Saliou Sarr, producteur de riz : «On ne peut produire 1,5 millions de tonnes de riz en 2015»

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Producteur de riz et membre du Comité interprofessionnel de la filière du riz de la Vallée, M. Saliou Sarr se prononce ici sur les ambitions du gouvernement de réaliser l’autosuffisance dans le domaine du riz. Il estime que tant que les gens ne tireront pas les leçons des échecs passés, ils n’aboutiront à rien dans ce domaine.
En tant que membre du Comité interprofessionnel de la filière riz, vous avez été associé aux concertations sur la relance de la production nationale. Qu’avez-vous con­seillé au Premier ministre Abdoul Mba­ye ?
J’ai pris part à la réunion du Conseil interministériel sur la filière riz qui s’est tenue au mois d’août dernier, au nom du Comité interprofessionnel de la filière riz. C’était pour discuter autour du Premier ministre sur la possible reconduction d’un programme national d’autosuffisance en riz, comme qui dirait, rénové. Comme vous le savez, en 2006, il y avait un Plan national d’autosuffisance en riz (Pnar 1), pour réaliser l’autosuffisance en 2012, en produisant 1,5 millions de tonnes de paddy, correspondant à 1 million de tonnes de riz blanc. Il y a eu changement de gouvernement, le nouveau pouvoir est arrivé dans une option d’avoir un nouveau programme, puisque les objectifs de l’ancien n’ont pas été atteints. La différence entre les deux, est qu’il y a une augmentation de 100 mille tonnes de paddy et de riz blanc, par rapport à l’ancien programme.
Les discussions ont montré que les gens sont restés sur leur faim, en écoutant le Premier ministre. Les documents n’ont pas permis de comprendre les raisons des contre-performances du premier plan. Au début, les gens ont voulu faire croire que c’est la faute des petits producteurs, si l’on n’est pas parvenu à réaliser 1,5 millions tonnes de paddy, pour 1 million de tonnes de riz blanc. De sorte que, dans le nouveau plan, ils ont pensé donner plus de place au privé, ce qui, dans leur langage, veut dire, à l’agro-industrie. Un ministre est allé même jusqu’à proposer que l’on prenne 30 privés, que l’on donne à chacun mille hectares et le problème est réglé. Naturellement, les représentants des producteurs qui étaient présents, ont lancé une contre-offensive pour expliquer pourquoi on n’est pas arrivé à 1,5 million de tonnes. Moi, en particulier, j’ai dit que si l’on veut aller vers un nouveau programme d’autosuffisance alimentaire, que l’on voudrait réaliste, il faudrait faire le bilan du premier plan. Et ce bilan devrait être totalement participatif, avec l’implication de tous les acteurs, à tous les niveaux, les producteurs, les distributeurs, les professionnels du secteur des intrants, les transformateurs, les banquiers, les commerçants,… véritablement tout le monde, y compris l’Etat dans son intégralité et non pas seulement le ministre de l’Agriculture, pas seulement le ministre du Commerce, mais surtout, avec le ministère des Finances. Si l’on avait fait ce bilan participatif, on n’aurait certainement pas repris les mêmes objectifs, avec la même durée de cinq ans.
Donc, pour vous, cet objectif de l’Etat de réaliser l’autosuffisance en riz dans les cinq ans n’est pas pertinent ?
Aujourd’hui, je pense que ce n’est pas réalisable
Qu’est-ce qui pourrait l’empêcher ?
Je pense d’abord qu’il faut une volonté politique forte
Et elle n’existe pas ?
Je ne la vois pas, parce que pour moi, elle doit se concrétiser par la mise en place de moyens financiers conséquents, ce qui n’est pas encore le cas. La volonté politique n’en est encore qu’au niveau des déclarations. En plus, même si l’argent existe, il faut beaucoup de réalisations en termes d’aménagements hydro-agricoles, il faut des paysans mobilisés, avec la capacité de lever des fonds auprès des banques, donc solvables. Il faut des équipements pour la préparation des sols, des équipements en termes de capital semencier et des équipements pour la transformation. Pour produire 1,5 tonne de riz en cinq ans, il faut emblaver au minimum, 10.000 ha par an. Avons-nous des entreprises de terrassement qui soient en mesure de faire ce travail dans la Vallée ? Donc, en dehors de l’affichage politique et des contraintes financières, il faut regarder aujourd’hui, les autres acteurs, s’ils ont les moyens de réaliser ces objectifs d’autosuffisance en riz, dans les 5 ans, en termes de superficie à emblaver, de crédit à mobiliser, de disponibilité de semences certifiées, aussi bien pour le riz irrigué que pour le pluvial. A toutes ces contraintes techniques et matérielles s’ajoute un préalable majeur, qui est de déterminer le type de politique agricole que veut le pouvoir, pour porter cet objectif.
