Eloge de la tortuosité Par Vieux Savané

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Le Président Wade se dit disposé à des élections anticipées si tel devait être le souhait de l’opposition. Il se garde bien de préciser que pour rendre cela possible, il devra au préalable, démissionner et céder son fauteuil à Pape Diop, président du Sénat, nommé et non élu. Avec tous les risques y afférents. Il a aussi affirmé n’avoir jamais eu l’intention de se faire remplacer par son fils. Même si, s’est-il permis de faire remarquer à l’assistance, Bush père n’est pas plus intelligent que Wade père (oubliant là aussi de relever que Bush fils n’avait jamais, sous l’autorité de son géniteur, occupé de fonction dans l’administration américaine et qu’il a été élu, huit ans après son départ, soit après les deux mandatures de Bill Clinton). Abdoulaye Wade a aussi souligné n’être pas moins intelligent que l’ancien président gabonais Omar Bongo dont le fils a assuré la succession post-mortem. Tant qu’à faire, il aurait pu adresser un clin d’œil au dessein prêté à l’ancien président Moubarak d’Egypte.

D’ailleurs, quel intérêt y a-t-il à s’attarder sur les déclarations du président Wade, à s’épuiser à les décrypter ­­ A quoi bon en effet du moment que lui-même assure, se réappropriant les propos de l’ancien président français Jacques Chirac que : « les promesses n’engagent que ceux qui y croient ». Et plus grave, toute honte bue, il a précisé en wolof, une des langues nationales qu’il maîtrise le mieux et dont il se sert pour s’adresser au Sénégalais des profondeurs, qu’après tout, nul propos ne saurait l’engager. Aussi s’est-il amusé à assumer une déconcertante boutade du genre : « Ah bon j’ai dit…. Eh ben, je me dédis… ».

Comment alors accorder un quelconque crédit à ses propos surtout lorsqu’il demande à ses compatriotes de clore le dossier de la dévolution monarchique du pouvoir assurant que jamais cette idée n’aura traversé son esprit.

A l’évidence, le président Abdoulaye Wade fait montre du peu de cas qu’il fait de l’éthique et de la morale en politique. Ainsi a-t-il épousé une posture qui, de facto, rend impossible tout contrat de confiance. Cette dernière suppose en effet que ce l’on dit nous engage et qu’on est ensuite tenu de s’y tenir. A défaut, c’est la porte ouverte au coup de Jarnac, à la fourberie et au mensonge. Il déroule ainsi des pratiques qui font l’éloge de la tortuosité et de la roublardise et sur lesquelles, rien de durable ne peut s’édifier.

Et c’est cela Wade. « Maître Wedi » -Maitre qui nie -est devenu « Maître Wakhète »-Maitre Volte face. Cette capacité à regarder son interlocuteur droit dans les yeux et à lui servir un discours dont il sait pertinemment n’accorder aucune valeur. Mais il y va au culot tout en ayant conscience que son vis-à-vis est loin d’être dupe. Peu lui importe. L’essentiel étant de marquer des points et de déstabiliser l’adversaire. Il sait aussi profiter des travers de la culture ambiante de « masla » et de « sutuura » qui a du mal à assumer que l’on puisse dire à une personne d’un âge certain qu’elle n’a pas dit la vérité. A entendre le président Wade, il n’y a pas de mal à rouler dans la farine son interlocuteur.

Voilà pourtant une façon de faire éprouvée qui rappelle de triste manière le célèbre « Boulanger » d’Abidjan. Aussi, pour assouvir ses ambitions électorales, ne s’est-il pas gêné de lui emprunter une autre technique mortifère et grosse de tous les dangers : « Je gagne ou je gagne ». On sait ce qu’il est advenu de la Côte d’Ivoire après une telle profession de foi. En dernière instance, tout cela n’est-il pas la manifestation d’un mépris affiché vis-à-vis de l’opposition regroupée autour de Benno Siggil Senegal et d’une bonne frange de la population, notamment celle qui est massivement descendue dans la rue, le 23 juin.

