Le président sénégalais prend des airs de responsable de la communication de la nouvelle compagnie aérienne publique. Anticipation de la campagne électorale ? Des critiques fusent déjà…
S’il y a des contrées où les trônes vacillent à l’évocation de liaisons coupables, les dirigeants africains sont souvent mis sur la sellette à la suite d’acquisition d’avions. Même réélu, Ibrahim Boubacar Keïta se souviendra du tollé provoqué par l’achat d’un Boeing, en 2014. Quant au jet privé qui suscita l’indignation des Sud-Africains, en 2015, il dévoila à nouveau les goûts de luxe du régime de Jacob Zuma. C’est aujourd’hui le nom du président sénégalais qui est associé, dans la presse et sur les réseaux sociaux, à l’acquisition controversée de deux avions, opération qualifiée, par certains journalistes, de « scandaleuses dépenses de prestige de Macky Sall »…
Il ne s’agit pourtant pas de l’aéroplane présidentiel, mais d’appareils Airbus destinés à la nouvelle compagnie nationale, Air Sénégal SA. Si le chef de l’État s’implique médiatiquement dans cette opération entrepreneuriale, c’est peut-être qu’il est en pré-campagne électorale. C’est aussi parce que la compagnie aérienne sénégalaise – dont le capital social de 40 milliards de francs CFA, libéré à hauteur de 23 milliards, est détenu par la Caisse de dépôts et consignations – a les dents aussi longues que furent lourds les échecs de ses devancières, Air Sénégal International et Sénégal Airlines.
Volontarisme ou précipitation ?
Après Ziguinchor, depuis mai dernier, la société devrait prochainement transporter les voyageurs vers huit destinations régionales (Abidjan et Cotonou déjà, puis Bissau, Banjul, Praia, Conakry, Bamako et Ouagadougou) et vers Paris d’ici le 1er février, à la place de la compagnie française Corsair. Le frais émoulu aéroport international Blaise Diagne de Diass (AIBD) s’approcherait ainsi d’un véritable hub aérien régional, un vœu cher à Macky Sall. Un tel succès viendrait gonfler la besace du candidat-président à l’élection de février 2019…
Le volontarisme n’est pas un défaut en politique, tant que l’ambition ne se mue ni en précipitation ni en folie des grandeurs. Or c’est la gestion du parc aéronaval de la compagnie qui inspire le qualificatif de « dépenses somptuaires », tout particulièrement l’acquisition de deux Airbus A330-900neo dont la commande avait été formalisée lors de la visite du président français Emmanuel Macron à Dakar. Au-delà des coûts évoqués dans tel ou tel organe de presse, c’est l’alternative achat vs location qui fait débat. Le quotidien sénégalais “Source A” évoque les recommandations du Cabinet Seabury qui aurait produit, sur demande de l’État du Sénégal, un business plan favorable à la location de deux ATR et de quatre Airbus A319 ou A330-200.*
En attendant les bilans
Des recommandations dont fera fi le directeur général d’Air Sénégal SA, Philippe Bohn, arguant à l’AFP que « la plupart des compagnies africaines se sont plantées parce qu’elles ont loué leurs avions en contractant des dettes ».
Dans la presse et sur les réseaux sociaux, les spécialistes et les béotiens tergiversent sur les avions achetés, certains évoquant une perte significative de la valeur après six ans d’exploitation et d’autres vantant un excellent retour sur investissement pendant une trentaine d’années. Il reviendra à la compagnie, le moment des bilans comptables venus, de faire taire les procès d’intention ou de démentir la langue de bois présidentielle. Aux électeurs, entre temps, de faire comprendre à Macky Sall s’il a été visionnaire ou présomptueux.
Jeuneafrique