Confidences de Me Senghor (Président de la Fédé foot) : La tanière au cœur – Le décret Abdou Diallo – L’engagement «écrit» de Sadio Mané

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Premier président de Fédération champion d’Afrique, il est entré dans l’histoire du football sénégalais par la grande porte. Plus d’une semaine après le sacre des Lions, Le Quotidien est revenu avec Me Augustin Senghor sur cette Can mémorable, avec une immersion dans la Tanière, rythmée par des anecdotes et confidences. Entretien.
Président, plus d’une semaine après le sacre des Lions, vous ne rêvez pas, vous êtes champion d’Afri­que ?
(Rire). Oui, nous sommes champions d’Afrique ! Et je pense que c’est quelque chose qui était programmé depuis quelques années. Parce que nous avons essayé de planifier dans le temps. La réussite du football sénégalais est à travers cette consécration. Je pense que ça a pris du temps mais au finish, on voit que nous avons été sur une courbe ascendante depuis quelque trois éditions de Can. Cela démontre que lorsque le travail est planifié, nonobstant la part imprévue que recèle le sport, et le football en particulier, forcément on arrive toujours au bout. En clair, pour pouvoir espérer gagner un jour, il faut s’inscrire dans la durée au niveau des performances, être dans les meilleures compétitions et parmi les meilleurs. C’est ce qu’on a fait et ce n’est pas un hasard que nous sommes consacrés champions d’Afrique au bout de trois ans de règne au niveau du classement Fifa/Afri­que.
Je pense qu’il s’agisse de nous sénégalais comme pour tous les observateurs et même nos autres adversaires, on a le sentiment que ce n’est que justice. Parce que c’était l’aboutissement de beaucoup d’efforts qui ont été réalisés dans le temps et d’une bonne organisation, une détermination collective. C’est ça qui a payé.
Je suis conscient que ce succès est le fruit d’un travail abouti à différents niveaux, au niveau fédéral certes mais aussi au niveau des joueurs, des autorités sénégalaises et même du Peuple sénégalais qui à un mo­ment donné a poussé pour que ce trophée vienne au Séné­gal.
En parlant d’objectif, on a senti que vraiment vous y croyiez. En témoigne le slogan «Manko Wuti Ndam­li». Qu’est-ce qui explique une telle confiance avant et pendant la Can ?
Ecoutez, c’était juste une certitude tirée du sentiment d’avoir fait un travail de planification avec l’ensemble de l’équipe fédérale depuis quelques années et puis avec, comme je l’ai dit, l’Etat et la conscience que nous avons une génération de qualité qui adhérait au projet. Autour aussi d’un entraîneur sénégalais qui a eu à travailler à côté d’une fédération qui lui a fait confiance. Un entraîneur qui a pu progresser, apprendre de ses erreurs, faire preuve d’humilité, et tout cela mis ensemble ne pouvait que nous mettre que dans une certaine confiance. Et cette con­fiance on l’a sentie aussi chez les joueurs. Vous avez entendu le capitaine de l’équipe, Kalidou Koulibaly, lors de la remise du drapeau, quand il a dit qu’ils sont maintenant prêts pour aller à la compétition et remporter le trophée. Il y avait de la motivation à tous les niveaux. Il y a aussi le message des jeunes à l’accueil des Lions en 2019, avec la fameuse phrase : «Amoul décourager !» On savait donc que sur cette Can, nous avions d’énormes chances de pouvoir gagner ce trophée-là. Et c’est ça qui fait que nous étions habités par une telle confiance.
N’avez-vous pas douté lors de la finale suivie de prolongations et surtout avec la série des tirs au but qui ne nous réussit pas sou­vent ?
Il est vrai que lors de la finale, c’était très difficile. On a raté un penalty, on a eu énormément d’occasions qu’on ne marque pas, je n’ai jamais déchanté, même aux tirs au but. Des séances qui n’avaient pas l’habitude de nous réussir. Mais cette fois-ci, je sentais que l’histoire s’écrirait autrement. J’étais avec le ministre Matar Bâ et d’autres officiels et ils savent que je n’ai jamais douté durant ce match-là. Je suis resté optimiste jusqu’au bout. Et je pense qu’il y avait cette force collective que l’équipe dégageait, que les joueurs dégageaient, notamment les cadres, qui faisait que moi qui vivais avec eux, je savais qu’ils allaient ramener ce trophée aux Sénégalais. Et d’ailleurs, je vais vous faire une confidence, on était tellement confiants que certains avaient même proposé qu’on joue la Can avec des maillots étoilés (rire).
