Pourquoi la France fait la guerre à Gbagbo

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Impérialisme? Néocolonialisme? Engagement partisan? Piège militaire? Intérêt politique? L’intervention militaire française à Abidjan suscite critiques et interprétations.
«La France ne fait pas la guerre.» Alain Juppé, le ministre français des Affaires étrangères, a beau le répéter, rien n’y fait. Comme pour la crise libyenne, une partie des opinions africaines condamne l’intervention française en Côte d’Ivoire. Certains, comme l’écrivaine franco-camerounaise Calixthe Beyala, vont beaucoup plus loin, car, pour eux, la France fait la guerre aux peuples africains, et piétine leur souveraineté, cinquante ans après les indépendances. «Je ne paye pas les impôts pour que la France aille faire la guerre aux Africains», ajoute-t-elle, un rien bravache. L’on comprend dès lors qu’elle soit l’une des signataires d’une pétition intitulée «La France veut tuer Laurent Gbagbo! Mobilisation!», que vient de publier le journal en ligne Gri-Gri International. Sous la plume de ces pétitionnaires, voici ce qu’on peut lire:

«Sans aucun mandat, en pleine illégalité et malgré les appels à l’arrêt des bombardements demandés par la Russie et l’Union africaine, la France de Nicolas Sarkozy est en train de bombarder la résidence du chef de l’Etat ivoirien, Laurent Gbagbo. L’objectif du président français Sarkozy semble être de ramener le cadavre de Laurent Gbagbo pour le journal de 13h. Ivoiriens, Africains, Amis de la Souveraineté, de la Liberté et de la Démocratie, levons-nous tous pour protester contre les agissements de Nicolas Sarkozy en Côte d’Ivoire. En ce moment même, mercredi 6 avril 2011 à 10h30, selon le porte-parole du Gouvernement, les hélicoptères et les chars français de la Force Licorne sont en train de pilonner la résidence du Président de la République de Côte d’Ivoire, au mépris de la Charte des Nations Unies, de la Convention de Genève sur le Droit de la Guerre de 1949 et des intérêts français.»

Des critiques, de la France à l’Afrique du Sud

Y compris en France, des voix s’élèvent, par exemple au sein du Parti communiste français (PCF), pour condamner l’engagement militaire français. Dans un communiqué, le PCF déclare:

«En participant directement aux intenses combats militaires ivoiriens opposant Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo, la France choisit l’escalade, la politique de force et la guerre, en se masquant derrière une demande de l’ONU.»

Pourtant, Alain Juppé n’a de cesse de le clamer haut et fort: c’est à la suite d’une demande expresse du Secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon au président Nicolas Sarkozy que les troupes françaises de la force Licorne soutiennent leurs collègues de l’Onuci. Il l’a à nouveau martelé le 7 avril, devant la commission des affaires étrangères du Sénat, où il était interrogé par les sénateurs, en compagnie de son collègue de la Défense Gérard Longuet. Et malgré ces explications, la polémique enfle!

Au Cameroun par exemple, à l’instar de Calixthe Beyala, des actions de soutien à Laurent Gbagbo ont été organisées. Si le gouvernement camerounais semble observer une grande prudence, il n’en est pas toujours de même au sein d’une partie de la population. De l’homme de la rue aux intellectuels, en passant par les journalistes, beaucoup dénoncent «l’impérialisme mondial» en Côte d’Ivoire. Mais la question est loin de faire l’unanimité. Au contraire! Elle divise profondément les Africains.

L’Afrique du Sud par exemple, qui a participé en tant que membre non-permanent, au vote de la résolution 1975 du Conseil de sécurité de l’ONU, a déclaré par la voix de sa ministre des Affaitres étrangères qu’elle n’avait pas donné de mandat pour le bombardement de la Côte d’Ivoire. Des propos qui sonnent comme un cinglant désaveu, même s’il est avéré depuis longtemps que les autorités sud-africaines sont proches de Gbagbo. D’ailleurs, le président en exercice de l’Union africaine (UA), l’Equato-guinéen Teodoro Obiang Nguema, ne dit pas autre chose, lorsqu’il précise que le soutien apporté par l’UA à Alassane Ouattara ne doit pas impliquer une guerre.

La France piégée par l’histoire

A l’évidence, avec cette crise ivoirienne, la France se retrouve piégée à la fois par l’histoire et par ses choix politiques. En effet, les accords de défense entre l’ancienne puissance coloniale et de nombreux pays francophones sont encore aujourd’hui une réalité sur le continent. De plus, des bases militaires françaises sont encore présentes à Djibouti, au Tchad, au Gabon, en République centrafricaine ou encore au Sénégal, où elles sont appelées à disparaître très bientôt. Et s’agissant de la Côte d’Ivoire, il faut rappeler que lors de la rébellion de 2002, après s’y être refusé, la France est quand même intervenue dans le conflit au nom des accords militaires. S’ensuivra une opération d’interposition entre les belligérants, et la création de l’Organisation des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci), qui regroupera toutes les forces militaires y compris les troupes françaises.

Malheureusement, la crise politique a duré près d’une dizaine d’années, et les troupes françaises sont restées sur place. Mais surtout, il y a le syndrome rwandais! Si la France n’était pas intervenue, d’aucuns l’auraient sans doute accusée, comme lors du génocide rwandais, de non assistance à peuple en danger. En intervenant, elle est aussi mise à l’index, et accusée de défendre ses intérêts, et plus grave, de perpétuer le néocolonialisme. Une situation intenable, qui conduit parfois à faire oublier aux uns et aux autres que, dans ce type de conflit, les populations civiles paient toujours le plus lourd tribut. Et pour ce qui concerne la Côte d’Ivoire, que l’on se fonde sur la réalité issue de la rébellion de 2002, ou sur le résultat de la dernière présidentielle, quel qu’il soit, le pays est divisé en deux; et de part et d’autre, il y a des civils. Dès lors, la question de leur protection s’impose à l’ensemble des belligérants, qui doivent tout mettre en œuvre pour leur éviter des massacres.

D’ailleurs, l’Union africaine ne dit pas autre chose, lorsqu’elle condamne les violations des droits de l’Homme, et appelle à «la protection impérative de la population civile». De ce point de vue, Gérard Longuet, le ministre français de la Défense, affirme que les troupes françaises ne sont intervenues qu’en soutien de celles de l’Onuci, pour éviter que les populations ne soient bombardées à l’aveuglette par les partisans de Laurent Gbagbo.

De la même manière, les autorités françaises précisent que c’est à la demande du secrétaire général des Nations unies que des opérations d’exfiltration ont été organisées pour des diplomates japonais. Par ailleurs, des demandes similaires ont été formulées par les Israéliens et les Indiens. Mais finalement, à force de marteler son soutien à Alassane Ouattara, à l’instar de toute la communauté internationale, la France devient inaudible sur tout le reste. Une situation qui l’obligera sans doute, à terme, à clarifier sa politique africaine, et à se pencher sur son histoire coloniale avec l’Afrique.

Christian Eboulé

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