches et de l’économie maritime Alioune Ndoye, interrogé à ce sujet. Plus d’un mois après la pose de la première pierre, il était temps. Mais les détails fournis par le ministre révèlent plusieurs irrégularités dans la procédure.

L’étude réalisée porte, selon Alioune Ndaye, sur « les 300 hectares qui concernent le terminal à conteneurs ». Or, le périmètre total du projet du port de Ndayane est de 1 200 hectares, selon un décret d’expropriation pris le 11 janvier 2021 par Macky Sall.

Surtout, la fameuse étude ne semble pas terminée. Elle a été « prévalidée » le 7 septembre 2021 mais, en raison de « nombreuses observations et recommandations faites par les services techniques » des régions de Dakar et Thiès, un rapport corrigé, intégrant ces observations, doit toujours être adopté. Il devrait l’être « le mardi 22 février », fait savoir le ministre.

Ce n’est qu’après cela que le ministère de l’environnement pourra officiellement rendre une décision sur le projet de port, décision qui devra faire l’objet d’un arrêté ministériel publié au Journal officiel.

En lançant officiellement les travaux le 4 janvier, la présidence et DP World ne se sont pas embarrassés de telles précautions – et n’ont donc pas respecté la loi. Interrogée sur ce point, la présidence sénégalaise nous a renvoyés vers le ministre de la pêche, qui a assuré étrangement que « la pose de la première pierre n’a aucun lien avec les travaux sur le terrain ». DP World ne nous a pas répondu, nous renvoyant vers les autorités sénégalaises.

Cette apparente légèreté semble étonnante, au regard de l’ampleur du projet et de ses conséquences probables.

« À la fin, il reste quoi ? »
Sur la plage de Toubab Dialaw, à quelques centaines de mètres de la lagune qui sera bientôt détruite, une vingtaine de pirogues attendent leur départ en mer. Au-dessus d’elles, des maisons perchées sur les falaises, en sursis. La « Petite côte » est grignotée par l’érosion. Montée des océans causée par le dérèglement climatique et constructions anarchiques combinées font des ravages : chaque année, la mer gagne de 0,5 à 2 mètres, selon les estimations du ministère de l’environnement.

Le port « ne va que jeter de l’huile sur le feu », estime l’océanographe français Xavier Capet (rattaché au laboratoire d’océanographie et du climat de l’Institut Pierre-Simon-Laplace), qui connaît bien la zone. « C’est une grosse infrastructure qui va poser, c’est quasiment certain, des problèmes d’écoulement et de transports de sédiment. »
En bloquant les courants, majoritairement orientés du nord vers le sud, le quai du futur port va en effet bloquer le sable venu du nord qui d’ordinaire vient remplacer le sable arraché par les courants dans les zones situées au sud. « Il y aura moins de sable, le fond marin proche côtier sera moins alimenté, cela va s’approfondir et, in fine, ronger le littoral », analyse l’océanographe.

L’érosion, mais aussi la pollution, les espèces menacées et la destruction des activités de pêche traditionnelle : même sans étude d’impact, les habitant·es de Ndayane et des villages alentour (Popenguine, Toubab Dialaw et Yene) s’y attendent.

« Nous sommes au XXIe siècle. Les gens sont instruits. Même si [les promoteurs] ne viennent pas nous parler des conséquences, ce port, nous savons ce que cela veut dire », lance Alexandre Idrissa Ndiaye. Le jeune homme est revenu habiter à Toubab Dialaw après ses études dans la finance à Dakar. Il cherche du travail et, durant son temps libre, s’investit dans les associations constituées pour protester contre le projet de port.
Sur un petit carnet, il a d’abord pris le temps de peser le pour et le contre. Côté « pour », la création d’emplois et l’« augmentation de l’assiette fiscale » pour les communes. Côté « contre », l’absence d’étude environnementale, le « site mal choisi », la « destruction de la zone côtière », la pollution, la fin des revenus générés par la pêche traditionnelle… C’était vite vu.

Il nous emmène sur la plage, où deux de ses amis pêcheurs sont à pied d’œuvre. Accroupis sous une bâche qui leur procure un peu d’ombre, ils réparent leurs filets. D’un geste sec, Ousmane Gueye détache les hameçons qu’il renouera ailleurs. Se reconvertir pour travailler dans le nouveau port ? « Moi, à part naviguer, je ne sais rien faire », objecte-t-il.

« Ce port ne nous arrange pas car ce sont les pirogues qui nous ravitaillent », ajoute un peu plus loin Adama Cissé qui, comme beaucoup de femmes de Ndayane, vit de la transformation et de la revente de poissons. Elle a sept enfants et ne compte plus les années depuis qu’elle emprunte un « taxi sept places » pour aller vendre ses dorades à Rufisque.

Ces pirogues, qui sont la source de revenu principale de milliers de ménages, risquent de n’être bientôt qu’un lointain souvenir sur la Petite Côte. « Le problème, c’est que le port de Ndayane n’est qu’un élément parmi d’autres. Une constellation de projets est en train de se mettre en place » dans la région, qui auront pour conséquence de « condamner les pêcheries artisanales », observe Xavier Capet : le port de Ndayane, mais également l’aéroport international de Diass, qui vient d’être construit à 20 kilomètres à l’est, le port minéralier à Bargny-Sendou, une quinzaine kilomètres au nord (qui servira notamment au stockage de gaz et de produits pétroliers), le champ pétrolier offshore de Sangomar, plus au sud…

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