Justement, beaucoup ont été impressionnés, surtout par cette force mentale qui a animé le groupe durant toute la Can…
C’est vrai que l’équipe a montré une force mentale extraordinaire qui se résume par le fait qu’en trois matchs de poule, nous avions pris zéro but. Sur une Can, c’était presque une première et ça montrait que même dans la difficulté, cette équipe était solide. Et aussi qu’elle était capable de transformer des handicaps en atouts. Et ça c’était une des clefs aussi qui devaient faire penser que le Sénégal cette fois-ci irait loin. La mayonnaise n’avait pu prendre correctement parce que d’abord, on ne peut pas l’oublier, les clubs européens avaient obtenu de la Fifa qu’on ne libère pas tôt nos joueurs. On avait dû annuler notre préparation en altitude. Il y avait beaucoup de facteurs quand même qui pouvaient entraîner une élimination que nous avons su surmonter. Et je pense qu’au sortir de toutes ces épreuves, ça a forgé une solidarité, une solidité mentale qui nous ont servi sur les phases décisives. Donc tout ça montre que l’équipe était à 100%, voire à 200% prête pour aller à la conquête de cette Can.
A partir du troisième match, quand on a commencé à récupérer notre groupe, l’équipe est montée en puissance et le groupe est devenu plus fort mentalement. Et justement, concernant la vie du groupe, il y a des scènes qui étaient cocasses surtout quand on a gagné en demi-finale. On a vu dans le groupe certains à la limite «décréter» que personne ne doit jubiler parce qu’aller en finale, ce n’est pas notre objectif. C’est gagner la coupe qui est notre objectif (une vidéo de Abdou Diallo le confirme). Et ce qui est formidable, c’est que les autres les ont écoutés. Car quand il y avait de la joie dans les vestiaires, les joueurs se sont dit : «Non ! Non ! On ne peut pas jubiler.» On peut être contents mais faut garder notre calme. Et vous avez vu à la finale, ils ont été concentrés pendant 120 minutes et au-delà, aux tirs au but. Mais une fois que la victoire est acquise, ils se sont enfin lâchés. C’était extraordinaire. Ils venaient de se rendre compte qu’ils venaient de relever un défi immense pour tout un Peuple. Ça c’est magnifique.
Il y a eu aussi l’épisode de la blessure de Sadio en pleine Can et aussi l’affaire Ismaïla Sarr…
Les cas de Sadio Mané et Ismaïla Sarr, ce sont vraiment des exemples de patriotisme. Suite à sa blessure contre le Cap-Vert, Liverpool ne voulait pas que Sadio continue à jouer. En tout cas, il se souciait de savoir est-ce qu’il ne valait pas mieux qu’on respecte le protocole Fifa et qu’on ne le fasse pas jouer. Et ça aussi, il y a de belles histoires à raconter sur les joueurs. Je n’ai jamais vu une équipe du Sénégal avec des joueurs aussi déterminés, aussi engagés. En guise de réponse, Sadio nous a dit : «Je suis là pour la Can et je vais jouer. Je me sens bien. Ce match-là, je vais le jouer. Et même si vous voulez, je vous signe un papier qui montre que je me porte bien. C’est moi qui ai décidé de jouer.» Des mots très forts qui renseignent sur l’état d’esprit du joueur.
Même chose pour le cas de Ismaïla Sarr. Une affaire facile à gérer car le joueur lui-même avait décidé de jouer. Mais dans tous ces combats-là, on a voulu être très professionnels. Vous avez vu qu’avec Watford, on a respecté tout le plan de retour à la compétition du joueur. On a même accepté de libérer Ismaïla pour qu’il parte à Barcelone pendant une dizaine voire une quinzaine de jours en pleine compétition. D’un autre côté aussi avec Sadio, le soir de sa blessure, on a fait les scanners, il n’avait rien. Le lendemain il se portait comme un charme. Mais les médecins lui ont dit : «Tu ne peux retourner directement sur le terrain.» On lui a imposé un repos de deux jours. Après il est revenu progressivement à l’entraînement d’abord, puis à la compétition. Et le jour du match, au vu de la pression qu’il y avait de la part de son club et de la Fifa qui voulaient qu’il ne joue pas prétextant une commotion, par mesure de sécurité, le matin même du match, on l’a amené dans une clinique pour refaire un scanner qui n’a rien décelé. Et vous avez vu qu’il nous a fait un match époustouflant. Ce sont des éléments qui ont été capitaux dans l’obtention de ce résultat, de cette première Coupe d’Afrique de l’histoire du football sénégalais.
On a aussi noté que les binationaux se sont vite adaptés…On pense à Abdou Diallo, Bouna Sarr et autres.
