Conditions de réussite d’un dialogue politique ( Par ABDOU EL MAZIDE NDIAYE)

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CONDITIONS DE RÉUSSITE D’UN DIALOGUE POLITIQUE

Le Sénégal a connu des dialogues politiques fructueux comme celui qui a donné naissance au code électoral consensuel. Ce fut aussi le cas dans le comité de veille et toutes les commissions de mise à jour du code électoral jusqu’en 2012. Tout repose sur :

  1. Une préparation rigoureuse des organisateurs ne laissant aucun doute sur l’égalité des participants,
  2. Réussir un premier accord sur le Format et les Règles du dialogue,
  3. Le respect de l’adversaire pour lui accorder l’écoute et la compréhension nécessaire,
  4. Le sens de la responsabilité et  l’engagement de chacun envers la mission de trouver et d’accepter ce qu’il y a de mieux pour tous les citoyens.

Les 3 définitions du dialogue en français caractérisent les méthodes de travail des trois grands groupes qui organisent des dialogues sur les politiques ou dialogues politiques.

1    conversation entre deux ou plusieurs personnes  

2    ensemble des paroles échangées entre des personnages de film  

3    discussion pour parvenir à un compromis  

La première définition caractérise les discussions dans la société civile où on ne réunit pas la base pour aller en réunion parce que dans la plupart des cas la discussion porte sur des questions de principes connues dont on cherche des techniques pour augmenter l’efficacité. Les délégués d’une ONG  pour une réunion sur la corruption n’ont pas besoin de rencontrer une base parce que l’objectif partout sera d’augmenter la sévérité des sanctions, l’amélioration des techniques d’investigation, l’application des lois et la transparence dans les contrats, les rapports des institutions de contrôle et d’inspection, l’arrêt des trafics d’influence  et des interventions pour extraire certaines personnes des poursuites judiciaires etc. Il en est ainsi des autres débats politiques comme le blanchiment d’argents sales, les injustices envers les pauvres et les faibles, l’inégalité de droit au travail, à la santé, à participer au processus électoral, à recevoir une éducation de qualité (école publique) …

La deuxième qualifie surtout les discussions politiques organisées par les médias dans lesquelles tout le monde se met en tenue d’apparat, arbore son meilleur sourire et met en évidence son charme, sa compétence, son engagement, et parle plus à des gens hors du plateau mais dont le jugement importe plus pour lui que l’opinion de ceux avec lesquels il est en débat. Parfois, on a bien l’impression qu’ils ne s’écoutent pas et chacun semble faire son show en répétant à satiété la même litanie préparée à l’avance.

La troisième définition est celle qui se passe entre les partis politique dont la ligne s’appuie sur des principes voire même une idéologie dans les partis d’avant-garde mais aussi dans les rencontres de haut niveau lorsqu’une décision entraîne des conséquences pour tous et qu’aucune des parties n’a la certitude de pouvoir gérer seul les conséquences. C’est toujours le cas lorsque le rapport de forces peut basculer d’un camp à l’autre si un événement grave arrive par la faute de l’une des parties. C’est souvent le cas lorsque les parties se respectent et décident par patriotisme de collaborer en mettant en veilleuse les campagnes électorales dans lesquelles le pays est plongé en permanence.

C’est ce dialogue politique qui nous intéresse et qui mérite que nous essayions de mettre toute la réflexion autour de comment y parvenir. Deux grands groupes de conditions sont à remplir ; elles sont techniques ou psychologiques  ou les 2 à la fois dans tous les gestes posés par les organisateurs ou les participants. Il n’est pas utile de s’attarder sur les questions d’éducation, impolitesse, arrogance, acharnement, harcèlement, vulgarité qui peuvent générer une atmosphère stérilisante pour toute discussion.

