Le Minitel, « faux frère » d’Internet, ferme définitivement

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Lancé en 1981 en Ille-et-Vilaine, puis en 1982 dans le reste de la France, le Minitel sera définitivement inutilisable samedi 30 juin. Avec l’arrêt du protocole X.25 et du réseau Transpac, initialement prévu pour le 30 septembre 2011, puis retardé à juin 2012, c’est une page de l’histoire française des télécommunications qui se tourne. Transpac tire sa révérence au profit d’Internet et du protocole TCP/IP, un réseau différent aussi bien en termes d’économie que d’infrastructure.

Le modèle économique du Minitel était établi en fonction du nombre d’utilisateurs connectés à un service : c’est le système kiosque. La tarification correspondait directement au numéro tapé par l’utilisateur, 36 11, 36 13, 36 14 ou 36 15, de 0,02 à 1,41 euro par minute. Les gains effectués sur une connexion étaient partagés entre la Direction générale des télécommunications (DGT), devenue France Télécom, et le fournisseur de services, qui touchait en moyenne 60 % du prix de la connexion. Les éditeurs de services Minitel et la DGT étaient donc assurés d’un prix de revient fixe. Au début des années 1990, huit ans seulement après le lancement du Minitel, la DGT commençait déjà à toucher des bénéfices sur le réseau qu’elle avait bâti, sans même faire payer directement le prix du terminal. A la fin des années 1990, le chiffre d’affaires du Minitel s’élevait ainsi à un milliard d’euros.

Depuis le passage à Internet, les éditeurs de sites sont davantage soumis à la fluctuation du marché publicitaire. « La différence fondamentale, c’est qu’il n’y a pas de modèle économique sécurisant sur le Web. Cela explique pourquoi les fournisseurs d’informations ont eu du mal à franchir le pas », explique Benjamin Thierry, enseignant à l’IUFM de l’Académie de Paris et spécialiste de l’histoire des interfaces homme-machine. Contrairement au modèle du Minitel, auquel ils étaient habitués, « les éditeurs ne touchaient rien sur l’accès à leur site Internet ».

Pour Benjamin Thierry, le Minitel n’a toutefois pas retardé l’adoption d’Internet en France, du point de vue des utilisateurs : « Je défends le paradoxe qui consiste à dire que du point de vue des services, le Minitel a créé un long moment de frein, mais a favorisé l’usage d’Internet. Un grand nombre de concepts qui organisent toujours notre vie digitale, comme les messageries ou les pseudonymes, existaient déjà avec le Minitel. »

UN RÉSEAU CENTRALISÉ

Transpac, le réseau utilisé par le Minitel, était complètement centralisé. Il était impossible pour les terminaux de communiquer entre eux, comme c’est le cas sur Internet. Ce réseau était conçu pour que les utilisateurs se connectent directement à des serveurs centraux pour accéder aux données. Exclusivement français, Transpac ne permettait pas non plus de communiquer avec des réseaux du même type à l’étranger.

« Internet est un réseau de réseaux. C’est une logique différente de celle du Minitel, une logique d’englobement au sein de laquelle on ne veut pas de centre politique ou technique », affirme Benjamin Thierry. Valérie Schafer, chargée de recherche à l’Institut des sciences de la communication du CNRS (ISCC), complète : « Avec le Minitel, les télécoms plaçaient l’intelligence dans le réseau, et non pas dans les terminaux. Internet place l’intelligence à la périphérie. » Le réseau Internet n’est donc pas, à la différence de Transpac, un réseau centralisé client-serveur, mais un réseau où chaque ordinateur est à la fois émetteur et récepteur d’informations.

Valérie Schafer tempère néanmoins : « Dans les faits, on assiste à une évolution de l’architecture du réseau qui fait que de plus en plus, on s’éloigne de l’Internet des pionniers, un réseau horizontal et ouvert. » C’est cette centralisation des usages d’Internet qui a poussé Benjamin Bayart, président du fournisseur d’accès associatif French Data Network (FDN), à parler de « Minitel 2.0 » pour évoquer cette dérive. Selon lui, les usages récents d’Internet ont dévié sa nature même, passée d’un réseau décentralisé avec des ordinateurs connectés en pair à pair, à un réseau centralisé de type Minitel, où les ordinateurs se connectent tous aux mêmes serveurs pour accéder aux informations, Google, Yahoo et Microsoft en tête.

LE PREMIER SUCCÈS TÉLÉMATIQUE DANS LE MONDE

Le Minitel n’a pas été la seule tentative de réseau télématique dans le monde avant le développement d’Internet. Ainsi, Prestel et Ceefax au Royaume-Uni, ou Bildschirmtext en Allemagne, ont également tenté de convertir le grand public, sans succès. Seul le Minitel en France a su conquérir le grand public, avec jusqu’à 9 millions de terminaux en 2000. « Les terminaux étaient payants à l’étranger, donc les gens ne voyaient pas l’intérêt. Le Minitel est l’un des derniers modèles technico-industriels dans la lignée des grands projets gaulliens », explique Benjamin Thierry. Selon lui, le succès du Minitel s’explique par « des raisons économiques, puisque le moniteur était gratuit pour les utilisateurs, et que le système kiosque était rentable pour les fournisseurs de services ».

A l’échelle mondiale, un autre réseau a, peu à peu, su se distinguer : Arpanet, l’ancêtre d’Internet. « Arpanet était un réseau intègrant une diversité d’ordinateurs de constructeurs différents. C’était un réseau général, ouvert. Ce n’était toutefois pas encore un réseau de réseaux hétérogène, comme le devient Internet, mais ‘seulement’ un réseau de machines différentes », explique Valérie Schafer. « Pour Arpanet comme pour Transpac, le choix a été de faire circuler les données en les découpant en paquets, ce qui sera la base de ce qu’on utilise encore aujourd’hui, avec le protocole TCP/IP sur Internet », détaille-t-elle. Jusqu’en 1983, Arpanet n’était toutefois destiné qu’aux chercheurs et aux militaires et n’avait pas d’ambition grand public.

Autour de la fin du réseau Transpac se joue également un affrontement de longue date entre la DGT, favorable au protocole X.25 de Transpac, et les informaticiens, soutiens du protocole TCP/IP d’Internet. « Le principe de TCP/IP est celui des datagrammes, inventés par le Français Louis Pouzin : le découpage d’un message en paquets dispersés dans le réseau et rassemblés à destination. En France, la DGT avait choisi un modèle de circulation différent : le message est découpé en paquets qui vont se suivre dans un circuit », commente Valérie Schafer. C’est cette opposition entre deux conceptions qui va donner naissance aux protocoles X.25 et TCP/IP, et aux réseaux Transpac et Internet. France Télécom va finalement s’adapter au passage à Internet et au TCP/IP au milieu des années 1990, sans pour autant renoncer au protocole X.25 de Transpac. Ce sera chose faite samedi 30 juin 2012.

Geoffroy Husson

lemonde.fr

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