LE CHOMAGE ET LE SOU-EMPLOI AU SÉNÉGAL : Des maux très enracinés Dr Djibril DIOP Université de Montréal

Date:

Malgré les performances macroéconomiques enregistrées par le Sénégal à la fin des années 1990[1], l’enquête auprès des ménages réalisée en 2001/2002 avait rapporté qu’environ 57% de la population vivaient encore en dessous du seuil de la pauvreté[2]. Ce taux aurait sensiblement baissé pour atteindre 50,6% en 2005 (DSRP1, 2007), bien que celui-ci soit inégalement répartit sur l’espace national. Compte tenu de cette réalité, voyons comment se présentent les défis socioéconomiques auxquels les Régions doivent faire face à travers, notamment, le chômage et le sous-emploi des jeunes[3].

 

Selon la pyramide des âges du pays, en 2008, 42,1% des Sénégalais avaient moins de 15 ans et 53,3% moins de 20 ans, alors que 3,6% seulement atteignaient 65 ans et plus. En outre, selon les projections démographiques faites par l’ANSD, la population du pays est passée de 11 841 123 habitants en 2008 à 13 711 597 en 2011. Si en général la proportion de jeunes fluctue légèrement selon les catégories d’âge, au niveau national, en revanche, la répartition géographique reste marquée par une prédominance des jeunes dans l’ensemble des Régions. Compte tenu de cet état de fait, outre l’éducation et la santé, l’accès à l’emploi se pose comme une urgence nationale. Or, l’économie sénégalaise vulnérable aux conditions climatiques et à l’influence des contraintes extérieures, n’est pas parvenu, à ce jour, inverser la tendance persistante de la détérioration des conditions de vie des populations, mais surtout, à offrir des perspectives meilleurs à la jeunesse à travers l’accès à un emploi rémunérateur. En effet, malgré l’application de diverses politiques de redressement, ce problème persiste et accentue. Les tableaux 52 à 54 présentent la situation économique du pays et laissent apparaître les faiblesses structurelles pour faire face adéquatement au chômage des jeunes.

 

Selon l’étude sur l’emploi (Banque mondiale, 2007), 97% des nouveaux emplois ont été crées entre 1995 à 2004 dans le secteur informel. Ce secteur contribue par ailleurs, fortement à la formation du PIB, pour environ 90% des nouvelles créations d’emplois et 20% des investissements. Quant au secteur agricole qui occupe 60% de la population, il reste caractérisé par une faible productivité du travail et un sous-emploi élevé, malgré un important potentiel de création d’emplois qu’il représente. De même, les PME qui représentent l’essentiel du tissu industriel du pays, près de 90% des entreprises, sont caractérisées par la faiblesse de leur capacité de création d’emplois (42% de l’emploi)[4] et la concentration de leurs activités dans des domaines restreints : commerce, les BTP et les Services.

 

 

Tableau 1. Répartition sectorielle de la formation du PIB constant de 1999 en %

 

2003

2004

2005

2006

2007

Secteur primaire (Agriculture)

14

14

16

14

14

Secteur secondaire (Industrie)

22

22

21

20

20

Secteur tertiaire (Services)

46

47

47

48

49

Administration publique

19

18

18

19

19

Source : Union Européenne, 2009

 

En effet, selon le rapport de la Direction de la prévision et de la statistique sur la « Situation Économique et social du Sénégal » de 2004, la population active du pays était estimée à 3 690 859 personnes, dont 3 491 694 étaient effectivement occupées et 208 135 au chômage, soit respectivement : 94,4 et 5,6%, contre 92,5% en 2002. Toutefois, ces chiffres cachent de larges disparités d’une Régions à une autre. Dakar se particularise avec 643 805 actifs, soit 17,4% de la population active totale, et 15,3% des actifs occupés du pays. Elle concentre en même temps, plus de la moitié (52,9%) des chômeurs. Par ailleurs, selon le Service des Statistiques du Travail (SST), entre 2001 et 2004 on a noté une tendance à la hausse du nombre d’emplois temporaires, passant de 25 174 à 31 525 ; soit une hausse de 25,5%. Cette catégorie est aussi inégalement répartie entre les Régions. En effet, s’il est de 72% à Dakar, il tombe à 13% à Thiès. Ainsi, à elles deux, ces Régions cumulent 85% des emplois temporaires du pays contre 15% pour le reste du pays.

