Ancien ministre de l’Intérieur, Me Ousmane Ngom, a fait l’actualité ces derniers temps. En exclusivité pour L’Observateur, il évoque ses convocations, son arrestation musclée à Kolda, ses auditions devant les gendarmes, «l’affaire Mamadou Diop». Il revient aussi sur les détails du malaise qu’il a piqué à la Section de recherches à la Caserne Samba Diéry Diallo et livre les secrets de ses face-à-face avec le Procureur de la République.
Vous avez été entendu hier par le Procureur de la République, Me Ousmane Diagne et vous en êtes sorti libre. Que s’est-il passé réellement lors de ce face-à-face ?
Je peux vous dire qu’il ne s’est rien passé. Parce que j’étais au Tribunal régional hors classe de Dakar à la demande du Procureur de la République. J’y suis resté pendant plusieurs heures et au bout du compte, le Procureur m’a fait entrer dans son bureau pendant 5 minutes pour causer et après, il m’a dit : «Vous pouvez aller poursuivre votre campagne.» Nous n’avons pas fait d’audition, ni de procès-verbal. Donc, je peux dire que je n’ai pas été entendu. La première fois également, après mon retour spectaculaire de Kolda, c’est exactement la même chose qui s’était passée. Après la journée et la nuit que j’ai passées à la caserne (Samba Diéry Diallo) de la Gendarmerie de Colobane (Dakar), quand je suis arrivé au tribunal et ai été introduit dans le bureau du Procureur de la République, il m’a demandé de rentrer chez moi. Il ne m’a pas entendu. Il m’a simplement dit : «Quand vous aurez le temps, la semaine prochaine, vous passerez pour qu’on puisse clore ce dossier.» Il m’avait même dit que je pouvais passer le mardi, je lui ai répondu que cela risquerait d’accentuer le retard pour ma campagne électorale, il m’a dit donc de venir lundi à midi. C’est ce qui explique donc que j’y sois allé lundi à midi. Et nous avons causé entre Sénégalais.
De quoi avez-vous causé, hier, «entre Sénégalais», comme vous le dites ?
J’allais presque dire que c’est une discussion privée. On a échangé entre gentlemen des fonctions que nous occupions pour dire que chacun doit respecter la fonction et l’autorité. Que nous sommes appelés à nous respecter, à nous retrouver assez souvent. Et donc, nous devons maintenir les meilleurs rapports possibles. Sur ce plan, nous étions en phase. En ce qui me concerne, j’ai toujours eu, en tant que membre de la famille judiciaire, les meilleurs rapports avec les magistrats. Déjà, lorsque j’exerçais mes fonctions d’avocat, mais ensuite pendant tout le temps que j’ai été soit à l’Assemblée nationale ou au gouvernement. Beaucoup d’entre eux sont des camarades de promotion, des amis ou des concitoyens. C’est le cas pour le Procureur général, Youssoupha Mbodj. Son frère est un confrère et un ami. Donc, nous n’avons aucun problème. J’ai dit, lors de ma première comparution (sic), que le Procureur général était sorti, après 15 minutes d’attente, pour me saluer avec beaucoup de déférence et de courtoisie. C’est un homme courtois, poli, compétent. Par conséquent, nous n’avions aucun problème. J’ai également dit que si je suis parti du secrétariat du bureau du Procureur, c’était beaucoup plus pour le mettre à l’aise qu’autre chose. Parce que j’avais attendu pendant près de 2 heures. Je voyais qu’il était très embarrassé parce que j’ai relancé plusieurs fois son assistante pour lui dire que j’avais suffisamment attendu et lui demander si le procureur ne m’avait pas oublié. Il demandait toujours qu’on lui laisse un peu plus de temps. J’avais compris son embarras parce que, dès le départ, j’avais saisi, qu’avec les auditions intempestives à la veille de la campagne électorale (des élections législatives du 1er juillet, Ndlr) avaient une motivation purement politique.
N’avez-vous pas prêté le flanc en défiant la justice ?
Je ne peux pas dire que j’ai défié la justice ou que j’ai prêté le flanc. D’abord, s’agissant de ce qu’on appelle aujourd’hui l’outrage à magistrat, il ne peut pas être question de cela, puisque je n’ai pas rencontré le magistrat. J’ai demandé à le voir. J’ai patienté pendant plus de 2 heures sans le voir. J’ai toujours été très respectueux des magistrats et de la magistrature. C’est la raison pour laquelle j’ai répondu à la première convocation à l’heure et au jour indiqués. Je n’étais pas obligé de le faire.
Pourquoi ?