Nous pouvons assister à un dialogue politique sincère avec la volonté d’être constructif si nous avons la conviction de pouvoir en tirer quelque chose de positif pour la collectivité, la zone géographique ou le sujet ou domaine qui sera traité. La question sera donc en premier lieu de savoir avec qui on doit débattre, de quoi, pourquoi … ?

Si nous avons un Intérêt pour la ou les thématiques

Nous participons à un dialogue politique pour apprendre et contribuer. Les organisateurs en principe invitent ceux qui peuvent faire avancer le sujet par leurs compétences et leur expérience de la question. Il ne s’agit pas seulement de question juridique comme on le voit souvent (code électoral, code foncier, code minier, code forestier, code de la famille…) et pas seulement économique (code des investissements, ajustement structurel, Plan Sénégal émergent, système fiscal…)  ni strictement social  (emploi, santé, accès à l’eau, l’électricité…) mais de tout ce qui concerne la communauté locale ou nationale.

Les organisateurs ont donc à être très précis sur :

  1. Le but visé par la rencontre pour que ceux qui envisagent de participer sachent  ce qui est attendu d’eux et sachent  s’ils veulent et peuvent y contribuer.
  2. Un texte d’introduction devrait camper le débat pour faire réfléchir aux compromis envisageables et les arguments pertinents pour que les conclusions soient de qualité.
  3. Les sujets qui seront introduits et les noms des auteurs (panélistes et discutants), ainsi que le temps prévu pour chaque orateur et pour la discussion.
  4. Il est parfois sinon toujours utile d’indiquer ce qui ne sera pas discuté même si certaines questions sont liés (Exemple : parrainage et constitution)

Si nous visons un dialogue politique pour chercher un compromis (3ème définition) tous les participants devraient recevoir l’ensemble des documents dans un délai d’au moins une semaine.

Accord sur le dispositif organisationnel :

Les objectifs clairs et bien définis sont déterminants, car plus ils sont clairs, plus vous aurez des chances de voir réunis dans la salle les interlocuteurs ou participants d’envergure.

Les acteurs clés (modérateurs, facilitateurs, rapporteurs …) devraient être choisis dans la salle en présence de tous en toute transparence afin que les choix soient consensuels  pour éviter toute suspicion de manipulation. Bien entendu, si la salle n’arrive pas rapidement à s’accorder sur un choix, les organisateurs peuvent faire des propositions qui généralement sont acceptées s’ils ont une certaine confiance en eux.

Tous ces points qui relèvent surtout de détails techniques peuvent, lorsqu’ils sont ignorés, faire rater la rencontre. On voit parfois, dans la précipitation, chacun de ces points être oublié. Il arrive même que l’on oublie de préciser la date, le lieu où  l’heure de début et de fin alors que l’agenda avec les tranches horaires de chaque partie devrait être connu des participants avec surtout beaucoup de temps pour la discussion afin que soit donné à chacun la possibilité de contribuer. Le modérateur doit rigoureusement discipliner les panelistes pour qu’ils restent dans leur tranche horaire autant pour leur introduction que pour la réponse aux questions et aux contradicteurs. Autrement, si la liste des débatteurs est longue, on se voit obligé de n’accorder qu’une seule minute par intervenant ou prolonger la rencontre jusque tard dans la nuit avant de trouver le compromis recherché.

Ce compromis doit être clair et aussi précis que possible et balisé dans le temps avec les rôles et responsabilité des uns et des autres quant au suivi. Autrement, on se sépare gentiment d’avoir bavardé mais avec la conviction qu’il ne se passera rien après la rencontre.

Résultat concret possible ou non

Il faut qu’un dialogue politique soit différencié des ateliers, forum, colloques. La meilleure formule, le plus souvent, est celle où le dialogue n’est ouvert qu’aux personnes invitées, où les participants sont en nombre relativement restreint et où le protocole est mis à l’écart  ou presque. Les militants, les animateurs, les laudateurs, assistants ou griots devraient être tenus à distance car leur présence peut fausser l’attitude et créer de la rigidité dans les positions. Le « diambarisme », le mépris de l’adversaire pouvant entrainer des répliques plus agressives et moins courtoises conduisant à une escalade qui peut entrainer le fiasco pour la rencontre.