 

En 2005, le nombre de demandeurs d’emplois étaient estimés à 5 678 497. Selon les prévisions, 8 389 796 nouveaux demandeurs sont attendus sur le marché de l’emploi d’ici à 2015, soit en moyenne 202 000 par an. Le cumul des nouveaux demandeurs d’emploi arrivant chaque année sur le marché devrait s’élever à plus de 1 000 000 sur la période 2010-2015. Ce qui représente un taux de croissance annuel de 3,5%[5]. Le secteur rural, « premier pourvoyeur d’emplois reste marqué, toutefois, par un sous-emploi élevé, une grande faiblesse de la productivité et de la rémunération du travail, alors que son potentiel de création d’emploi est largement sous-exploité ». Quant au secteur informel, il est de loin, le premier pourvoyeur d’emploi en milieu urbain, et en zone rurale, il contribue fortement à la baisse du sous-emploi. Pour la période récente, selon les données de l’Unité de Coordination et de Suivi de la Politique Économique du Ministère de l’Économie et des Finances (USCSPE/MEF) le total des personnes occupées relevant des secteurs non formels de l’économie (secteur informel + secteur rural traditionnel) sont au nombre de 2 457 904 (85,52%), contre 415 926 personnes pour le secteur formel (14,48%). Ces données montrent combien la question de l’emploi reste centrale dans le développement région.

 

Tableau 2. L’évolution du PIB du Sénégal entre 2003 et 2007

 

2003

2004

2005

2006

2007

Dette totale en % du PIB

55

48

46

21

24

Dont dette extérieure en % de la dette publique totale

48

46

18

18

PIB en milliards de FCFA aux prix courants

3 986

4 243

4 582

4 846

5 352

PIB en milliards de FCFA aux prix constants de 1999

3 670

3 886

4 104

4 198

4 399

PIB nominal / tête en euros

600

611

643

666

717

PIB/tête en milliers de FCFA

394

401

422

437

471

Taux de croissance annuel du PIB réel / tête

4,2

3,3

2,8

-0,3

2,6

Taux d’inflation moyen annuel en %

0,0

0,5

1,7

2,1

5,9

Taux de croissance du PIB réel en %

6,7

5,8

5,3

2,3

4,8

22,3

22,3

25,2

28,7

31,7

Envois de fonds des émigrés sénégalais en milliards de FCFA

261

298

378

445

530

Source : Union Européenne, 2009

 

Depuis 2000, plusieurs initiatives gouvernementales dont la Convention nationale État-employeurs privés pour la promotion de l’emploi des jeunes ont été mises en œuvre pour favoriser l’emploi des jeunes. Au 31 juillet 2004, cette convention a permis le recrutement de 9 105 demandeurs d’emplois. Il y a eu aussi le Contrat de solidarité assimilé à un programme de stage pédagogique pour permettre aux jeunes diplômés de trouver une occupation. Dans ce même ordre d’idées le programme de Contrat d’essaimage est mis en place pour aider les travailleurs qualifiés aspirant à un emploi indépendant de créer ou de reprendre une entreprise avec un appui financier de l’État et/ou d’une entreprise. À ces initiatives s’ajoute le programme de Financement des ressources humaines des PME qui avait pour but de valoriser le potentiel de croissance ou de développement des micros, petites et moyennes entreprises. C’est dans cette optique aussi qu’il faut placer le plan Plan REVA (Retour Vers l’Agriculture) qui visait à promouvoir les activités agricoles  comme stratégie d’insertion des jeunes sans emploi dans la vie active. Ce programme lancé le 4 mars 2008, et placé sous la direction de l’Agence Nationale du Plan pour le Retour Vers l’Agriculture (ANREVA), est financé à hauteur de 650 millions de FCFA par le Maroc, 10 millions d’Euros (un peu plus de 655 millions FCFA) par l’Espagne et environ 1 milliard FCFA par l’Etat du Sénégal[6]. Comme bilan après les deux premières années de mise en œuvre, selon ses responsables, il a permis la création de 18 pôles à travers 10 Régions du pays[7] pour une superficie totale de 1200 ha irrigués par le système du goutte-à-goutte et 7000 emplois directs.