Pour les raisons de procédure que j’ai indiquées. D’abord, à cette époque-là, le bâtonnier de l’Ordre des avocats n’avait pas été saisi. Ensuite, si cette convocation était liée aux anciennes fonctions que j’occupais en tant que membre du gouvernement (ministre de l’intérieur, Ndlr), il y a une procédure qui est prévue et qui est définie à partit de la Constitution. La Haute cour de justice n’ayant pas été saisie et n’ayant pu déclencher aucune procédure à mon encontre, je n’avais pas à être convoqué s’il s’agissait de ma gestion en tant que membre du gouvernement. Donc, par déférence et respect à l’égard de la justice et des magistrats, j’ai choisi d’aller répondre à cette première convocation. Je suis resté pendant près de 2 heures et je n’ai pas du tout été entendu une seule fois. Au même moment, il y avait dans le pays, un lynchage médiatique permanent pour dire que nous avons été convoqués et que tous les dignitaires du régime d’Abdoulaye Wade étaient convoqués à la justice pour répondre de leur gestion, de fautes qu’ils auraient commises, de détournements ou d’enrichissement illicite. C’était insupportable et inacceptable de la part de personnalités qui ont servi ce pays loyalement et dignement. En plus, nous étions à la veille de la campagne électorale et nous devions tous être sur le terrain, il n’était alors pas question de rester là et d’accepter d’être ligoté, anesthésié pour ne pas aller faire notre travail de responsable politique.
Pourquoi vous n’avez pas déféré à la seconde convocation ?
J’avais compris le jeu de nos adversaires politiques. Ceci n’a rien à voir avec la magistrature. C’est par rapport à nos adversaires politiques qui ont voulu instrumentaliser la justice pour des règlements de comptes politiques. C’est-à-dire pour se battre avec leurs adversaires politiques de façon déloyale. Ayant compris ce jeu, c’est la réponse politique que j’ai donnée, en disant que je ne viendrai plus répondre tant que nous serions dans la campagne électorale. En plus de cela, je suis candidat aux élections législatives du 1er juillet et par conséquent, je suis quand- même couvert par une certaine immunité dès le début de la campagne. Nous devons également préserver la liberté et l’égalité entre tous les candidats en période de campagne électorale. Mon propos s’adressait beaucoup plus au pouvoir, à nos adversaires politiques qui voulaient utiliser des méthodes déloyales pour nous empêcher d’aller mener notre campagne électorale.
Est-ce que vous aviez reçu la deuxième convocation ?
Bien sûr ! Je l’avais reçue ici à Dakar, mais j’étais déjà en partance pour le terrain pour mener ma campagne.
Comment avez-vous vécu l’irruption des forces de l’ordre dans votre chambre d’hôtel à Kolda ?
Avec beaucoup de sérénité. Je suis un militant politique depuis plus de 30 ans. C’était peut-être ma dixième arrestation. J’ai été arrêté souvent dans des conditions inimaginables, quelquefois à l’aube, quelquefois la nuit ou même à la mi-journée. Je me suis toujours préparé à ce genre d’exactions. Mais, je dois dire que cela n’existait pas avec l’ancien régime. Tout cela a été conquis dans la nouvelle Constitution avec le Président Wade. Je pensais que maintenant au Sénégal, on n’avait pas besoin d’utiliser les anciennes méthodes pour faire comparaître quelqu’un, car il y a des degrés. Lorsqu’on convoque quelqu’un, non seulement, on peut lui envoyer une autre convocation, mais aussi lui servir un mandat de comparution ou lui servir un mandat d’amener, de manière civilisée, dans les règles de l’art.
Pourquoi attendre toute cette procédure, alors que vous auriez pu répondre dès réception de la convocation ?
Encore une fois, c’est par rapport aux soubassements politiques qu’il y a dans cette convocation qui n’avait rien à voir avec mes activités ou fonctions politiques. Bien entendu, j’aurais répondu dans d’autres circonstances. Il faut revenir au contexte où cette convocation m’a été délivrée, aux motivations de cette convocation. En réalité, c’est une réponse politique que j’ai donnée à une initiative politique tendant à nous museler.
Qu’avez-vous senti quand les éléments de la Brigade d’intervention polyvalente (Bip) vous ont passé les menottes ?
Non, cela aussi, c’est une fable. Je n’ai jamais été menotté. Les policiers, qui étaient venus (l’interpeller à Kolda), ont été très corrects. C’est vrai qu’ils sont entrés par irruption, de manière un peu spectaculaire…
Que vous ont-ils dit ?
