Epreuves individuelles et leçon collective. Par Amadou Tidiane WONE ancien Ambassadeur

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Amadou tidiane wone

Dans mon Sénégal à moi, on ne se réjouit jamais du malheur des autres. On médite, en toute chose, la part de leçon qui nous revient. Dans mon Sénégal à moi, on abhorre les conjectures. On préfère le silence méditatif aux commentaires fallacieux.

Dans mon Sénégal à moi, l’on s’abstient de dire du mal des autres. Car, qui sait s’ils ne sont pas meilleurs que vous ? Dans mon Sénégal à moi l’on est si préoccupé à traquer ses propres défauts, afin d’en guérir, que l’on n’a pas une minute pour prendre conscience des tares des autres… Mon Sénégal à moi est fondé sur la Suttura et la Kersa, le ngor, le fitt et le mun. Toutes valeurs passées comme ringardes par les 15 à 20 pour cent de sénégalais alphabétisés en Français dont certains restent encore fascinés par le modèle occidental en cours de décadence. Ces Sénégalais, médiatico-politico-dépressifs qui sévissent sur le web et sur les ondes, ne sont pas illustratifs du Sénégal que je reconnais et que j’aime.

A cet égard, la période que nous traversons est pleine d’enseignements. Pour tous. Pour Karim Wade d’abord : La vie n’est pas un long fleuve tranquille. Elle est jalonnée d’épreuves. Lorsque l’on côtoie les cimes, il faut toujours garder à l’esprit l’autre versant possible de sa propre destinée. La grandeur et la décadence se côtoient et prennent, chacune, son sens l’une de l’autre. Mais c’est dans l’épreuve que l’on se forge et se purifie.

Plus concrètement, de deux choses l’une : Karim Wade est coupable ou alors non coupable des faits qui lui sont imputés. Dans la première hypothèse, la justice dira le droit et les sanctions appropriées lui seront appliquées. Dura Lex sed Lex (la Loi est dure mais c’est la Loi). Il lui faudra alors méditer sur sa trajectoire personnelle et tirer, pour lui-même, les leçons de ses erreurs. Le pouvoir est un attribut de Dieu. Il le délègue à qui Il veut et le retire quand Il veut. Karim Wade devra prendre le temps de dérouler le film de ses années de pouvoir au plus haut niveau. Il devra se souvenir des blessures causées par inadvertance ou par le fait de l’âpreté du combat politique. Il saura alors distinguer les abus commis, s’en repentir et se réformer.

Seconde hypothèse, Karim Wade est déclaré innocent. Il lui faudra alors laver son honneur et réhabiliter sa bonne réputation, sans haine ni esprit de revanche, mais avec une claire conscience que Dieu nous éprouve, les uns par les autres. Au fond, les épreuves qui jalonnent notre existence terrestre nous préparent à devenir meilleurs pour mériter la Miséricorde divine dans l’au-delà. Il sera alors l’heure pour tous ceux qui le vouent aux gémonies, sur la base des informations distillées savamment, de se repentir à leur tour de leurs jugements hâtifs, de leurs médisances, et de leur parti pris.

En vérité, et si les faits qui lui sont reprochés sont avérés, Karim Wade ne sera pas le premier, ni le dernier, à s’être enrichi illicitement dans notre pays. L’ordre de grandeur importe peu, c’est le principe qui est condamnable.

Au Président Wade : Le pouvoir tout entier appartient à Dieu. Rien n’est éternel et il faut savoir partir à temps. Avec un bilan de réalisations plus qu’honorable, il paie les contrecoups d’un déficit d’écoute des voix qui se sont élevées pour lui faire entendre raison. De mon point de vue, j’assume de dire qu’il ne mérite pas tout ce qui lui est infligé ne serait-ce qu’en raison de sa sortie réussie. Il nous aura préservé d’une crise à l’ivoirienne. Il aura, ne l’oublions jamais, joué pleinement son rôle dans l’avènement des deux alternances pacifiques qui valent à notre pays ses lauriers de démocratie majeure. Au demeurant, et à son accession au pouvoir, s’il avait utilisé le levier de l’enrichissement illicite, beaucoup de personnalités en vue auraient eu de la peine à justifier leurs avoirs et leur train de vie. On connaît tous la grille des salaires de la fonction publique sénégalaise. On sait qui gagne quoi. On voit le train de vie des uns et des autres. Tout n’est pas justifiable. Je ne dis pas qu’il faut laisser faire. Je dis qu’il faut être juste. Par ailleurs, un bilan c’est deux colonnes : actif, passif et on balance. Sous ce rapport, le bilan du Président Abdoulaye Wade n’est pas que négatif. Il a réalisé de très grandes choses. Nul ne peut le nier. Il faut avoir le courage de le lui reconnaître. Il a commis de grosses erreurs, il faut avoir la lucidité de le lui souligner. Au demeurant, les acteurs majeurs de la classe politique sénégalaise aujourd’hui sont tous sortis de son école. Ne trouvent-ils pas dans les meilleurs moments partagés des raisons de ne pas détruire l’ensemble de son œuvre ? En tout état de cause, il faut essayer d’être juste, c’est à dire objectif. Je reste disponible pour un débat contradictoire sur ce chapitre.

