ENTRETIEN AVEC…. Professeur Khadiyatoulah Fall, Québec, Canada «Le message à la Nation est devenu un exercice rhétorique vieillot, décalé de son contexte de réception»

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Professeur à l’Université de Québec au Canada, Khadiyatoulah Fall analyse les limites d’un message à la Nation prononcé le 31 décembre par le président de la République. Pour lui, c’est un exercice rhétorique vieillot qu’on doit réinventer dans d’autres formes.

Professeur, vous avez sûrement regardé le message à la Nation ce 31 décembre 2013 du président de la Républi­que, M. Macky Sall. Quelles remarques en tirez-vous ?
Tout d’abord vous me permettrez de saluer tous les compatriotes sénégalais et de souhaiter à tous une excellente année 2014 marquée par le patriotisme, l’ardeur au travail, la solidarité et le développement du pays dans l’intérêt de tous. Que 2014 soit une année d’élévation pour répondre aux défis économiques et sociaux urgents du Sénégal. Le message à  la Nation a été un exercice de reconstruction   d’une image qui a été écorchée durant l’année 2013. En effet,  2013 se lit surtout  comme une année durant laquelle ceux qui critiquent la politique du  président de la République ont réussi à s’imposer dans l’espace discursif et à semer le doute sur la vision de développement du pays portée par le chef de l’État. La formule «deuk  bi dafa Macky» a fait son lit.
Le président  de la République a mené un exercice rhétorique pour rassurer la population qu’il  est en train d’atteindre la vitesse de  croisière qui  va lui permettre de concrétiser  les projets qui construisent l’espoir.  Le Président a voulu prouver  aux Sénégalais que le Sénégal qui progresse, qui se développe est bien en mouvement. Il a cherché à  effacer   cette impression qui s’inscrit de plus en plus dans l’esprit des citoyens que le rythme d’avancement, de progression  de ses projets est lent.  D’ailleurs,    les expressions  «accélérer la cadence» et ce qu’on pourrait paraphraser par le réingeneering du management de la Fonction publique, des agences de l’État, des  ministères sont revenus dernièrement dans les propos du Président.
Nous avons regardé  un Président  qui s’est montré  serein mais qui,  en réalité,  est rendu  lui  même impatient car il  semble avoir perçu une certaine impatience dans la population.   Ce que le message à la Nation du Président a voulu véhiculer : «il faut encore me croire, nous avançons malgré tout». Il est incontestable que le président de la République a des projets, qu’il a la volonté de réussir mais on a le sentiment qu’il est encore en attente de l’équipe  capable d’opérationnaliser et de propulser ses projets et sa vision. Le Président veut sortir de ce que beaucoup lisent comme du bricolage pour donner une claire lisibilité à son action. Si un mouvement sensible d’actualisation de ses projets ne se confirme pas bien vite, il ne faut pas exclure que le Président fasse un remaniement ministériel majeur en 2014.
Vous avez  confié tout  à l’heure que le message à la Nation est un exercice dépassé. Que vouliez-vous dire ?
Je ne crois pas à la perlocutivité heureuse, à l’impact bénéfique, à l’effet de mobilisation, de sursaut collectif de l’exercice rhétorique du message à la Nation du 31 décembre tel qu’il se décline aujourd’hui. Dans sa forme actuelle, c’est devenu un exercice rhétorique vieillot, décalé de son contexte de réception  et que nous continuons de reproduire  à l’image  du pays colonisateur.
Le 31 décembre n’est plus un moment de disponibilité cognitive pour entendre, pour porter des messages politiques forts. La dimension festive, la préparation de la fête, de la célébration surtout chez les jeunes,  accaparent les esprits. Le message du  31 décembre dans sa forme actuelle est cognitivement lourd, surchargé. Les esprits ne sont pas disponibles pour  un tel type d’exercice et  c’est un message   qui est, aujourd’hui d’ailleurs, fortement suivi en différé.  Et cela des études  sérieuses le prouvent.  Le message à la Nation  n’est plus ce moment où tout s’arrête  et où la solennité s’impose pour écouter  religieusement le premier citoyen du pays. Le  31 décembre n’a plus sa solennité, n’est plus le  moment d’arrêt d’autrefois  pour penser  ensemble à l’avenir, penser ensemble à la Nation. Les citoyens écoutent le Président  plutôt dans l’empressement, dans l’interférence, en vaquant à de multiples autres occupations. Ils l’écoutent sans vraiment l’écouter.