Un minimum d’humilité est attendu de celui qui vient sincèrement chercher un compromis pas une victoire. Or au Sénégal les délégués croient avoir besoin de démontrer à leurs mandants qu’ils ont été intransigeants et fermes pour empêcher tout succès de l’adversaire en démolissant toutes ses propositions au point d’obtenir que la réunion finalement débouche sur un échec au détriment de tous.

Écarts de pouvoir et de responsabilité :

Il est nécessaire que chaque participant ait conscience que le niveau des responsabilités n’est pas le même car certains auront obligatoirement le devoir d’en assumer plus dans l’exécution des décisions ou des compromis découlant des consensus trouvés à l’issue des débats. Il est normal qu’ils soient plus lents à accepter d’assumer des compromis avant d’en avoir discuté avec ceux qui devront avec eux, assumer ces responsabilités. Il est malheureusement très fréquent que cette prudence soit considérée comme une manœuvre suspecte.

« Un dialogue politique reconnait pleinement ces écarts de pouvoir, mais cherche à cerner les domaines où il est dans le meilleur intérêt de tous d’apporter des améliorations et des réformes. »

Dès le début, il faudra :

Partage des rôles entre les camps

L’idéal est que tout défenseur d’une idée soit capable de donner des gages de son engagement à participer à la réalisation concrète des tâches qui en découlent. Cet engagement à mettre la main à la pâte est aussi le meilleur signe de sincérité capable de lever certains doutes.

Menaces sur les participants

Aucun participant ne doit menacer même subtilement ou de manière nuancée car cela n’a pour conséquence que le raidissement conduisant à l’escalade ou l’humiliation d’un participant qui n’ose pas braver l’affront et qui finira par quitter.

D’un autre côté, abuser de l’égalité des acteurs pour bloquer le cours des discussions et empêcher que la réunion n’avance sans noter un point de vue dont l’auteur n’a pu convaincre n’est pas acceptable. Souvent un participant sentant qu’il n’a pas assez d’arguments pour faire passer une proposition de ses mandants adopte l’attitude typique de vouloir prendre la parole souvent et trop longtemps chaque fois.

Risques de corruption des délégués (transhumance)

Les participants doivent interdire à leurs délégués de corrompre les membres des autres délégations. La fréquence de pareilles pratiques peut entrainer la désaffection des rencontres avec ceux à qui ces pratiques sont attribuées. Ce sera la fin du dialogue inclusif.

Risque de confiscation des résultats

Il faut que les participants s’engagent à être constructifs pour la recherche d’un accord ou un consensus. Il faut aussi que l’engagement soit prolongé jusqu’à l’application des accords.

Si le dialogue devient litigieux ?

La tendance des politiques lorsque le dialogue devient difficile parce que le rapprochement des points de vue semble bloqué,  chacun commence à prêter à l’autre des intentions et les plus sages  commencent des discours moralisateurs sans effet parce que ceux à qui ils sont adressés croient que la morale est de leur côté.

D’autre commencent des incantations patriotiques, pour l’indépendance, la souveraineté du peuple, l’anticolonialisme, la foi en notre nation…ce qui est voué à l’échec puis les autres se croient plus ancrés sur ces valeurs que celui qui parle.

Si le modérateur ne réoriente pas les débats en rappelant que personne n’a le monopole du patriotisme, les affrontements vont commencer en escalade. La difficulté d’accorder à l’autre les mêmes vertus que l’on se croit porteur déclenche le mépris et même si le calme se rétablit les esprits se verrouillent et le blocage peut devenir définitif.

