KEUR MASSAR : La terre, objet de passions et de convoitises

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Entre chefs coutumiers et responsables politiques locaux, on se rejette mutuellement la responsabilité du bradage des terres à Keur Massar. A l’image de toute la Presqu’île du Cap Vert, la question foncière reste au centre de toutes les préoccupations à Keur Massar. Les principaux protagonistes sont : les chefs coutumiers qui s’estiment être les légitimes propriétaires de la terre qu’ils ont hérités de leurs ancêtres, les élus locaux régulièrement accusés d’avoir bradé les réserves foncières et les promoteurs immobiliers (privés ou publiques). Entre tout ce beau monde, évidemment, il y a les spéculateurs. Et depuis que les réserves foncières ont été totalement épuisées aux alentours de Dakar, il y a eu une forte ruée vers Keur Massar, disposant encore de quelques réserves. Résultat ? Les expropriations et les litiges fonciers sont devenus monnaie courante dans la zone.

La question reste un grand tabou dans les milieux traditionnels. Difficile d’y voir très clair. Si du côté de la nouvelle équipe municipale, on affirme que « ce sont certains propriétaires terriens, en complicité avec certains élus, qui ont dilapidé les réserves foncières de la zone », du côté des notables, soit on pointe du doigt vers l’Etat ou l’autorité municipale, soit on se met en position de légitimité, en convoquant le droit de propriété. « Nous ne vendons pas la terre. Mais quand vous héritez d’un champ que vos aïeuls ont occupé depuis des siècles, cette terre vous appartient de plein droit. Vous avez le droit d’en céder ou d’en vendre à qui vous voulez. Cependant, nous ne vendons pas la terre d’autrui », explique Mamadou Dieng, chef de village version Niayes Ndjorane (voir l’article sur le village traditionnel). Ces notables se montrent très frileux et peu bavards sur cette question.

En revanche, certains habitants n’hésitent pas à accuser les différents conseils municipaux qui se sont succédé ces dernières années à la tête de la ville, d’être responsables de la dilapidation de leurs terres. « J’habite depuis 65 ans dans ce village, explique Aladji Sow. Nous avions de vastes champs que nous cultivions. Là où se trouvent les Parcelles assainies (de Keur Massar), nous y avions un champ. Ils (certains élus locaux) ont tout pris ; aujourd’hui, il ne reste qu’une petite parcelle et je ne laisserai personne me l’a prendre. Je suis prêt à tout pour défendre cette portion de terre qui me reste ». « La terre, c’était notre seule richesse. Avec les lotissements successifs, elle a été expropriée. Pour tout un champ, on ne te propose qu’une petite parcelle en guise de compensation », regrette Modou Ndiaye Ndoye, 78 ans, natif du village.

Les élus en place dégagent toute responsabilité dans la vente de la terre. « Nous nous sommes battus pour dénoncer le bradage des réserves foncières pour remporter les dernières élections, alors nous ne pouvons pas nous permettre de faire ce genre de chose », martèle Ousmane Sarr, secrétaire municipal. « Nous sommes dans une perspective de lutte contre la spéculation foncière », ajoute-t-il. Chef de Cabinet du maire de Keur Massar entre 1996 et 2001 et conseiller municipal entre 2001 et 2009, M. Idrissa Wélé, jeune responsable socialiste, lui, se fait plus précis face à ceux qui accusent les socialistes.

« Le régime socialiste n’a pas bradé les terres de Keur Massar. Ce sont les propriétaires eux-mêmes qui ont procédé à leurs propres lotissements. Durant toutes les années que les socialistes ont dirigé le Conseil municipal, il n’y a eu que six lotissements réalisés en phase avec la ville de Pikine. Tous les autres lotissements sont intervenus après notre départ », dit-il.

En tout cas, le constat est là : Keur Massar n’a plus de réserves foncières. Et les risques de conflits sont bien réels si l’on en croit certains responsables politiques. « Entre les propriétaires coutumiers et les Titres Fonciers (TF) qui surgissent de nulle part, c’est une véritable bombe à retardement », avertit M. Wélé.

PROBLÈMES D’URBANISATION ET D’ASSAINISSEMENT

60 % des quartiers de Keur Massar sont des habitats spontanés, selon les autorités municipales

Avec plus de la moitié des quartiers qui sont des habitats spontanés, Keur Massar a besoin d’un programme de restructuration. Une nécessité que complique l’amenuisement des réserves foncières de la localité, d’après les autorités municipales.