On  continue de se représenter le message à la Nation du 31 décembre comme  un moment fort de face à face du président de  la  République avec son Peuple, avec la Nation. Ce discours  est l’objet  d’une préparation sérieuse  et d’une  mise en scène  bien orchestrée. Mais il faut reconnaître qu’il ne produit plus l’effet politique et social qu’il cherche à produire.  Le contexte de réception du message à la Nation du 31 décembre, ce contexte a changé, évolué   et il demande alors que le genre discursif aussi évolue.
Alors que doit être le message à la Nation?
Je ne veux pas tomber dans la formulation d’une recette. Les conditions énonciatives qui aujourd’hui déterminent le message à la Nation du 31 décembre devraient en faire un discours  fort mais allégé (Hollande a fait 10 mn 32s;  Pompidou a déjà produit  un discours de 3 minutes). C’est un   discours qui se détache de la partisannerie, de l’autocongratulation pour insister sur ce qui ne peut être l’objet de contestation dans une Nation.  Ce doit être   le discours de la République au-dessus des différences pour reconfirmer  les valeurs consensuelles,  les  vertus du dialogue politique et social et  les conditions nécessaires du vivre ensemble.
Il doit se décliner en un «discours fragment» pour n’insister  que sur quelques axes forts et surtout inscrire dans l’esprit des citoyens  des énoncés qui fondent la République,  l’éthique  du politique et du vivre ensemble. Dans sa  déclinaison actuelle, le message à la Nation qui expose plus le bilan d’un gouvernement au pouvoir, qui veut  montrer que le gouvernement travaille, ce  message, comme l’ont reconnu plusieurs chercheurs, ne peut  que déboucher sur la polémique et les antagonismes discursifs alors que le but de l’exercice discursif et le  contrat  de parole  doit être la construction d’un moment de concorde et d’amitié républicaine.
Il faut aussi voir comment  la presse reprend ce message avec les invités commentateurs sur les plateaux de Tv, comment le message s’inscrit dans la presse radiophonique, écrite et virtuelle avec une forte  intertextualité polémique, antagoniste   qui ne manque pas de  perpétuer la cacophonie et le   dialogue de sourds qui ont marqué toute l’année.
Je crois qu’il faut penser à fonder d’autres moments, d’autres périodes communicationnelles qui favorisent mieux  l’interaction du chef de l’État avec la Nation, qui occasionnent une capture cognitive et qui puissent forger  de véritables moments de création et de partage du sens politique, social et économique  entre le premier citoyen du pays et la Nation. Refonder la communication du président de la République, c’est créer  ces moments communicationnels majeurs durant  l’année  par  lesquels le chef de l’État  fait face à la Nation, non pas par  le monologue, le discours unidirectionnel, mais à travers l’interaction, le dialogue constructif, la conversation démocratique avec un groupe de journalistes sérieux et crédibles, avec des représentants crédibles de la société civile, avec des acteurs de la vie économique, avec des citoyens  pour annoncer et débattre des grands enjeux et des grands projets qui orientent le développement du pays et qui expriment sa vision.  Une communication civilisée donc à travers laquelle le président de la République se soumet à l’épreuve du questionnement,  de l’explicitation et de la relance.  On a peut être dans le passé essayé de créer ces moments et cela a été un fiasco. Il faut cependant se demander si l’expertise était bien là pour gérer ce genre médiatique.

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