Le contexte ou le moment psychologique

C’est la question la plus importante dans la possibilité (enabling) ; rendre possible le dialogue. En effet toutes les tentatives d’organisation de dialogue par la société civile qui n’ont pas abouti ont échoué parce que chaque fois l’un des camps a considéré que le dialogue était inutile ou inopportun parce que :

  1. On croit que l’adversaire est dans le désarroi et qu’il veut dialoguer pour éviter le coup de grâce. C’est ainsi que l’opposition en 2017 après nous avoir clairement demandé de contacter le président pour un dialogue a dit 2 jours après que nous ayons obtenu l’accord du président qu’elle n’était plus intéressée à dialoguer avec un président qui « dans le désarroi manœuvre sa béquille de société civile ». En fait entre temps Abdoulaye Wade était arrivé et a retourné totalement ses troupes.
  • On prête à l’adversaire de préparer des manœuvres inavouées et dont on ne voit pas clairement les signes. On pose alors de conditions que l’on sait inacceptables pour l’autre partie avant tout dialogue. Cette partie refusera systématiquement cette conditionnalité parce que sachant qu’en acceptant toutes ces conditions elle irait à Canossa en position de faiblesse. Le Président Wade l’a fait en lançant à l’opposition une invitation à venir dans 3 jours dans un discours public tout en raillant celle-ci. Evidemment l’opposition avait ignoré complètement cette invitation.
  • On considère que l’adversaire a pour tactique de retarder la prise de décision par le gouvernement et on planifie toutes les décisions même celles qui pourraient faire l’objet de dialogue. C’est ainsi que parfois pendant le dialogue entre pouvoir et opposition on apprend que l’Assemblée Nationale discute du même sujet et comme l’opposition sait qu’elle votera ce que le pouvoir lui demande de voter, celle-ci se sentant trahie décide de quitter la rencontre.

Ce n’est pas pour dire que ceux qui n’arrivent pas à se débarrasser de préjugés sur l’adversaire ont tort surtout que des faits d’histoire peuvent le justifier. Cependant la condamnation définitive de l’adversaire ne peut pas justifier le refus de dialoguer sans inclure un aveu de faiblesse. En effet si on est certain de connaitre celui-ci sans se croire capable de le ceinturer et d’anticiper sur ses tendances, on s’avoue incapable de le combattre pacifiquement par le dialogue. C’est aussi reconnaitre qu’on ne le connait pas assez pour le contrôler dans un cadre normé en présence de plusieurs témoins, surtout lorsque la possibilité vous est donnée d’établir les normes et le format du dialogue.

Un membre de la société civile a résumé d’une manière qui me parait satisfaisante ce que doit être un DIALOGUE POLITIQUE.  Je vous soumets ce paragraphe à votre réflexion.

« Nous prônons un dialogue politique constant, franc et soutenu dans notre pays et ceci à tous les niveaux tant avec les acteurs politiques qu’avec les corps intermédiaires du dialogue social dans la recherche d’une solidarité sociale durable et d’un pacte de stabilité sociale solide. Ceux du pouvoir qui pensent que le seul espace du débat parlementaire suffirait pour dire qu’il y a un dialogue politique dans notre pays se trompent. Ils doivent être plus ambitieux et plus volontaires à aider à apaiser le climat politique et social en élargissant les acteurs et les lieux de ce dialogue. Le débat parlementaire est un acquis institutionnel lié au fonctionnement de nos institutions comme nous les avons voulues. Mais le dialogue politique est signe de maturité et de dépassement des leaders politiques qui doit être suscité par le chef de l’Etat. Ce dialogue est nécessaire à la stabilité du pays et au rayonnement du Sénégal. Le chef de l’Etat en a la responsabilité et la société civile sera toujours là pour encourager et rendre possible ce dialogue qui est à institutionnaliser. »

ABDOU EL MAZIDE NDIAYE

Président du GRADEC

(Texte introductif présenté à l’occasion de la troisième édition du Forum des Partis Politiques)

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