Ils m’ont salué, j’étais en train de finir ma douche, ils m’ont laissé terminer ma toilette et m’habiller. Ensuite, je suis allé vers eux et ils m’ont décliné le but de leur présence. Ils m’ont fait savoir qu’ils étaient là sur ordre du procureur général pour me faire comparaître devant lui à Dakar. Je leur ai répondu que j’étais à leurs dispositions.
Comment s’est passé votre transport ? Il se dit qu’il a eu des échanges houleux entre vous et les éléments de la Brigade d’intervention polyvalente (Bip) ?
Ce n’est pas vrai, les Sénégalais sont très friands de fables et de rumeurs. Mais au contraire, cela s’est passé de la façon la plus courtoise. Au moment même où l’on quittait la chambre, je leur ai demandé d’attendre que je prenne quelques provisions, des canettes de boisson et des bouteilles d’eau qui étaient dans le frigo, car j’étais préparé à partir par la route. Ce que j’ai fait en les mettant dans un sachet et une fois dans le véhicule, j’ai même dit que je devais en prendre beaucoup plus pour pouvoir leur en servir en cours de route. C’est à ce moment-là que j’ai été informé que le transport se ferait en avion.
Avez-vous eu le temps de boire vos boissons ?
J’ai bu une bouteille d’eau et j’en ai même servi à mes amis, disons d’un moment, c’est-à-dire mes anciens collaborateurs (il parle des policiers de la Bip, Ndlr).
N’aviez-vous pas eu mal, en tant qu’ancien ministre de l’intérieur, d’être cueilli par vos anciens subalternes ?
Non, même si cela aurait pu être évité, parce que cela n’était pas nécessaire. Je ne suis pas quelqu’un qui va fuir, qui va disparaître parce que la justice a besoin de lui. Je suis un militant politique dans le sang. Ce qui est important, c’est que je n’ai jamais été arrêté pour vol ou pour meurtre. Tant que cela continuera comme cela, je suis préparé pour la prison et même pour la mort. Ce n’est pas parce que l’on est venu, de manière spectaculaire, faire ce show à Kolda pour ensuite m’entendre pour outrage à magistrat que je vais me défiler.
Pendant combien de temps avez-vous été entendu par le Procureur ?
Je n’ai pas été entendu ni la première ni la deuxième fois. La première fois que j’étais venu, le Procureur général m’a demandé d’aller avec la Section de recherche de la gendarmerie à la Caserne Samba Diérry Diallo et j’y suis allé. Ni lui ni le Procureur de la République (Ousmane Diagne) ne m’ont entendu. Après mon séjour à la Caserne Samba Diérry Diallo, je suis revenu devant le Procureur de la République, Ousmane Diagne, mais il ne m’a pas entendu. Il m’a reçu peut-être pendant 2 minutes pour me dire vraiment que ce qui s’est passé aurait pu être évité.
Vous lui avez présenté vos excuses ?
Non.
Pourtant…
C’est vous, les journalistes, qui l’avez dit et écrit, mais ce n’est pas le Procureur. Des excuses pourquoi et pour qui ?
Pour avoir dit que vous n’allez plus déferrer à la convocation de la Justice avant la fin de la campagne électorale pour les Législatives !
Le Procureur Ousmane Diagne n’était pas concerné par cette affaire, le Procureur général non plus. Pour outrager un magistrat en fonction, il faut le rencontrer. Donc, il n’y a pas d’excuses à présenter. Dans ce pays, on est en train d’aller vers des travers extrêmement graves, de manipuler à outrance la presse et de l’orienter à des fins tout à fait dangereuses. C’est le plus grand danger que Macky Sall est en train de courir. Il est entouré de journalistes qui manipulent l’opinion avec des calomnies, des fantasmes, au lieu de lui donner les bonnes informations. Cela va déstabiliser le pays. Je n’ai jamais présenté d’excuses à qui que ce soit parce que je n’ai jamais causé de tort à qui que ce soit. J’ai fait une prise de position politique par rapport à une décision politique qui a été prise.
Pour revenir à votre audition à la Section de recherche, qu’est-ce qu’ils vous ont demandé à propos de votre patrimoine ?
