Impressions d’une vie de Toubab à Dakar;«Tout d’un coup, on ne voit plus rien»

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C’est le 8 juillet 2009 que j’ai débarqué à Dakar et mis les pieds sur le continent africain. Après avoir grandi en Allemagne, vécu en France et au Canada, je suis maintenant une toubab à Dakar. Cette ville, qui est pour moi remplie de gens, d’animaux et de voitures (dont la moitié sont des taxis), où les guirlandes électriques de Noël brillent encore fin janvier. Une ville, où les gens vivent à côté de la rue, sur laquelle c’est souvent la loi du plus fort qui règne et non le Code de la route, et au bord de laquelle on peut acheter presque tout et surtout du crédit pour les téléphones portables, des mains des cent et un vendeurs. Une ville sale qui, en dessous de la couche des déchets, cache des endroits magnifiques comme les marchés animés, où se retrouvent les habitants aux voix fortes qui aiment la musique, la danse et le sucre, qui mangent énormément de riz, qui, tout en utilisant le téléphone portable et l’internet, restent ancrés dans la culture et vivent selon les valeurs traditionnelles et qui, surchargent peut-être de temps en temps les toubabs avec leur ouverture et leur sens de communication, mais jamais avec leur amabilité et hospitalité, leur «Teranga». Dans ce sens, voilà quelques impressions recueillies par mon «œil “toubab”». DECHETS ET FEUX. Il faut commencer ce reportage «mon œil» avec ce qui saute immédiatement aux yeux d’un toubab qui débarque : Dakar est une ville sale, les Sénégalais sont un peuple sans conscience pour un traitement des déchets et le Sénégal est un pays qui a un véritable problème d’ordures. Je me suis longuement étonnée de tous les feux allumés, qui laissent échapper de la fumée lourde et dégagent une forte odeur. Mais entre-temps, j’ai compris que la raison de ces feux, c’est l’absence d’une infrastructure de déchets.
Ce que je trouve paradoxal dans tout cela, c’est que les Sénégalais sont des gens extrêmement propres, nettoyant chaque matin la cour devant leur maison et faisant plusieurs fois par jour leurs ablutions.
«SALAM ALEIKUM». Pour bien me préparer à ma vie au Sénégal, je me suis équipée d’un petit bouquin Wolof qui raconte des détails de la culture et des traditions. Avant de me mettre en route, j’ai lu un des premiers chapitres sur les coutumes de la salutation à mes parents. Il a été expliqué que même si on se renseigne auprès d’une personne complètement inconnue sur le chemin, on doit d’abord lui dire «Comment ça va ?» et demander si sa famille se porte bien, tandis qu’en Europe, la conversation se limiterait à : «Excusez moi, je cherche la rue X.» Cela a suscité un large débat, car on avait du mal à s’imaginer qu’une salutation peut prendre quelques minutes. Entre-temps, j’ai compris que l’échange des «Ca va ?» – «Oui, ça va. Et toi ?» répétitive est plus qu’une forme de politesse, mais fait partie des coutumes de la communication. Ce que je trouve néanmoins encore un peu bizarre, c’est que les «au revoir» sont courts comme les «bonjour» sont longs. Ils se limitent des fois à un simple «ok».
«1 000 FRANCS, “REK”.» En octobre, mes parents m’ont rendu visite. Pendant ces formidables 15 jours, il y avait une chose, qui a été, encore et encore, germe de conflits : le prix du taxi. Tandis que moi, après quelques mois au Sénégal, j’avais pris l’habitude de marchander avec les taximen, cela gênait énormément mes parents, du simple fait qu’on ne marchande pas en Europe. Mais cette coutume fait partie de la vie sénégalaise, elle anime les marchés et rend la vie plus communicative et est, d’ailleurs, un art, qui se perfectionne au fur et à mesure. Depuis que j’ajoute à mes prix un «rek», les négociations sont beaucoup moins longues.