D’après M. Moussa Ndiaye, 1er adjoint au maire de Keur Massar, 60 % des quartiers de la commune d’arrondissement sont des habitations spontanées. De ce fait, estime-t-il, il est indispensable de restructurer certains quartiers comme Keur Massar village et Aladji Pathé si l’on veut bâtir une ville moderne. « Pour urbaniser, il faut nécessairement casser certains quartiers dont les rues sont tellement étroites qu’ils ne peuvent pas avoir accès à l’adduction d’eau, ni à l’électrification », explique Ousmane Sarr, secrétaire municipal. Mais pour cela, il faut avoir des réserves foncières. « Comme Keur Massar n’a pratiquement plus de réserves foncières, nous comptons sur Mbeubeuss qui doit devenir une réserve foncière après la fermeture de la décharge. L’Etat doit penser en priorité, à la restructuration des habitations spontanées de Keur Massar pour cette éventuelle réserve foncière », poursuit le secrétaire municipale.

Cependant, certains estiment que ce site sera impropre pour l’habitation du fait de la pollution de la nappe phréatique, mais aussi du sable qui serait mouvant. La commune d’arrondissement de Keur Massar est aussi confrontée à des problèmes d’inondations et d’insécurité à cause du « déplacement du banditisme vers la périphérie ». Raison pour laquelle, le Conseil municipal fait de la question de l’éclairage publique, l’une de ses priorités, selon M. Ndiaye. En outre, si la commune dispose de suffisamment d’écoles élémentaires (23 écoles publiques), les trois collèges d’enseignement moyens (Cem) sont très insuffisants et le seul lycée en construction n’a pas encore ouvert ses portes. Sur le plan sanitaire, le centre de santé déjà construit n’a pas encore commencé ses activités. Bref, un manque d’infrastructures et des défis à relever dans beaucoup de domaines. Alors, naturellement, les autorités municipales fondent beaucoup d’espoir sur le projet de création d’une nouvelle ville dénommée Dakar 2 -qui engloberait Keur Massar et d’autres localités environnantes- et la réalisation de l’autoroute à péage pour résorber le déficit infrastructurel. « Nous attendons avec beaucoup d’espoir l’édification de cette nouvelle ville notamment en matière d’infrastructures, mais je pense qu’on doit tirer des leçons des problèmes que connaissent les villes existantes en matière d’assainissement et de manque d’espaces verts », avertit Moussa Ndiaye. En attendant, ajoute-t-il, l’équipe municipale en place entend créer les près requis pour faire de Keur Massar une ville moderne. L’autre préoccupation majeure des responsables municipaux de Keur Massar concerne la délimitation de leur commune d’arrondissement. En effet, un vieux litige territorial existe entre les communes d’arrondissement de Keur Massar et de Malika ; chacune revendiquant la décharge de Mbeubeuss. « C’est une situation qui nous préoccupe beaucoup parce qu’il est arrivé qu’on interdise à des chefs de quartiers de Malika d’enterrer leurs morts dans le cimetière parce qu’ils revendiquent leur appartenance à Keur Massar », explique Ousmane Sarr. Un problème similaire est évoqué entre Keur Massar et Mbao au sujet de la forêt classée. Tout compte fait, le décret établissant le découpage de la région de Dakar délimite la Commune d’arrondissement de Keur Massar au nord par : le périmètre de reboisement de Malika (de la limite occidentale du département de Rufisque à la décharge de Mbeubeuss), la route de la décharge de Mbeubeuss (de la décharge à la route des Niayes) et la piste de la Cité Sonatel (du débouché de la route de la décharge sur la route des Niayes à la Cité Sonatel) ; au sud par : la limite septentrionale du périmètre de reboisement de Mbao, puis la limite orientale jusqu’au débouché de la piste qui longe le sud du centre émetteur aéronautique civil, puis celle-ci jusqu’à la limite orientale du département de Rufisque ; à l’ouest : du centre émetteur de l’OPT au chemin de fer en logeant la limite orientale du centre émetteur de la radio interarmées ; et à l’est : de la limite occidentale du département de Rufisque, du périmètre de reboisement de Malika à la piste qui passe au sud du centre émetteur aéronautique civil.

Un village, deux chefs

A l’origine, deux quartiers : Bankhaas et Niayes Ndjorane. S’il est généralement admis que le village a été fondé en 1847, il reste difficile de déterminer lequel des deux quartiers est le plus ancien. Aujourd’hui encore, chacun de ces quartiers traditionnels a son chef de village.

Ce qui est convenu d’appeler le village traditionnel, n’est aujourd’hui qu’un vaste quartier au milieu de la petite ville. Ses étroites ruelles entremêlées, conduisant souvent à des culs de sacs parce que n’ayant pas été loties, témoignent de son ancienneté. Un puits et une vieille petite mosquée à l’ancien style constituent les rares reliques du passé. Les maisons sont construites sans style. De vieilles maisons délabrées y côtoient d’opulentes villas. Témoignage éloquent du niveau de réussite sociale des uns et des autres. Le quartier est en pleine rénovation. Plusieurs constructions s’élèvent au dessus des terrasses. La maison de Modou Ndiaye Ndoye, elle, commence à se fissurer sous le poids de l’âge. Une triste antenne trône au dessus. Mais on devine qu’elle fût l’une des plus belles à l’époque. Agé de 78 ans, ce notable est issu d’une des plus anciennes familles du village…

