Nous sommes souvent amenés à « confronter » nos approches et nos actes. A les interroger tout au moins quand les fondamentaux de la République sont « agressés » en raison d’agendas individuels qui en perturbent le système de gestion collectivement accepté et communément avantageux. Il est vrai aussi que nous sommes, à un moment ou un autre de notre vécu, conduits à jeter un œil critique sur nos propres démarches, nos grilles de lectures, nos intérêts ici-bas et/ou sur nos prospects collectifs, avec le dessein d’en modifier qualitativement les trajectoires, d’en changer utilement les tracés, d’opérer les mutations nécessaires et profitables.
La compréhension des problématiques est certes, marquée par une diversité d’approches théoriques et politiques, mais elle nous interpelle, tous tant que nous sommes, même si nos réactions et les actes qu’elles entraînent sont divers, parfois contestables et diversement interprétés.
Le postulat posé, on peut dès lors comprendre les « anxiétés » sur un vécu partiellement ou totalement partagé, publiquement exprimées aujourd’hui par ceux-là qu’une certaine pensée, unique, unifiée en tout cas, qui semble au service d’un projet de dévolution monarchique du pouvoir, voudrait confiner dans l’éternel rôle de soutier du pouvoir en place. Ils ont noms : Bara Tall, l’entrepreneur, Cheikh Tidiane Gadio, l’électron libre politique, Mansour Sy Djamil, le politique marabout et qui d’autres ? La star mondiale Youssou Ndour peut-être ?
On voudrait leur denier le droit de s’opposer au « maître du pays » sous le prétexte qu’ils ont partagé sa table, mangé à sa soupe, qu’ils sont par conséquent des opposants crypto personnels. Qu’ils étaient auparavant du côté de ceux qu’ils vilipendent aujourd’hui et que les maux qu’ils dénoncent actuellement, ils s’en sont accommodés tranquillement tant qu’ils n’étaient pas concernés. Est-ce à dire qu’ils n’ont pas le droit de s’en démarquer pour toujours ?
Sont-ils condamnés à soutenir une politique et des acteurs qui ne trouvent plus grâces à leurs yeux ? Fausse querelle si cela se trouve. L’auteur de « Abdou doya tou ma » (Abdou ne me suffit plus, traduction approximative de l’auteur) assume fort justement sa position actuelle sans que personne ne trouve à redire ou aurait tort à redire là-dessus. Si Abdou Diouf et sa politique avaient trouvé en effet un quelconque intérêt à ses yeux à un moment de l’histoire de notre pays, ils ont perdu tout crédit par la suite et il s’en est proprement démarqué en homme libre, conscient et actif.
Le Pr. Iba Der Thiam, c’est de lui qu’il s’agit, est un représentant respecté du peuple sénégalais. Il assume sans complexe son compagnonnage aujourd’hui avec le président de la République et se trouve être l’un de ses plus grands défenseurs. C’est son droit. Comme c’est le droit des autres qui ne partagent pas les mêmes vues, d’appeler à autre chose. Moustapha Niasse, l’actuel Secrétaire général de l’Alliance des forces de progrès (Afp) était pendant plus de quarante ans un pilier important du Parti socialiste (Ps). Il avait aidé à la consolidation du pouvoir « dioufien ». Il s’en est éloigné en juin 1999 et a même précipité sa chute en mars-avril 2000 en apportant dans la corbeille du Pape du Sopi, ses 17% obtenus de haute lutte au premier tour de la présidentielle de 2000.
Doit-on pour autant faire la querelle au leader de l’Afp de s’être défié de la direction de son ancien parti tout comme bien avant lui, Djibo Kâ, l’actuel ministre d’Etat, ministre de l’Environnement de Me Wade ? Ceux qui ont perdu le pouvoir en 2000 répondront certainement par l’affirmative, mais le peuple sénégalais n’a jamais condamné Niasse pour un tel délit, encore moins Djibo Kâ en dépit de sa valse entre Diouf et Wade en 2000. Me Wade lui-même n’a-t-il pas participé à plusieurs gouvernements de Diouf, son adversaire de toujours sans qu’il soit condamné définitivement à le soutenir pour l’éternité ? Fausse querelle assurément. Où sont ses anciens alliés de la Ca 2000 ? On a beau scruter sa nouvelle majorité, on peine à les apercevoir.
