Un Brésil « en colère contre lui-même » accueille la Coupe du monde

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L’événement devait être une consécration. Pour le Brésil et pour Dilma Rousseff, sa porte-voix. Une fête planétaire de la paix et du ballon rond avec près d’un tiers de la population mondiale les yeux rivés sur le stade flambant neuf de l’Itaquerao, dans la banlieue est de la grande Sao Paulo. A la tribune d’honneur, pas moins de onze chefs d’Etat s’apprêtent à prendre place, jeudi 12 juin, aux côtés de la présidente brésilienne pour l’ouverture de la vingtième Coupe du monde. L’occasion pour l’héritière de Luiz Inacio Lula da Silva d’affirmer un leadership que beaucoup lui contestaient à l’orée de son mandat. Mais Dilma Rousseff a signalé qu’elle ne prendrait pas la parole.

Contrairement à ses homologues sud-africain, allemand ou même sud-coréen lors des précédentes éditions, elle ne profitera pas de cette tribune, par crainte d’un concert de sifflets de réprobation. L’image de la bronca au stade de Brasilia lors du coup d’envoi de la Coupe des confédérations de juin 2013 semble avoir laissé des traces. L’événement avait alors été marqué par les débuts de la fronde sociale qui, depuis, n’a eu de cesse de traverser le pays.

Chose impensable jusque-là, dans un pays où le football est roi, voilà la plus grande fête sportive au monde fragilisée avant même d’avoir commencée. Pour le journaliste et cinéaste Arnaldo Jabor, c’est le pays qui est « en colère contre lui-même ».

ASSURANCE D’OBTENIR DES LOGEMENTS SOCIAUX

De fait, il ne se passe pas une journée sans que les médias ne relaient des manifestations, grèves, poussées de violence, interruptions ou annulations dans les travaux d’infrastructures. Les favelas de Rio de Janeiro et les périphéries de Sao Paulo s’embrasent par intermittence. Les accès routiers de Belem, Fortaleza ou Salvador de Bahia sont régulièrement bloqués par les mouvements des sans-terre. Les sans-toit, qui avaient rassemblé encore 15 000 personnes à Sao Paulo fin mai, viennent d’appeler, lundi, à l’arrêt de leur mouvement contre le Mondial après avoir eu l’assurance d’obtenir des logements sociaux auprès du gouvernement.

D’autres catégories sociales ont profité de l’attention internationale pour mettre les autorités sous pression, comme les employés du métro en grève à Sao Paulo, qui viennent de suspendre pour deux jours leur mobilisation.

Le pays renvoie l’image d’une nation à la fois bouillonnante et désabusée. Selon un récent sondage, plus de 70 % des personnes interrogées se disent mécontentes de la situation du pays. Plus étonnant encore, début juin, près de 42 % des sondés se disaient opposées à la tenue de la Coupe du monde, contre 38 % en février.

Comment un tel rejet a-t-il pu s’installer en si peu de temps ? Il y a quelques années à peine, le Brésil faisait encore figure de premier de la classe parmi les émergents. Des millions de pauvres sortaient de la misère pour accéder aux premières tranches de la classe moyenne. Le pays vivait de ses exportations de matières premières et d’une demande intérieure insatiable. Lorsqu’il fut désigné pour accueillir, coup sur coup, le Mondial de 2014 et les Jeux olympiques de 2016 à Rio, les commentateurs y ont vu la consécration d’un nouvel âge d’or du Brésil. L’éternel pays du futur devenait enfin maître de son avenir. Même Lula y versa quelques larmes.

Puis vint la crise. Dilma Rousseff avait beau annoncer que le pays était « prêt à 300 % » à y répondre, le Brésil accusait brutalement le coup en 2013. La croissance a plafonné à 2,3 %. Ce premier trimestre 2014, elle atteint même péniblement 0,2 %. On ne compte plus les grands projets publics lancés par Lula restés inachevés. Ponts, routes, voies ferrées, ports : des milliards ont été dépensés sans aboutir à des résultats concrets. Même l’inflation, hantise du pays, provoque des signes d’inquiétude.

Quelques mois et le désenchantement a fait place à la désillusion. L’interminable procès de l’affaire dite du « Mensalao » impliquant de hauts responsables du Parti des travailleurs (PT) au pouvoir s’est vu remplacé par une vaste enquête visant le géant public Petrobras, joyau national, empêtré dans une sombre histoire d’achat surfacturé de raffinerie aux Etats-Unis. Comme si les vieux démons du Brésil revenaient à intervalles réguliers.

« LE BRÉSIL, COMME LE CHRIST RÉDEMPTEUR »

Après les mouvements de 2013 et leurs cortèges de revendications qui n’en finissent pas de résonner dans les rues du Brésil, les autorités donnent depuis des mois l’impression de courir après le temps pour livrer les chantiers des infrastructures, mais également pour éviter un désastre en termes d’image.

Les médias brésiliens n’ont jamais été tendres avec Lula, ses gouvernements et son héritière désignée. En revanche, la presse internationale, quasi euphorique jusqu’à récemment, selon de nombreux observateurs, semble avoir davantage mis le doigt sur les problèmes structurels du pays. « Désormais, tous les jours quasiment paraissent des articles sur le Brésil, a expliqué à la BBC Brasil Daniel Buarque, auteur d’un livre sur l’image du Brésil. Ils attirent réellement l’attention parce que dans leur grande majorité, ils sont négatifs. » Et parfois de façon peu amène. Le Financial Times a ainsi comparé la présidente Dilma Rousseff aux Marx Brothers. L’hebdomadaire The Economist a, lui, laissé entendre que le manque de croissance du Brésil était lié, en partie, à des raisons culturelles.

« Les histoires se répètent et les critiques ont toujours précédé de tels événements », comme aux Jeux d’Athènes et au Mondial en Afrique du Sud, a souligné Simon Anholt, consultant international et auteur d’un classement des pays les plus populaires au monde. Toutefois, l’ampleur des retards des travaux est telle au Brésil, précise le spécialiste, qu’elle empêche de récolter les fruits d’un événement comme le Mondial. « Tout indique que le pays n’a pas réussi à faire valoir sa compétence, ni raffermi son image en matière économique. Le Brésil semble devoir rester ce pays de la fête, du carnaval et du football. Un pays que l’on regarde avec sympathie, mais que personne ne prend réellement au sérieux. »

Dans une allocution radiotélévisée à la nation, mardi soir, Dilma Rousseff a affirmé, une nouvelle fois, que le Brésil était « prêt, sur et en dehors des terrains ». Après avoir rencontré la presse sportive et les correspondants internationaux à Brasilia, la présidente s’est s’attaquée aux « pessimistes » en insistant sur les bienfaits de l’événement qui serviront « en premier lieu les Brésiliens ». Et d’ajouter : « Amis du monde entier, venez en paix ! Le Brésil, comme le Christ rédempteur, a les bras ouverts pour vous accueillir tous. »

Jeudi soir, au stade de l’Itaquerao, les organisateurs ont prévu de lire un court texte du pape François. Un Argentin.
lemonde.fr

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