EnQuête – Quelle que soit sa motivation d’en parler ici et maintenant, les révélations de l’avocat Robert Bourgi éclairent une partie importante de l’histoire de la Françafrique. Elles font désormais un triste sort au culte du secret dont se drapent les hauts fonctionnaires de tous pays mais plus encore sous nos latitudes pour ne pas dévoiler les actes qu’ils ont posés sous injonction des régimes qu’ils ont servis.
Pour ce qui concerne les transferts massifs de fonds entre certains chefs d’Etat d’Afrique et celui de l’ancienne puissance coloniale, Robert Bourgi a pris le relai de Jacques Foccart après une trentaine d’années au rythme de plusieurs dizaines de millions de francs lourds par an.
La liste non exhaustive des présidents concernés jusqu’à une date récente par ce transfert d’argent nous montre la vénalité des relations politiques entre les partis politiques africains et ceux de la métropole dès lors que des dirigeants supposés de gauche comme Blaise Compaoré, Laurent Bagbo et Denis Sassou Ngessou financent la campagne électorale de candidats-présidents de droite comme Jacques Chirac avec Bongo, Mobutu et Abdoulaye Wade avec qui il a des accointances doctrinales. C’est là que nous sommes édifiés : cinquante années après les indépendances africaines, la communauté franco-africaine que les autorités françaises n’ont pas officiellement dissoute, n’est pas morte.
Le rapport de forces au plan international explique le besoin de compréhension des trois présidents de gauche de la part de la France et qu’ils doivent acheter contre mauvaise fortune bon cœur, Compaoré en petites coupures, Gbagbo qui s’aligne au tarif Bongo et Sassou Nguessou issu des services spéciaux des forces armées pour gagner sa guerre civile. Mais le président Abdoulaye Wade qui nous intéresse tant et son fils Karim Wade qui nous intrigue tant, que veulent-ils acheter au prix coutant de deux remises de deux mallettes remplies d’une centaine de millions de dollars ? En 2002, la réélection prévue en 2005 du président Wade n’était pas d’une occurrence préoccupante.
C’est là que l’Histoire se répète. Jacques Foccart, le mentor de Bourgi raconte dans ses mémoires qu’un jour de 1986 ou 1987, alors qu’il était au cabinet du Premier ministre Jacques Chirac dans le premier gouvernement de cohabitation, Ali Bongo, le fils du président gabonais l’a joint au téléphone pour solliciter accès au chef du gouvernement en sa qualité de porteur d’un message confidentiel de son père. Le plus cocasse est que le petit Bongo a demandé que des motards lui soient envoyés. En avisant le Premier ministre, Jacques Foccart l’a averti que selon ses informations, il s’agirait d’instituer une monarchie constitutionnelle. Ce à quoi un Jacques Chirac hilare a répondu : « On verra bien. Envoyez-lui des motards ! »
A Matignon, Ali Bongo avait déclaré avoir une communication hautement confidentielle au Premier ministre qu’il devait lui faire seul à seul. Au sortir de l’audience, Chirac toujours hilare confirme les informations de Foccart : Bongo veut bel et bien une constitution monarchique et faire d’Ali son héritier. Les réserves de Chirac ont déçu l’héritier présomptif. Mais si Jacques Foccart n’a pas vécu assez longtemps pour voir se réaliser le rêve du tenace Ali Bongo, le Premier ministre devenu président par la suite, Jacques Chirac est encore là pour en rire. Il ne s’est cependant pas trompé en tout pour tout : ce n’est pas avec une constitution monarchique que les Bongo ont accompli la succession au pouvoir du père au fils.
Ali Bongo a été un des candidats à la succession de son père. Détail important, son principal soutien dans la Françafrique a été précisément Maître Robert Bourgi, conseiller du président Nicolas Sarkozy pour l’Afrique. Le soutien a d’ailleurs été peu discret : Si la France n’a pas de candidat, Robert Bourgi en a un, c’est Ali Bongo. Et je suis un ami très écouté de Sarkozy. Nous pouvons en déduire que sa prise de position en faveur d’Idrissa Seck dans la guerre que se mènent les deux factions libérales pro-Wade, Abdoulaye ou Karim d’une part et pro-Idrissa Seck d’autre part, ne relève d’un principe de refus de la succession de père en fils. Surtout que l’entêtement du président sénégalais à se représenter pour un troisième mandat diffère la succession wadienne.
La question est en effet importante de savoir ce qui oppose vraiment wade et Bourgi pour mieux envisager les enjeux de la prochaine élection présidentielle. Le doute n’est pas cependant permis quant aux pratiques que dénonce l’avocat conseiller de l’Elysée. Les cas de distribution incongrue et inopportune d’argent par le président Wade sont tellement nombreux que les sénégalais ne se soucieront pas d’en compter un ou deux de moins à Jacques Chirac. Il reste que la candidature de Wade comporte un enjeu de plus s’il était combattu par l’ancienne puissance coloniale. La dimension nationaliste qui pourrait effacer la posture honteuse adoptée lors de la crise libyenne. Mais le défi majeur reste un leadership qui sorte de la communauté française dans laquelle nous pataugeons depuis la fausse