Boosté par des thuriféraires qui n’ont cessé de l’encenser jusqu’à l’aveuglement, Wade devrait pourtant se raviser et faire l’effort d’habiter la fonction suprême dont il a la charge. Or, onze ans après son accession à la présidence de la République, il peine à adopter la posture de « l’Homo politicus » évitant la gestion des détails et des querelles de boulevard pour inscrire sa réflexion dans le long terme. Il serait plus avisé de décrypter le ras-le-bol qui s’est exprimé au lieu de l’imputer à une mauvaise communication de ses services. Encore moins de s’être laissé surprendre par des vandales et de n’avoir pas pris en compte la possible instrumentalisation du mécontentement populaire par l’opposition. En rejetant comme jamais le projet de loi instituant le ticket Président/Vice président la fièvre qui avait pris ses quartiers dans les rues de Dakar était plutôt la traduction du rejet de toute préparation de dévolution monarchique du pouvoir et l’expression d’une soif de démocratie et de bonne gouvernance.

Onze ans après, le président Wade a du mal à se mettre au dessus de la mêlée. Ce n’est pas en s’appuyant sur les forces de l’ordre qu’il va pouvoir cadenacer toute volonté de contestation. D’autres ont pensé la même chose avant lui, ce qui ne les a pas empêchés d’être balayés par les rafales de l’histoire. Il en est de même des systèmes totalitaires. Ce type de produit est à retirer du marché.

En réalité, lorsque les peuples se soulèvent, cela surprend toujours ceux qui croyaient pouvoir les contenir dans des expressions de contestation gérables. Mais voilà que cela étonne toujours ceux qui se croyaient dotés d’une potion magique pouvant les dompter et les soumettre à coups de paroles mielleuses. Ces recettes ne marchent plus. Nul ne peut en effet empêcher les peuples d’être maîtres et possesseurs de leurs propres destins. Nul ne peut se dresser contre leur volonté de changer le cours de leur histoire. Le méconnaitre fait assurément courir le risque de s’exposer à des surprises. Pour la simple raison que l’exaspération des peuples n’est pas programmable, encore moins soumise à surveillance. Parce que le diable est dans les détails, elle surgit au moment où on ne l’attend pas, se jouant de l’agenda des maîtres es politique et de leur baraka. Parce qu’aucun peuple n’est condamné à la passivité et n’est préposé à avaler tout le temps des couleuvres et même des boas, il est attendu de leurs dirigeants qu’ils sachent raison garder.

Aimer son pays, c’est pouvoir être à son écoute. C’est être à son service et non vouloir le plier à ses obsessions. A force de river son regard sur le guidon de la dévolution monarchique du pouvoir, le président Abdoulaye Wade ne risque pas d’anticiper et d’éviter les écueils qui s’annoncent. Encore moins de comprendre qu’en démocratie, on ne choisit pas son successeur, laissant cette possibilité aux électeurs.

Il faut au contraire savoir partir, à 86 ans, en empruntant la majestueuse porte de l’Histoire, au lieu de s’exercer à des tours de passe-passe. Sans jeter le bébé et l’eau du bain, un besoin d’autre chose se fait sentir car il y en a marre de toutes ces turpitudes et de cette arrogance des nouvelles élites au pouvoir. La minable réponse servie par quelques uns de ses affidés sous la forme d’un Y en a envie qu’ils n’osent même pas afficher renvoie à l’image d’un Me Wade complètement déconnecté de la réalité. De l’Africain autoproclamé le plus diplômé du Cap au Caire, du combattant affiché de la démocratie et des libertés dans une autre vie, on attendait mieux au soir d’une carrière politique.

Les temps ont changé. A l’instar de leurs aînés qui scandaient sur les barricades du mouvement de Mai 68, les protestataires du 23 juin donnent le sentiment de vouloir réactualiser ce cri du cœur. Il leur importe désormais de repousser les barrières d’un présent infernal et oppressant pour rendre possible un avenir meilleur. Et c’est précisément cet espoir qui est revenu de son long exil pour bousculer l’apathie tant prêtée aux Sénégalais et les réconcilier avec le goût de l’avenir.

Vieux SAVANE, lagazette.sn

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