C’est avec beaucoup d’indignation que j’ai pris connaissance de la décision du pouvoir actuel du Sénégal de saisir contre les sentinelles de la bonne gouvernance et de la démocratie pour donner libre cours à l’impunité de nos gouvernants et au détournement de nos maigres ressources publiques. En démettant Nafi Ngom Keita de ses fonctions de Vérificatrice générale de l’ige et en suspendant Ousmane Sonko pour ses prises de décision courageuses sur la déprédation fiscale et financière dans le pays, le gouvernement de Macky Sall vient de démontrer qu’il ouvre la voie à faire pire que le gouvernement d’Abdoulaye Wade en matière de mal gouvernance. Il est à constater que ces actes sont loin de la « gouvernance sobre et vertueuse », un leitmotiv qui demeure aujourd’hui un slogan creux destiné aux pays donateurs du Sénégal.
Et pourtant, la toute nouvelle constitution que Macky Sall a soumise au vote forcé des Sénégalais consacre une partie au renforcement des citoyens modèles de la trame de Sonko et Nafi Ngom Keita. Elle dit clairement en son point 5 : « Tout citoyen a le devoir de défendre la patrie contre toute agression et de contribuer à la lutte contre la corruption et la concussion ». Donc indépendamment du travail professionnel colossal que ces personnes ont abattu en termes de progrès de leur nation vers la bonne gouvernance et la transparence, ils répondent désormais à un devoir constitutionnel auquel la nation les appelle. Ainsi, la constitution étant une norme juridique supérieure à l’ensemble des autres lois en vigueur ne peut être ignorée au nom d’un « devoir de réserve » destructeur pour le pays et son évolution.
Aussi, il faudrait noter que malgré les multiples tintamarres autour du fait que le Sénégal est devenu une nation prospère – ce qui constitue à ce stade un rêve profond pour les tenants du pouvoir – il faudrait noter que ces actes sont de nature à faire peur aux investisseurs soucieux de la transparence, et aux partenaires du Sénégal à qui Macky Sall vient de dire de manière explicite que la bonne gouvernance et la transparence ne l’intéressent pas. Il vient également d’envoyer le signal que ces protégés peuvent piller nos ressources et qu’au final ils peuvent s’attendre à des émoluments à la hauteur de leur détournement. Ce qui est une perspective effrayante pour un Sénégal qui se veut émergent.
Malheureusement, on oublie souvent que toute cette corruption entretenue et bien documentée par les corps désignés de l’État, fait perdre au citoyen tous les droits dont il a besoin pour son évolution et son épanouissement : droit à une éducation décente, droit à la santé, doit à une alimentation saine, etc. En citant ces droits, on se rend vite compte qu’ils sont tous hypothéqués par la corruption. Le système éducatif est à terre, faute de moyens disent-ils, les gens meurent encore dans les hôpitaux faute de pouvoir acheter des médicaments, les paysans ont de faibles rendements en raison de semences de qualité médiocre malgré les dénégations du gouvernement.
Ces faits qui nous sont si familiers, et pourtant si destructeurs à notre processus de développement, sont des conséquences types de cette corruption ambiante à laquelle le gouvernement doit s’attaquer à bras-le-corps au lieu de chercher à l’entretenir. Vous vous imaginez combien d’écoles on peut construire avec les 13 milliards d’indemnisation nébuleuse remise à Bigtobo sans que les Sénégalais comprennent les tenants et les aboutissants ? Vous vous imaginez combien d’argent notre budget national perd avec les marchés de gré à gré qui foisonnent comme des champignons en piétinant l’ensemble des règles de marché en vigueur ? Vous vous imaginez la perte croissance intérieure induite par la quantité de marché de gré à gré donnée à l’extérieur du Sénégal ? Vous vous imaginez les pertes d’efficacité dues aux nominations fantaisistes dans les ministères et les ambassades sans aucun soubassement de compétence ?
Alors, des gens de la trame de Sonko et Nafi Ngom Keita sont à protéger et à bénir au Sénégal car un tel système ne développera jamais le Sénégal en particulier et l’Afrique en général. Alors nous devons tous être les sentinelles de cette démocratie et refuser que notre énergie s’y estompe et que nos plumes s’y brisent à jamais.
Ibrahima Gassama, Québec
Économiste du développement durable au gouvernement du Québec
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Quand la mauvaise gouvernance nous tient !
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