 

Par ailleurs, dans sa mission d’assistance aux jeunes à la recherche d’emploi, l’Agence Nationale pour l’Emploi des Jeunes (ANEJ) organise également des activités d’animation pour l’information, l’orientation, l’appui-conseil et le suivi afin de faciliter leur insertion. Ainsi, 5 809 jeunes ont bénéficié de son soutien à travers le pays. Dans le cadre de l’appui à l’élaboration de plans d’affaires, l’ANEJ accompagne des jeunes à identifier des créneaux porteurs en termes d’activités rentables et des sources de financement potentielles. En 2008, 824 plans d’affaires avaient été élaborés, avec une capacité de création de 4 513 emplois directs pour un coût global de 11 270 344 926 FCFA, dont l’essentiel provient de la Région de Dakar où près de ¾ des investissements financiers sont engagés, soit 8 368 840 523 FCFA (74,3%) pour un potentiel d’emplois de 2667 (Tableau 3). D’autres initiatives comme le Fonds National pour la Promotion de la Jeunesse (FNPJ) et de l’Office pour l’Emploi des Jeunes de la Banlieue (OFEJBAN) ont également été mises en œuvre.

 

 

Tableau 3. Répartition des investissements de ANEJ par Région

 

Projets montés

%

Coûts des projets

%

Nombre d’emploi à créer

%

Dakar

571

69,3

8368840523

74,3

2667

59,1

Kaolack

30

3,6

118064767

1,0

165

3,7

Tambacounda

6

0,7

41957925

0,4

37

0,8

Kédougou

1

0,1

10000000

0,1

15

0,3

Kaffrine

6

0,7

25909785

0,2

18

0,4

Thiès

64

7,8

1398977380

12,4

642

14,2

Ziguinchor

38

4,6

363075802

3,2

168

3,7

Kolda

8

1,0

30870900

0,3

44

1,0

Saint Louis

38

4,6

397413850

3,5

288

6,4

Louga

7

0,8

30138040

0,3

46

1,0

Matam

2

0,2

21737550

0,2

18

0,4

Sédhiou

11

1,3

118940593

1,1

92

2,0

Fatick

11

1,3

60438067

0,5

81

1,8

Diourbel

31

3,8

283979744

2,5

232

5,1

TOTAL

824

100,0

11270344926

100

4513

100

Source : ANEJ, Rapport d’activités, 2008

 

Néanmoins toutes ces actions n’ont pas permis résorber les quelques 100 000 jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail[8], alors que les Régions périphériques restent marginalisées dans les différents initiatives. Par exemple, presque 60% des interventions de l’ANEJ se font à Dakar contre seulement respectivement 0,3% pour Kédougou et 0,4% à Matam (Tableau 52)[9]. Aujourd’hui, ces déséquilibres menacent l’unité nationale, comme en témoignes les événements de Kédougou, de Vélingara, alors que la question de la casamançaise est loin de connaître son épilogue[10]. Si, lors de l’inauguration de l’usine de Sabodala, le 3 juin 2009, le président Wade avait promis aux populations de Kédougou, une décentralisation du « Fonds Social Minier » (FSM) « pour servir d’instrument de développement des communautés pauvres et marginalisées de la Région », à ce jour, aucun acte concret n’a été posé dans ce sens. Cette situation est également à mettre en relation avec le contexte économique du pays, en net dégradation depuis 2003[11]

Djibril DIOP Ph.D
Chargé de Cours Faculté de l’Aménagement
Université de Montréal

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

 

BANQUE MONDIALE, 2006. Sénégal Développements Récents et les Sources de Financement du Budget de l’État. Revue des Dépenses Publiques, Septembre 18. PREM 4. Document de la Banque Mondiale, 108 p.