ABOIEMENTS, HENNISSEMENTS, BELEMENTS. Un jour, j’étais au téléphone avec une amie allemande et le mouton du voisin a bêlé. Elle m’a demandé d’un air surpris : «C’était un animal ça ?» «Mais oui !», lui ai-je répondu. J’avais complètement perdu de vue que, en dehors des chats et des chiens domestiques, on voit rarement des animaux dans des villes européennes, tandis qu’ici les aboiements, hennissements et bêlements concurrencent avec les klaxons des voitures.
Ce que j’adore, ce sont les panneaux de signalisation routière, en forme de cercle rouge à fond blanc et l’image d’une charrette de cheval. J’adore aussi de devoir calculer plus de temps pour mon chemin de travail, parce que, qui sait, aujourd’hui encore, un troupeau de vaches pourrait bloquer l’autoroute qui mène à l’aéroport. Chaque fois que je vois ces vaches (que, comme on me l’a dit, personne n’ose toucher parce qu’on craint la mort), je me demande d’où elles viennent et où elles vont.
Je ne sais pas comment on dit «vache» en wolof, mais fas wi a été un des mes premiers mots dans cette langue, qui, et il faut enfin le dire, n’est pas facile à apprendre.
VISIBILITE. Etre toubab, cela veut dire, ne jamais passer inaperçue. Cela peut être très pratique, surtout quand on s’est perdue, car tout de suite, il y a quelqu’un qui explique le bon chemin à prendre. Cela peut être sympa, quand on est dans un nouvel endroit et les gens viennent souhaiter la bienvenue. Cela peut être rageant, parce que souvent, le toubab est confondu avec un portefeuille ambulant. Et cela peut être embêtant, surtout quand on n’a plus envie de fréquenter certains endroits pour ne pas se retrouver encerclée par une foule qui harcèle. Une copine toubab en a fait une jolie énumération : «En gros, il y a les ‘Ey, Madame, Madaaaame, ce t-shirt, ça coûte combien en France ? Je te fais bon prix, bon marché, Madaaaaame’- commerçants, et les ‘Ey, Miss, t’es jolie, Miss‘- mecs, les ‘toubab, donne-moi de l’argent‘- enfants et il ne faut pas oublier les ‘Et, toi, tu ne me reconnais pas ? On s’est vus à Sandaga l’autre jour! C’est moi, Moustapha‘- petits voyous.»
TOUT D’UN COUP, ON NE VOIT PLUS RIEN. Pendant l’hivernage, les coupures ont été sans doute un des thèmes principaux des discussions. C’est seulement au Sénégal que j’ai appris la valeur de l’électricité et que j’ai fait la connaissance d’une vie sans frigo, ventilo et lumière. Entre-temps, je suis mieux préparée, avec une torche et une bougie à côté de mon lit.
PORC, ALCOOL, ENFANTS ET SUCRE. Si, de retour à Berlin, j’ai été frappée par une chose, c’est l’omniprésence du porc et de l’alcool dans la vie quotidienne. Cette impression fut sans doute amplifiée par le fait que c’était Noël et que la ville s’était transformée en «marché de Noël» (qui n’a rien à voir avec le marché normal, mais qui est une sorte de marché de loisir). Dans ces endroits, on boit du vin chaud accompagné par une bonne saucisse, de porc, naturellement.
En revanche, ce qui me frappe le plus à Dakar en matière d’omniprésence, ce sont les enfants et le sucre. Je n’ai jamais vu autant d’enfants dans ma vie qu’ici et je n’arrive pas à croire les statistiques qui disent que 44% de la population ont moins de 15 ans (tandis que seulement un cinquième des Allemands a moins de 20 ans). Et, je n’ai jamais vu quelqu’un sucrer son café avec autant de morceaux de sucre qu’ici. C’était toujours un spectacle amusant lors des ruptures du jeûne sur la terrasse de la Rédaction ; la moyenne fut certainement 8 morceaux !
OCCIDENTAL, TRADITIONNEL. Les rues de Dakar servent aux femmes de podium. Elles y défilent et ne laissent aucun doute sur le fait que les habits ont une importance primordiale pour les Sénégalais(es). Ce que je trouve formidable, c’est la cohabitation des styles. A côté de la femme en tenue traditionnelle, marche une autre habillée à l’occidentale et le pagne coloré concurrence le jean serré.
En matière de mode, il y a une question que je me pose depuis longtemps : Pourquoi tous les mannequins de vitrine sont des toubabs ?
LA RUE. On y marche et s’y fâche contre les embouteillages. On y tient un petit stand et on y vend des légumes, des fruits, des journaux, des tasses, des boîtes de thon, des jouets d’enfants, du savon, des mouchoirs, des tapis, des habits, et j’en passe. On y prie, dort et mange. On y lave des vêtements et ses enfants. On s’y retrouve autour du thé avec des amis. On y vit.
ROUGE, JAUNE, VERT. Mais il y a une chose qui y manque : les feux de signalisation. A leur place, des policiers règlent la circulation. On m’a expliqué qu’autrefois, ces feux fonctionnaient mais personne ne les respectait. Etant issue d’un pays où même à trois heures du matin, étant le seul véhicule dans la rue, on s’arrête pour attendre le signal vert, cela m’a fait sourire.