Qu’est-ce à dire ?
Je me suis rendu compte que les hautes autorités de ce pays, hier comme aujourd’hui, ne sont pas convaincues que les petits producteurs sont capables de réaliser l’autosuffisance alimentaire en riz. Elles pensent que des grands domaines, gérés par un individu ou une société, peuvent permettre d’arriver à l’autosuffisance. Tant que ces autorités ne change pas d’avis, on ne peut régler cette question. Elles disent qu’elles veulent faire de la place pour les gros producteurs mais, cela n’est pas possible ! Je reste convaincu que si les petits producteurs sont mis dans des conditions comparables à celles des producteurs européens ou américains, en 7 ou 8 ans, nous pouvons arriver à l’autosuffisance.
Que faudrait-il faire ?
L’Etat doit pouvoir faire des petits aménagements hydro-agricoles au profit de ces petits paysans. Même s’il faut demander une contribution symbolique à ces petits paysans, il faut le faire pour réaliser ces aménagements et les leur transférer.
Pourquoi l’Etat ne devrait-il pas faire cet effort pour les gros producteurs ?
Si je ne me trompe, c’est depuis 1984 environ, que l’on a fait l’option de dire qu’il fallait «moins d’Etat pour mieux d’Etat». On privatise, on transfère et on responsabilise les privés. Mais quand on a responsabilisé les privés, il y avait ces gros propriétaires terriens à côté des petits producteurs. Et pendant dix ans, ces gros propriétaires terriens, qui possédaient entre 100 ; 200 ; et même jusqu’à 500 ha, n’ont jamais aménagé un seul hectare. De telle sorte que quand l’Etat a pris la décision de reverser les zones pionnières dans les zones de terroir, il y avait pratiquement zéro hectare d’aménagé dans ces zones pionnières. Ce qui démontre que l’Etat a un rôle fondamental à jouer dans les aménagements hydro-agricoles et pour le bénéfice des petits producteurs. Et l’expérience montre qu’à partir de 1989, quand on a fait le transfert des aménagements hydro-agricoles aux petits paysans, on a pu arriver aux 200.000 tonnes de riz paddy que nous produisons aujourd’hui. Depuis 1990, quand les aménagements hydro-agricoles ont commencé à être intégralement gérés par les organisations des petits paysans, l’Etat du Sénégal n’y a pas remis un seul franc. Et ce sont ces aménagements qui, bien tenus, continuent de donner, à chaque campagne, 7, 8 ou même 10 tonnes à l’hectare. Quand on transfère aux petits producteurs les aménagements, avec des contrats de concession clairs, précisant les rôles et les responsabilités, ces aménagements permettent de fixer les populations rurales dans les terroirs, pour produire pour les villes, au lieu de venir dans des zones urbaines, s’installer dans des bidonvilles pour créer encore plus de problèmes à l’Etat. Voyez ces inondations et ces morts que nous ne cessons de vivre. C’est des petits paysans qui n’ont plus d’espoir, qui quittent les campagnes pour venir s’installer de façon sauvage autour de nos villes et créer encore plus de problèmes à l’Etat.
Un moment, on avait ciblé la question de la distribution, comme étant à la base de la mévente du riz local et donc, de la sous-production…
Il faut savoir que l’Etat du Sénégal a été, dans le cas du riz, producteur, transformateur et commerçant. A partir de 1994, il y a eu la privatisation et la libéralisation du secteur. L’Etat a décidé de se retirer du processus de production. Ce faisant, il a fermé la caisse de péréquation. A partir de ce moment, on a transféré un nouveau métier à des acteurs. Il y a un processus d’apprentissage. Les paysans sénégalais, quand ils arrivaient à la Caisse de péréquation, ils avaient déjà des problèmes.
Cela ne peut être une raison suffisante…
Pourtant si, les gens ont dû tout apprendre. Il faut comprendre qu’on ne séparait pas les variétés au niveau du riz produit par la Saed. On pouvait trouver plusieurs variétés dans un même sac. Comme c’était un programme de l’Etat, où l’on fixait des objectifs de production, il arrivait que l’on ait du riz qui s’est mouillé pendant la contre-saison, que l’on a mélangé avec du bon produit durant la saison. De telle sorte que le mauvais riz venait à se répandre. Et les quelques Sénégalais qui achetaient ce riz-là, gardaient dans leur tête, l’idée que le riz de la vallée n’est pas bon. Quand dans un sac, c’est plusieurs variétés, quand il y a une partie noircie, quand, dans le même sac, vous avez du riz long, du riz intermédiaire et du riz brisé, il est immangeable. Et tous les citadins qui ont eu à le goûter, se sont dit qu’il y avait un problème. Donc, le petit paysan qui a reçu le transfert d’activités, a également hérité de cette difficulté. Et cela demande du temps pour être réglé. Et les paysans, en faisant l’état des lieux, ont noté cette contrainte. Ils ont compris que s’ils devaient commencer à commercialiser, il leur fallait séparer les variétés, mettre des logos sur les sacs ; mettre dans les sacs une variété unique et d’un seul calibre. Et cela, c’était un processus. Si la séparation des variétés était du domaine des producteurs, la transformation ne dépendait pas d’eux. Le calibrage, les sacs neufs, qui indiquent l’origine de la production, cela ne dépendait pas d’eux. Le métier du producteur, c’est de produire du paddy. Normalement, c’est les industriels qui achètent du paddy et le transforment et les commerçants qui vendent.