BANQUE MONDIALE, 2007. « Sénégal : À la recherche de l’emploi le chemin vers la prospérité », en collaboration avec le CEPOD (Centre d’Études et de Politiques pour le Développement), Dakar, 122 p.

RÉPUBLIQUE DU SÉNÉGAL, 2007. Évaluation quantitative du DSRP-I (2003-2005). Dakar, 45.

UNION EUROPEENNE, 2008. Sénégal. Données et Chiffres clés 2003-2007. Dakar, Délégation dela Commission européenne au Sénégal, octobre, 22 p.

WORLD BANK, 2007. World Development Indicators: Aid Dependency http://siteresources.worldbank.org/DATASTATISTICS/Resources/table6_11.pdf. (Consulté le 20 juillet 2010).

 


[1] Le Sénégal, après une croissance constante de 5% en moyenne entre 1995 et 2005, a vu son PIB chuter à 1,5% en 2009.

[2] ESAM-I, 1994/95; ESAM-II, 2001/2002; QUID, 2001

[3] C’est cette situation de chômage chronique des jeunes qui a engendrée le phénomène de l’émigration clandestine vers l’Espagne à travers cette aventure périlleuse, Barça ou Barsakh, dont les Régions périphériques comme Kolda ont été les plus touchées.

[4] Plus de la moitié de l’emploi, est offerte par les grandes entreprises qui représentent moins de 5% de l’ensemble des entreprises du pays, selon une étude d’oxfam 2009.

[5] Abdoulaye Diop, directeur de l’Emploi, à l’occasion de la session extraordinaire du Conseil Économique et Social consacrée au Pacte mondial pour l’emploi, le 17 décembre 2010.

[6] L’objectif premier de ce plan était de lutter contre l’émigration clandestine vers l’Espagne.

[7] Matam, Louga, Diourbel, Ziguinchor, Kaolack, Thiès, Dakar, Tambacounda et kolda. Ces pôles devaient être constitués de quatre fermes villageoises modernes, une ferme agropastorale, quatre pôles d’excellence et deux aquacoles pour la production de carpes et algues marines.

[8] Toutes ces initiatives représentent moins de 1% du budget national, soit 2 milliards FCFA.

[9] Lors du lancement des travaux d’exploitation des phosphates de Matam, en aout 2008, il était prévu de faire de la un pôle industriel remarquable et le ministre de l’Industrie et des Mines, Ousmane Ngom, avait promis des emplois pour la jeunesse, tout ceci est loin d’être une réalité, trois années après.

[10] Les évènements de Fanaye dans la Région de Saint-Louis d’octobre 2011 en sont aussi une autre illustration.

[11] Classé au 111e place sur 142 économies, le Sénégal où « corruption et accès difficile au financement se disputent l’environnement des affaires », est même absent des 10 premières économies africaines les plus compétitives, selon l’édition 2011-2012 du Rapport Global sur la Compétitivité (RGC) du Forum Économique Mondial (FEM) publié le mercredi septembre 2011, alors qu’en 2009-2010, le Sénégal occupait la 92e place sur 133 pays et 104e en 2010-2011.

1 COMMENTAIRE

  1. Les differents candidats qui se sont engages dans la course a la Presidentielle de 2012 doivent avoir une idee claire et pratique sur la maniere de resoudre le chomage de masse des jeunes au senegal, surtout en milieu rural.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

CAN 2023

DEPECHES

DANS LA MEME CATEGORIE
EXCLUSIVITE