Mame Less Camara – «les Partis Politiques Sont Devenus Des Mouvements Pour Régler 4 Ou 5 Problèmes»

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Analyste politique lucide, original et percutant, Mame Less Camara, journaliste et enseignant au Cesti, fait dans ce grand entretien une sorte d’archéologie des partis politiques sénégalais, à la lumière des soubresauts qui accompagnent leur vécu et leur dépérissement.

PROPOS RECUEILLIS PAR ABDOULAYE MBOW (actunet) et paru dans Nouvel Hebdo

Qu’est-ce qui explique la scission dans les partis politiques d’aujourd’hui ?

D’abord, les partis politiques ne sont pas fondés sur une vision partagée du monde, de l’économie, de la politique, de la société. C’est souvent un compagnonnage assez affectif. Les discussions idéologiques y ont de moins en moins cours, et on partage un parti parce qu’on partage un idéal assez flou, alors qu’il y a une vingtaine d’années, on était de gauche ou de droite. Je défie quiconque de me dire si l’Alliance pour la République (Apr, part au pouvoir) est un parti de gauche ou de droite. Depuis quelques temps à travers le monde, je crois que les clivages idéologiques ont sauté ou ont été affaiblis. Ce qui fait qu’il y a une sorte de convergence au niveau mondial de la gouvernance au centre. Des pays capitalistes comme les Etats-Unis ont dû enregistrer certains changements. Par exemple, les réformes d’Obama concernant la santé. D’ailleurs, on a vu les résistances que cela a suscitées. En France, Hollande est arrivé au pouvoir en brandissant son épée anticapitaliste. Aujourd’hui, comme ses prédécesseurs à la tête de l’Etat français – sous Mitterrand – avec divers Premiers ministres, Hollande gère ce qu’on appelait à l’époque le socialisme gestionnaire. C’est-à-dire un socialisme de proclamation, mais fondé véritablement sur une acceptation de la gestion capitaliste.

Ça se passe comment ici ?

Au Sénégal, nous avons également vu des partis comme la Ligue démocratique – Mouvement pour le parti du travail (Ld-Mpt), qui au départ était un parti ouvrier fondé sur une acception marxiste de l’histoire de la société. Puis, ce parti s’est élargi, s’est popularisé et l’idéologie s’est diluée dans les diversités qui ont adhéré au parti. Je me rappelle encore de la phrase d’Abdoulaye Bathily disant un jour que la «Ld était un parti de classe, maintenant, il est devenu un parti de masse». Donc, les choses allaient être modifiées en fonction de la donnée sociologique. Je crois que c’est cela l’explication théorique.

Et pratiquement ?

Maintenant au plan pratique, il me semble que les leaders de partis restent très longtemps au pouvoir, n’ouvrent pas très tôt les portes de la participation à la prise de décisions aux jeunes qui poussent et qui sont la vitalité du parti. Et, très souvent, à la première crise, les gens quittent le parti, non pas pour aller adhérer à un autre parti plus conforme à leur vision, mais pour fonder leur propre parti. Chaque parti donne naissance à d’autres partis et cela fragilise le maintien de l’unité dans le parti. Ensuite, viennent les problèmes de succession. Chaque leader qui arrête ses activités pour différentes raisons, laisse le parti en proie à ses ambitions inhérentes. Et souvent, les perdants n’acceptent pas de laisser tomber et de rejoindre les rangs sous l’autorité du nouveau gagnant. Enfin, les partis ne tiennent pas du tout de congrès ou quand ils les tiennent, c’est quelqu’un qui est à la tête du parti sans rien faire et qui, au moment du congrès, veut renouveler sa présence à la tête du parti. Je rappelle un élément : depuis que Abdou Diouf avait lancé le gouvernement de majorité présidentielle, l’idée de partage du pouvoir que certains leaders de la Gauche avaient commencé à théoriser, a fait que les leaders se sont dits que la vocation d’un parti politique est d’exercer le pouvoir, et partager le pouvoir avec le Président en place, c’est une manière d’exercer le pouvoir. Aujourd’hui au Sénégal, le parti politique est un parti d’existence éphémère. Et, même les partis que l’on pensait tailler dans le granite comme le Parti socialiste (Ps), sont en train de partir dans tous les sens…

Existe-t-il des données historiques à propos des scissions dans les partis politiques avec les exemples de Lamine Guèye (Sfio) et Senghor (Bds) ?

Je pense que le modus operandi a changé. Dans les années 50 voire même 60, la terminologie de l’époque que l’on utilisait était désignée sous la formule de la phagocytose. En réalité, on empruntait à la science naturelle des termes pour expliquer le processus d’absorption de plusieurs partis. Donc, des partis entiers étaient absorbés par le Parti socialiste (Ps). Quand il était l’Union progressiste sénégalais (Ups), il a absorbé le Parti du regroupement africain-Sénégal (Pra-Sénégal) et d’autres partis politiques de moindre envergure. C’est ainsi que le Ps, quand il n’arrivait pas à absorber la totalité du parti politique, il en absorbait une part importante. D’ailleurs, entre 1966 et 1974, on a vécu une situation de parti unique. Maintenant, les partis ne viennent plus se fondre dans un parti dominant simplement parce qu’il n’y a plus de parti dominant. Depuis la défaite du Ps, l’espace politique est habité par des formations qui, sans être égales du point de vue de leur poids et de leur capacité de mobilisation, sont tout de même des partis de dimension assez modeste. Aucun parti ne peut, comme cela se passait, gagner tout seul des élections. Donc, maintenant, à la logique d’absorption, s’est substituée une sorte de dynamique de négociation.