Au Président de la République Macky Sall et à tous ceux qui exercent le pouvoir depuis le 25 Mars 2012 : regardez bien ce qui se passe autour de vous. Dans quatre ans, viendra votre tour de rendre compte. Evitez donc de tomber dans les travers que vous dénoncez. Mais surtout faites preuve de magnanimité. C’est le privilège du vainqueur. Il ne faut jamais céder à la tentation d’humilier ceux que vous remplacez car, un jour ou l’autre, votre tour viendra. On reçoit toujours la monnaie de sa pièce. Les élites dirigeantes doivent éviter de suivre le sens de la vindicte populaire. Ils doivent tirer, vers le haut, leurs peuples. Il ne faut pas céder à la tyrannie des hurlements revanchards de la foule ni se livrer à des règlements de compte haineux. Aucun pouvoir ne peut lever les mains au ciel et jurer que rien d’inavouable n’a été commis pour y accéder ou pour s’y maintenir. Se parer du manteau de la vertu est aisé. Poser des actes vertueux est plus difficile.

Sous ce rapport, l’actualité récente des tribulations judiciaires de Karim Wade, et de tous ceux qui sont mis en cause dans le dossier sur les biens mal acquis, donne à réfléchir sur la jouissance morbide qui se dégage des commentaires tendancieux sur leurs difficultés de l’heure. Condamnés sans procès, leur honneur jeté en pâture aux quatre vents on est, par dessus tout, surpris par le torrent d’injures et de sentiments haineux exprimés, notamment sur les forums d’internet. Les «revues de presse» en langues nationales complètent le décor en vulgarisant les diatribes les plus violentes, tout autant que les rumeurs les plus rocambolesques.

Rendre vrai l’invraisemblable par la magie de la répétition est devenu une technique éprouvée par certains gourous de la désinformation. Des avis si peu éclairés sont alors mondialisés en raison du transport et de la diffusion instantanée de l’information. Il serait temps, et juste, que les autorités de régulation s’intéressent aux dégâts causés par cet état de fait. L’obligation de modérer les forums, tant radiophoniques que sur le web, est un impératif de service public. Pour des pays aussi fragiles que les nôtres, les questions ethniques et religieuses, la vie privée des personnes, même publiques, méritent une attention toute particulière. Il ne devrait pas y avoir de place pour l’injure et la calomnie dans le débat public. Il appartient aux professionnels des médias de contenir ces dérives et d’élever la qualité des échanges afin que nous puissions tous en bénéficier.

Cela dit, à nous tous sénégalais, qui aimons notre pays et voulons le sortir du sous développement, les temps actuels indiquent qu’il nous faut changer profondément nos paradigmes et revisiter les valeurs fondatrices de notre commun vouloir de vivre ensemble. Un grand peuple se soude autour de valeurs fortes. Des valeurs produites par son génie. Arrêtons de faire du Copier/coller. Si humilier un ancien Chef d’état est de mode sous d’autres cieux, nous pouvons et devons faire mieux. N’oublions jamais que nous avons tous une caméra embarquée, celle du Seul Juge digne de ce nom, Allah Soubhanahou Wa Taala. Il est plus près de chacun de nous que sa veine jugulaire selon le Saint Coran. Aucun détail n’échappe à Ses scribes qui consignent nos faits et gestes, scrupuleusement. Nul ne peut tromper leur vigilance. Cette prise de conscience, conforme à nos croyances et à nos valeurs ancestrales, est nécessaire pour éclairer nos actions et prévenir les tentations d’un mimétisme caricatural.

Tels sont, à mon humble avis, les grandes lignes de la leçon collective à tirer et les fondements de la restauration d’une écoute et d’un respect mutuel, préalable à un dialogue constructif et à un grand rassemblement sur l’essentiel. Se parler, s’écouter et enfin s’entendre, c’est là une des voies à explorer pour rasséréner le débat public et construire un large consensus sur les urgences qui nous interpellent. Nous autres, du Continent premier.

Amadou Tidiane WONE

Ecrivain,

Ancien Ministre, Ancien Ambassadeur

[email protected]

1 COMMENTAIRE

  1. « On sait qui gagne quoi. On voit le train de vie des uns et des autres. Tout n’est pas justifiable »,donc dans ton Sénégal à toi on épie, on conjecture, on juge! Wone, ton passé de membre influent de la Génération du Concret t’enlève toute crédibilité pour nous donner des leçons. Tu fais partie de ceux qui ont perdu ce gosse! Au demeurant, ta plume est toujours belle, va écrire des romans, tu es bien meilleur dans cet exercice!

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