Essayer de retracer l’histoire de la fondation de Keur Massar peut, en réalité, paraître périlleux. Car, si 1847 est communément retenue comme la date de création du village, pour le reste, c’est une autre histoire. Il suffit d’interroger les notables pour s’en rendre compte. Les versions divergent selon qu’on est du quartier Bankhaas ou celui de Niayes Ndjorane, traditionnelle ment les plus anciens -au moins, sur ce point, il y a consensus. C’est quand on pousse l’interrogation plus loin que la fierté des uns et des autres brouille les choses. Chacun des deux quartiers revendiquent la palme de l’ancienneté. Chacun de ces quartiers a son chef de village : Abdou Ndiaye pour Bankhaas et Mamadou Dieng pour Niayes Ndjorane. « Historiquement, ces deux villages vivaient chacun de son côté. Une épidémie de peste a précipité leur rapprochement », raconte un des plus anciens du village. Cependant, beaucoup d’interrogations restent sans réponse. Lequel des villages a fini par rejoindre l’autre ? De quel camp vient cette version des faits ?…

En revanche, ce point est sans équivoque, le village tient son nom du fondateur de Bankhaas, Massar Dièye. Quant à Niayes Ndjorane, il a été fondé par Sémou Dieng. D’après la plupart des témoignages, ce sont les colons Blancs qui ont donné le nom de Keur Massar au village. Mais là aussi, les versions divergent sur les circonstances : certains diront que c’était à l’occasion du creusement du canal qui devait alimenter Dakar en eau, d’autres diront que c’était des soldats qui visitaient le village. Tout compte fait, le nom de Keur Massar a fini par s’imposer. Il est aussi reconnu que les Lébous sont les premiers habitants du village. Au fil du temps, les Peulhs les ont rejoints.

Aujourd’hui, au-delà des querelles de légitimité, les différentes populations de Keur Massar vivent en harmonie, dans la tolérance mutuelle. El Hadji Sow, après une partie de sa jeunesse passée à Mbout (région de Louga), vit à Keur Massar depuis 65 ans. Il a vu le village s’agrandir petit à petit jusqu’à devenir une ville

« J’ai trouvé ici deux quartiers. Quelques temps après, il y en a eu deux autres et au fur et à mesure, d’autres habitants sont venus s’installer », se rappelle-t-il. A l’époque, -d’ailleurs jusqu’à une période assez récente- l’agriculture et l’élevage étaient les principales activités des habitants de Keur Massar.

TRANSPORTS : Encore à l’heure du taxi-brousse

A Keur Massar, en dehors des bus et cars qui assurent la liaison avec Dakar, le mode de transport par excellence reste le clando. Pour se rendre à la Cité « Jaxaay », par exemple, il faut emprunter de vieux minicars ou des clandos, sortes de taxis brousse. La route est couverte de latérite. Il n’est pas rare de voir de vieux minicars ou des clandos où s’entassent d’adorables écoliers et des ouvriers. Le véhicule n’en finit pas de faire des zigzags et de heurter les nombreux nids de poules ou « d’éléphants », pour reprendre l’expression d’un passager, et soulève une poussière rouge derrière lui. « Notre principal souci, c’est l’état de la route qui nous relie à Keur Massar. Mais je pense que si le tronçon Keur Massar-Rufisque se termine, ce problème ne sera qu’un vieux souvenir. « Jaxaay » n’est pas enclavée mais est difficile d’accès », explique Demba Seck. « Il y a des cars qui se rendent chaque matin à Colobane, mais à partir de 7h, il devient difficile d’aller à Dakar à cause des embouteillages », indique Modou Ndiaye. Une situation difficile que vivent les habitants de tous les villages environnants. « Nous sommes en train d’essayer de convaincre les transporteurs d’adhérer à notre politique en matière de transport au niveau local. Nous avons déjà eu une rencontre ave le syndicat des transporteurs et nous comptons aussi impliquer la société « Dakar Dem Dikk » pour trouver des solutions », répond Moussa Ndiaye, 1er adjoint au maire de Keur Massar. Pour le transport inter urbain, les populations comptent beaucoup sur l’achèvement de l’autoroute à péage et la réalisation de la dernière phase de la Voie de dégagement Nord (Vdn) pour faciliter la liaison avec Dakar. La voirie municipale reste faiblement développée. En effet, la commune d’arrondissement ne dispose que de 15 km de routes goudronnées dont une bonne partie est constituée par le tronçon reliant Keur Massar à la Route nationale1.

lesoleil.sn

Un reportage de Seydou Ka

1 COMMENTAIRE

  1. La refection de route carrefour Keur Massar- vers les nouvelles parcelles Assainies aideraient bien les population. j’ai ete surpris de voir combien de belles villas ont ete contruites la bas. je pense que avec l’ eletrification de cette zone, un nouveau pole de deloppement va y naitre. il ya un avenir certain ds ce coin mais c’est le governement qui doit accompagner les populations.

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