Est-ce que le jeu des alliances n’a pas modifié les données ?

Le parti qui veut gagner, il négocie avec d’autres, probablement pour des postes moins importants dans le gouvernement ou dans l’administration. Cela permet à ces partis de se proclamer co-gestionnaires, même si dans les faits, c’est le parti du Président de la république qui est le noyau de cette alliance, même si tout seul, il ne pourrait pas exercer le pouvoir à plus forte raison de le conquérir. Donc, ce sont les modalités de changement d’alliance qui ont changé. D’ailleurs, au second tour de la présidentielle de 2012, Macky Sall disait que «nous gagnons ensemble et nous gouvernons ensemble». Mais il ne dit pas quelle est la proportion pour chacun. Mais comme Wade l’avait fait en 2000, dès que l’alternance est effective, le parti présidentiel commence à imposer son impérium sur les autres partis. Et s’il ne les absorbe pas, il garde sur eux une influence et leur inflige quasiment une sorte de soumission.

C’est le fameux «se taire ou partir».

Dans ces partis présidentiels, il y a une aile dure qui ne cesse de répéter qu’il faut rejeter ceux qui sont venus se greffer sans succès au parti dominant. Tout le monde a vu comment la Ld a été expulsée du gouvernement de Wade et comment Landing Savané s’était retrouvé contre Wade. Donc, les partis sont devenus fragiles du fait de l’absence de renouvellements et de débats. Amath Dansokho a quitté son parti pour des raisons de vieillesse, Landing a perdu pour ce que l’on sait, Wade est encore là, Abdou Diouf n’a jamais posé un acte de démission dans son parti, mais, il a abandonné parce qu’il n’avait pas supporté sa défaite. Donc, on peut dire que les partis sont des personnages presque obsolètes de la scène politique. Ce qui fait que l’état de santé de leurs dirigeants, c’est leur propre état de santé. Ce sont des partis malades qui doivent, soit se renouveler, soit se refonder. D’ailleurs, c’est important de voir qu’Ousmane Tanor Dieng, dans la perspective d’hériter du Ps, avait lancé un mouvement qui s’appelait la ‘’Refondation’’. Ce n’était pas seulement une sorte de trouvaille sémantique pour rendre un peu attractif son mouvement de conquête du parti. Donc, il faut refonder les partis car si vous regardez bien, les fameux sigles ‘’Ps’’, ‘’Ld’’, ‘’Pit’’, etc., sont en train de disparaitre au profit de mouvements ‘’Yaakaar’’, ‘’Luy Jot Jotna’’, entre autres. Les partis qui sont aussi privés d’idéologie sont aussi privés de la vision que leur offrait le monde.

Et ils deviennent quoi à votre avis ?

Maintenant, ce sont des partis d’urgence. Il faut, de manière urgente, régler la question scolaire, le problème de la pauvreté. Donc, on n’a pas de partis qui veulent transformer la société dans sa globalité, alors qu’autrefois, c’était pour la légalité, la justice, pour que chaque Sénégalais puisse s’épanouir grâce à une éducation pour tous. Maintenant, les partis sont des mouvements pour régler quatre ou cinq problèmes. En lançant le Plan Sénégal émergent (Pse), le Président Macky Sall veut sortir des partis d’urgence et montrer qu’il a un parti de vision. Yonou Yokkuté était pour régler d’urgence le problème de la pauvreté.

Existe-t-il des solutions face à la scission dans les partis politiques ?

La solution, c’est de restaurer le débat interne, de respecter les échéances. Des congrès régulièrement tenus à date échue permettent d’entretenir au sein des partis cette sorte de débats, d’offre de programme, d’orientation, de mise en place de nouvelles équipes. Mais aujourd’hui, on ne sait pas pourquoi un beau jour, l’Afp dit : nous renonçons à ce pourquoi nous avons existé jusqu’ici – la conquête du pouvoir au profit d’un allié à qui nous cédons tout. A la limite, cela veut dire que cela devient un mouvement, une branche d’un autre parti dans un autre parti, dans l’ambition d’un homme. Ici, on franchit le seuil d’entrer dans un autre parti au lieu d’en être simplement le partenaire. Donc, nous avons des partis de chefs et non des partis de débats. (…) Ce n’est pas un hasard si le Pds et l’Afp, des partis qui étaient organisés autour de leurs fondateurs, sont en train de ralentir ou même d’exploser du fait de la fin de course de leurs leaders…

actunet.sn

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