Effectivement, moi qui les ai toujours côtoyés, j’ai toujours pensé qu’il y a de faux clichés qui sont véhiculés et qui ne reposent sur rien. Mais après, ils ont besoin des fois d’un temps d’adaptation. Et pour les cas de Abdou Diallo, Bouna, Nampalys et tous les autres, ils n’ont pas eu besoin d’un temps d’adaptation. Je pense que ce sont des joueurs qui déjà ont commencé à suivre l’Equipe nationale bien avant de venir et qui ont connu le Sénégal bien avant. Ça leur a facilité la tâche. Et je suis sûr que certains parmi eux ont parlé à leurs aînés avant de venir et qui les ont mis sur la voie. Et vous savez que quand quelqu’un choisit de venir jouer pour son pays, il est prêt à tous les sacrifices. Il faut que les Sénégalais le comprennent. Il n’y a pas pour moi de joueurs de l’Equipe nationale binationale ou locale, il y a des patriotes, des Sénégalais qui viennent pour mouiller le maillot, ils l’ont bien fait. Il faut saluer cette osmose au sein de l’équipe où il n’y a pas de clan. On ne reconnaît pas les titulaires et remplaçants. Tous ont tiré dans la même direction et dans la solidarité.
Le discours du chef de l’Etat lors de la remise du drapeau a été aussi galvanisateur…
Oui ! Je pense que c’est une Can qui est assez spéciale, car tout le monde a mouillé le maillot, y compris le Président Macky Sall qui a été très conquérant, très combatif. Lors de la remise du drapeau national, il n’est pas venu dans la solennité, il a parlé de manière crue aux joueurs en leur disant : «Coupe Bi Lagnou Beugeu. Ndam Lagnou Beu­geu.» Donc ce sont des messages forts que les joueurs ont su capter. Dans les moments difficiles, ils se sont rappelés de ces messages du Président. A côté de ça, on avait lancé le slogan, «Manko Wuti Ndamli». Donc, aujourd’hui je dois saluer le leadership du Président Macky Sall à ce niveau. Il a certes accompagné mais il ne s’est pas arrêté à l’institutionnel, au-delà par son discours, il a touché la psychologie des joueurs. C’est une occasion pour nous de le re­mer­cier.
Pourtant, les choses étaient mal embarquées au début de cette Can avec surtout les cas de Covid…
En effet, on a démarré avec beaucoup de mauvaises fortunes, d’impairs indépendants de l’équipe de la Fédération. Donc c’étaient des cas de force majeure, avec les cas de Covid et des blessures. Et ça s’est annoncé très tôt avec la grosse blessure de Krépin Diatta, Ismaïla et Kalidou ont suivi. Mais cela avait la particularité de nous mettre dans une Can différente des autres. On sait que le Sénégal très souvent a eu l’habitude ces derniers temps de démarrer ses Can sur les chapeaux de roues, de sorte qu’on était très vite exposés. Et ça nous met en danger. Mais ces fortunes diverses dont j’ai parlé, ces problèmes que nous avons connus, nous ont fait démarrer tout doucement. Mais malgré tout, nous avions pu terminer premiers de notre groupe. Ces difficultés étaient pour moi un signe annonciateur de notre triomphe au soir du 6 février. Donc finalement, on arrivait même à transformer le négatif en positif. Ça a fait que nous avons surfé sur cette force mentale, collective pour aller à la conquête de ce trophée. Les enseignements que l’on peut tirer sont que c’est dans la difficulté qu’on se forge un mental de fer,  en misant sur cette capacité à développer une solidarité, à être résilients, à gagner même dans la souffrance. Et aussi même dans tout ça, on a senti qu’il y a eu une Fédération qui est là et qui a tenu à se faire respecter par ces clubs européens qui ont voulu nous imposer certaines choses. Et à ce niveau, nous avons été intransigeants. On n’avait rien à prouver. On voulait juste que tout ça se fasse dans les règles de l’art et surtout pour que toutes les chances soient de notre côté. On avait perdu Krépin, Ismaïla revenait. Pour nous, il était hors de question de le perdre.
Aujourd’hui, je pense que nous sommes tous contents. Watford l’est, Ismaïla va leur revenir plus fort. Je pense aussi que Liverpool et son entraîneur doivent être satisfaits de la prestation de Sadio Mané pendant cette Can. Et ils doivent être heureux que Sadio revienne auréolé d’un titre de champion d’Afrique. Tout ça c’est tout bénef, pour l’ensemble de l’effectif qui est retourné en club plus fort mentalement avec une étoile sur le maillot. Et ça compte aussi dans le rendement de ces joueurs en club. Le vrai combat c’est ça. C’est de montrer aussi aux clubs européens qu’ils doivent faire confiance aux fédérations africaines. Mais nous aussi nous devons travailler à le mériter. Qu’on soit plus professionnels, qu’on montre qu’il n’y a aucun risque à laisser un joueur, quel que soit son talent, venir jouer avec son Equipe nationale en Afrique. Il y a beaucoup de clichés qui reposent sur du faux que nous devons combattre en montrant également qu’on est capables, comme dans n’importe quelle Equipe nationale du monde, de faire venir nos joueurs et les gérer de manière professionnelle. Parce qu’aujourd’hui dans nos staffs, technique, médical ou autres, nous avons des hommes de qualité qui sont rompus à la tâche, qui sont très experts dans leur domaine. Et ça c’est important qu’on mette les clubs européens en confiance et surtout qu’on essaie de respecter les engagements que nous prenons vis-à-vis d’eux.