Donc, ce sont les producteurs qui ont travaillé pour obtenir la qualité ?
Oui, car, malheureusement, certains acteurs de la filière ont été défaillants. Comme les transformateurs. Souvent, on entend dire que les petits paysans ont besoin de renforcement de capacité, que l’on doit les aider à trouver du crédit. Mais, quand les paysans ont trouvé du crédit, ont produit et ont récolté, les industriels n’ont pas été capables d’acheter le paddy. Et cela a bloqué les cultures contre-saison car, le Crédit agricole dit bor du am rak. Donc, tu es obligé de donner ton paddy à un industriel. Certains industriels ont bouffé l’argent des paysans et sont partis à l’étranger. Et une bonne partie des arriérés dus aux banques par les riziculteurs de la Vallée et dont on parle aujourd’hui, est constitué de cela.
Donc, qu’ont fait les paysans ? Il leur a fallu se concerter, se réorganiser, trouver des mécanismes pour produire et rembourser le Crédit agricole, trouver des mécanismes pour transformer et vendre. Et comme ce n’est pas leur métier, dans l’apprentissage, au finish, le prix de revient du riz est devenu trop élevé. Surtout qu’il est concurrencé par un sous-produit, venant de l’étranger. Comme les marges bénéficiaires sont plus élevées sur ce riz en provenance de l’étranger, les commerçants locaux ne sont pas intéressés à sa commercialisation. Cette situation a duré presque une décennie. A force d’expérimenter les choses, de discuter, de croiser les expériences, de faire même des fautes quelque part et d’échouer, les paysans en sont eux-mêmes arrivés à dire qu’il fallait séparer les éléments de la chaîne de valeur. Les paysans doivent produire le paddy et le secteur de la transformation doit être dynamique et il faut que le secteur devienne si compétitif que le secteur du commerce va s’y impliquer. Ce chantier a été entamé.
On a donc mis en place des coopératives de commercialisation. Une fois que le paysan a récolté, des structures professionnelles se chargent de collecter ce paddy et vont le vendre à des transformateurs industriels. C’est ainsi que, petit à petit, nous sommes arrivés à convaincre les industriels, les commerçants, les transformateurs, à mettre sur pied cette société. Mais, ce qui a convaincu les commerçants, c’est aussi le fait que le marché mondial était devenu plus difficile pour eux. Le prix du riz a augmenté sur le marché international. Les commerçants ont donc aussi compris qu’il était de leur intérêt à mettre sur pied cette société de promotion du riz. Nous pensons que c’est un chemin excellent.

1 COMMENTAIRE

  1. La question fondamentale que Mr. Sarr pose me semble etre un probleme de corporation. L’argument essentiel pose ici c’est la « pretendue » volonte de l’etat de privilegier les gros prives au detriment du petit producteur paysan. Pour ma part, n’etant pas expert de la filiere, je pense que les economies d’echelle vont contribuer a regler les enjeux du futur. N’oublions pas qu’il s’agit de produire ici 1.5 million de tonnes de paddy. Toll bi reuy na. Il y a de la place pour de gros prives tout comme les petits producteurs. Chacun peut y trouver son compte. Mais la question de la modernisation/mechanisation est incontournable. Cela requiert de gros investissements que l’etat seul ne pourra consentir. C’est a mon avis une erreur de poser les problemes en termes d’opposition petits pays et gros prives. En disant que « tant que les autorites ne changent pas d’avis on ne peut regler cette question », Mr Sarr se cramponne et ne laisse pas la porte ouverte a des possibilites de partenariat qui sont grandes ouvertes. Je suis convaincu du role essentiel que doivent jouer les petits producteurs, je suis tout aussi convaincu d’une place centrale que le gros prive national ou exterieur devra jouer pour le resolution de notre dependance a la Thailande, le Vietnam ou autre Bresil et Argentine pour notre consommation en riz. N’attendons pas que ces pays refusent de vendre leur production pour pleurnicher.
    Wasalam

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