VOITURES JAUNES. Grâce au caractère communicatif des Sénégalais, le temps passé dans les taxis n’est jamais ennuyeux. C’est dans les taxis que je parle le plus de foot, c’est en route que je décline tout gentiment les offres de mariage. Et c’est sur le chemin que des hommes braves me racontent leur vie pénible. Combien de fois ai-je quitté un taxi en donnant le double du prix négocié en disant : «S’il te plaît, ne prends pas une pirogue. Ce n’est pas cela, la solution?»  A part des pirogues, le sujet le plus débattu est la polygamie. Je ne sais pas pourquoi j’y arrive toujours, mais je crois bien que c’est parce que pour une toubab, la polygamie est quelque chose de complètement inconnue. Voici un exemple d’une telle discussion :
Moi : «Tu es marié ?» – Lui : «Tu veux que je t’épouse ? J’ai deux femmes.» – «Et ça marche bien ?» – «Oui ! On habite ensemble, on mange ensemble.» – «Et tu cherches une troisième?» – «Oui, même une quatrième. Nous les musulmans, on cherche 4 femmes. C’est ça notre religion. Mais vous les toubabs, vous cherchez un homme et une femme seulement. Mais ça, pff !» – «Pourquoi ?» – «Si tu as une seule femme et elle est malade, comment tu fais ? Tu ne manges pas. Elle ne prépare pas. Une seule femme, c’est pas bon.» – «Alors, la femme est là seulement pour préparer les repas ?» – «Ah oui, c’est comme ça dans notre religion. Si tu as deux femmes, et l’une est malade ou elle est fatiguée, tu la laisse se reposer et tu prends l’autre.» – «Mais une femme, c’est pas une bonne.» – «Ah, mais c’est comme ça. Toi, tu ne préparerais pas pour ton mari ?» – «Si mais … j’espère qu’il ne va pas me considérer seulement comme sa bonne, mais comme une épouse, son âme sœur.» – «Ah, bon ?» – «Mais oui, l’épouse, c’est l’être qui t’es le plus cher.» – «Pas dans notre religion ! Ta femme, elle te prépare les repas.»

GROSSESSE ET MARIAGE. Pendant la 2e session des Assises, le juge avait à juger des femmes inculpées pour infanticide. Dans un cas, l’avocat général voyait un indice de la culpabilité de l’accusée dans le fait qu’elle n’avait informé personne de sa grossesse. Un argument complètement rejeté par l’avocat de la défense : «Les Sénégalaises ne sont pas comme les Européennes qui crient leur grossesse à voix haute et qui prennent des photos nues avec le gros ventre.»
Bien qu’on dise tout le temps que les gens parlent beaucoup, ils restent muets sur des thèmes comme la grossesse ou le mariage. Ainsi, au Sénégal, on apprend le mariage d’un collègue le jour même, tandis qu’on en discuterait depuis des mois en Europe. Pour quelqu’un qui ne connaît pas les histoires des Djiins et ne croit pas aux mauvaises langues, cela reste étrange.

«TERANGA». Est-ce qu’il y aurait de meilleur thème que la Teranga pour clôturer ce reportage ? Au début, je l’avoue, je n’y croyais pas trop. Je me disais : «Toutes les personnes sont accueillantes, ce n’est pas une particularité sénégalaise.» Mais entre-temps j’ai rencontré la Teranga ; souvent de la part des gens que je n’avais jamais vus avant. La Teranga, c’est elle qui caractérise la société sénégalaise, qui, heureusement, n’est pas (encore) si individualiste comme l’est la société occidentale.
En Allemagne, il y a assez de personnes qui ne comprennent pas pourquoi on choisirait une vie sans électricité constante et eau chaude, sans système de transport public développé et rues qui méritent ce nom. Sans venir au Sénégal et sans faire l’expérience de la Teranga, ils ne comprendront jamais…

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