Vous avez toujours cru en Aliou Cissé. Vous l’avez toujours soutenu malgré parfois des périodes difficiles…
Il faut saluer le travail de Aliou Cissé qui, par son abnégation, sa haute conviction, a toujours cru qu’il était sur le bon chemin. Et c’est pourquoi nous pouvons être fiers de cette victoire qui est vraiment une victoire sénégalaise de bout à bout, même si à un moment ou à un autre certains ont pu décrier le choix de Aliou Cissé dans la durée, mais c’est inhérent aussi à la vie sportive. Nous savions que ce que nous cherchions ne pouvait se construire que dans le temps. Aliou est là depuis 2011, c’est plus de dix ans. On avait senti qu’on avait besoin dans le projet de valoriser l’expertise sénégalaise, locale. Et en partant d’un entraîneur jeune mais qui a un vécu du haut niveau. Il ne faut pas l’oublier, Aliou, nous sommes allés le chercher parce qu’il était entraîneur, il avait tous ses diplômes, aussi il a été capitaine de l’équipe de 2002. Dans sa génération, il était parmi les rares avec Omar Daf à avoir décroché un diplôme pour être entraîneur. D’autres ont suivi comme récemment Habib Bèye. Et donc à l’époque, Omar Daf n’était pas disponible, Aliou l’était plus. Et puis Aliou était plus engagé à venir servir son pays. Et je pense que ça a été déterminant. Il a toujours eu ce patriotisme même quand il était joueur. Le maillot national, il ne tergiversait pas avec. Il a continué comme ça. Il avait besoin de temps pour acquérir de l’expérience. Ce temps-là, on s’est évertués à le lui donner. Parce que nous croyions à l’expertise locale. Aujourd’hui, Aliou Cissé avec l’entraîneur algérien, Belmadi, depuis trois ou quatre ans, ce sont les meilleurs entraîneurs sur le continent, en tout cas avec les équipes nationales.
Aujourd’hui ce qui arrive à Aliou, je pense qu’il le mérite bien. Ça va changer le regard non pas des observateurs, mais des dirigeants du football au niveau mondial sur l’expertise sénégalaise et aussi l’expertise africaine. Ce que Aliou a fait d’autres peuvent en être capables. Il a balisé le chemin pour ceux-là. Sur cette Can 2021, il y a eu plus d’entraîneurs locaux ayant qualifié leur équipes que d’entraîneurs étrangers. On a vu le Nigeria qui a renouvelé sa confiance à d’anciens internationaux. Ça veut dire que la tendance va changer. Ça ne veut pas dire qu’on rejette l’expertise étrangère mais qu’il faut travailler avec nos fils en leur donnant les moyens de rivaliser avec les autres qui titillent le haut niveau.
La coupe est là. Et les Sénégalais attendent deux choses : d’abord la tournée nationale de présentation et le maillot étoilé.
(Rire) Normal. Maintenant qu’on est champions, les Sénégalais aimeraient tous arborer le maillot étoilé. Ils ont commencé à faire des flocages artisanaux entre guillemets. Nous de notre part, c’est vrai qu’il y a une pénurie de maillots sur Dakar. Mais on va contacter Puma pour qu’il puisse faire une édition spéciale, avec une étoile. Je pense que ça pourrait être fait rapidement. Pour la tournée de la Coupe d’Afrique dans les régions, c’est en train d’être programmé, comme souhaité par le président de la République. On a eu la semaine passée une réunion avec le ministre des Sports et mes collègues du Comité exécutif dont Abdoulaye Sow, pour discuter de ça. Et les choses vont se préciser concernant cette tournée après la tenue de notre réunion d’évaluation sur la Can de ce mardi. Je ne saurais terminer sans remercier encore une fois le Peuple sénégalais pour son soutien et cet accueil extraordinaire. Mention spéciale aux Goréens qui ont aussi réservé à leur maire un accueil mémorable. Le travail continue. Main­tenant place à la Coupe du monde et à notre match contre l’Egypte.

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