Si l’éthique chez Foucault est liée au « rapport au soi », au type de lien nécessaire d’avoir avec soi-même, qui détermine comment l’individu se constitue en tant que sujet moral de ses propres actes, ces hommes, simples exemples à ce propos, choisis au hasard de l’argumentation n’ont trahi personne sinon leurs croyances d’hier. Même si l’éthique est associée à un certain nombre de règles de conduite ou de principes qui sont, à leur tour, des vérités et des prescriptions. Les processus de subjectivation sont simplement liés à des jeux de vérités dans lesquels le sujet s’engage. Seul le peuple souverain est juge et il sait faire le tri des discours. Il s’y ajoute que l’échelle des valeurs change perpétuellement dans un monde globalisé qui fonctionne à la vitesse supersonique. Le temps court est préféré au long terme, le réseau à la hiérarchie, le mobile au figé, l’individu au collectif. Peut-être à tort au regard des différentes et concomitantes crises qui se résolvent difficilement et qui ont secoué la planète et remis en cause tant de certitudes.
Au Sénégal, tout est fait comme si on déroulait méthodiquement un plan mûrement réfléchi de dévolution du pouvoir. Un projet qui voudrait que tous ceux qui s’y opposent d’une manière ou d’une autre soient lynchés, mis à mort sans autre forme de procès. Pourtant les résultats des élections locales de mars 2009 sont éloquents à ce sujet. Ils ont montré à suffisance que le peuple sénégalais n’avalise forcément tous les schémas qu’on lui élabore, notamment ceux d’une transmission « monarchique » du pouvoir. Usant pleinement de ses prérogatives, il a remis à leur place ceux-là qui voulaient lui faire prendre des vessies pour des lanternes en lui fourguant comme futur roi, un homme qui a le mérite d’être le fils. Il a fait subir à la majorité dite libérale une bérézina électorale pendant ces consultations populaires.
Dès lors, les réponses qui sont attendues aux sorties publiques du marabout, de l’entrepreneur et de l’ancien ministre sont celles de savoir si oui ou non leurs interrogations sont pertinentes ? Si leurs affirmations sont vraies ? Oui ou non, existe-t-il dans notre pays, un projet de dévolution du pouvoir par des voies autres, que celles qui sont admises en démocratie et en République ? Sommes nous confrontés à un sérieux problème de gouvernance ? N’assiste-t-on pas un délitement de l’Etat et des institutions ? Si oui, Gadio et compagnie ont-ils le droit de dénoncer l’intention d’un « monarchianisme » du système, de s’attaquer aux maux décriés fussent-ils d’ex-alliés ? Leurs voix s’ajoutent simplement à la clameur qui enfle.
Par ailleurs, les populations ont soif d’une offre politique nouvelle à satisfaire. Les manifestes actuels du mouvement citoyen qui entraîne dans son sillage sans distinction aucune des personnalités politiques et syndicales, mais aussi des femmes et des hommes de culture, des guides religieux, des militaires, des Sénégalais de la diaspora s’engagent à approfondir la portée de cette offre et à en féconder les sillons. L’implication du mouvement citoyen dans le débat tend à trouver réponse à la faillite morale, programmatique et sociétale qui plombe le pays et qui s’est accentuée ces dix dernières années.
Les signataires de manifeste, qu’ils s’appellent Cheikh Tidiane Gadio, Mansour Sy Djamil, Bara Tall, Youssou Ndour s’accordent sur la nécessité de délivrer un message nouveau qui refonde et consolide l’Etat républicain et démocratique. Vaste programme certainement, mais c’est fausse querelle que de les empêcher de nous faire part de leurs « utopies » ou rêves pour un autre Sénégal. Au nom de la République et de la démocratie !
sudonline.sn