Là aussi, il faut distinguer deux choses. La Section de recherche de la gendarmerie m’a dit qu’elle a été chargée d’une enquête de patrimoine par rapport à certaines personnalités listées qui appartiennent essentiellement à l’ancien régime. Je leur avais dit qu’ils n’avaient pas besoin de m’entendre sur ma déclaration de patrimoine car ils peuvent le faire seuls, je suppose même qu’ils l’ont déjà fait. S’ils me présentent le résultat de leur recherche, je confirmerai ou j’infirmerai. Ils m’ont répondu qu’ils préfèrent que je leur dise ce que je possède pour voir si ça confirme leur enquête. Le tour est vite fait sur mon enquête de patrimoine. Contrairement à la légende et à ce qui est dit, c’est très vite fait. Je n’ai que deux maisons à Saint-Louis, dont l’une est d’ailleurs en réhabilitation depuis plusieurs années et qui n’est pas encore terminée, ce qui fait que je loge toujours chez mes parents quand j’y vais. J’ai une maison de campagne à Saly que je partage avec ma femme, nous l’avons payée avec nos économies.
Et cette maison où vous vivez à Dakar ?
Cette maison ne m’appartient pas, c’est un logement de fonction que j’occupais quand j’étais ministre-conseiller du Président Wade. C’est moi qui ai cherché la location de cette maison parce que l’Etat n’avait pas de maison à me donner. Elle appartient à un médecin qui est vivant, dont la famille est ici à Dakar et qui n’est pas mon beau-père. Quand j’étais entré dans le gouvernement, j’ai demandé à l’Etat de la conventionner et l’Etat l’a fait. Quand je suis devenu ministre de l’intérieur, on m’a dit de quitter cette demeure car les ministres de l’Intérieur habitent généralement au Plateau et on leur donne des villas plus grandes que celle-là. J’ai rétorqué que mes enfants sont habitués à cette maison puisque deux y sont nés, donc je préfère rester ici. Quand j’ai quitté le Gouvernement, j’ai immédiatement écrit au Patrimoine bâti pour demander la résiliation immédiate de la Convention. Cela a été fait aussitôt et j’ai repris la location de la maison. Voilà toute l’histoire de cette maison.
Vous n’avez pas de maison à Dakar ?
Je n’ai donc pas de maison à Dakar ni d’appartement à l’étranger, encore moins de biens à l’extérieur. Si vous en trouvez, vendez-les aux enchères ou donnez-les aux œuvres sociales.
Et pour les comptes bancaires dont vous faisiez allusion?
J’ai deux comptes bancaires. Un au Sénégal qui peut être consulté par ceux qui le désirent et un autre à la Société générale de Paris que j’ai ouvert depuis que j’étais étudiant en France, c’est-à-dire au début des années 1980. D’ailleurs, c’est Me Abdoulaye qui m’a aidé à l’ouvrir et il fallait m’organiser puisque je faisais de petits boulots. Je n’en ai pas d’autres, ils peuvent le vérifier et faire le tour du monde.
Vous avez quand même fait des investissements, notamment l’usine de fabrique d’eau et de lait à Bandia ?
Justement, j’ai beaucoup rigolé en lisant ça. D’ailleurs, j’ai pris le journal pour le montrer à ma famille parce que je me suis dit : «Voilà comment fonctionne le Sénégal !» Aujourd’hui, on vous dit que vous avez une usine de fabrication d’eau minérale à Bandia. Le lendemain, c’est une fabrique de jus de fruit toujours à Bandia. Hier (lundi) ou samedi, j’ai lu dans un journal qu’il s’agissait d’une usine de lait qui appartient à mon épouse. Je me suis dit : «C’est trop gros !» L’Etat a les moyens d’aller à Bandia et de voir les usines qui y sont. S’ils trouvent quelque chose qui nous appartient, ils n’ont qu’à prendre cela et nous poursuivre.
A part les biens que vous avez énumérés, vous n’en avez aucun autre ?
Je n’en ai aucun autre, parce qu’encore une fois, je ne suis pas à la recherche de richesses. Je ne suis pas assoiffé de richesses.
Revenons un peu sur votre audition à la Section de recherche où vous avez piqué un malaise quand la garde à vue vous a été notifiée…
Je suis parti de Kolda tôt le matin, je n’ai pas pris le petit-déjeuner, je n’ai pas déjeuné aussi. Je n’ai pas non plus pris mes médicaments, parce que comme tout être humain et à mon âge, il faut prendre soin de soi pour rester en bonne santé. Pour ne rien cacher, je suis sujet à l’hypertension. Et mon malaise n’a duré que deux minutes. Il y a eu cette pression toute la journée, sans manger et presque sans boire. Lorsque je suis descendu de l’avion, je suis resté assis toute la journée sous le feu roulant des questions de la gendarmerie. Je dois dire que les gendarmes ont été très courtois et corrects avec moi, ils m’ont même donné des moments de pause, mais il faut reconnaître que c’était éprouvant. J’ai lu dans la presse que j’ai été transporté à l’infirmerie, alors que j’étais assis sur une chaise et je me suis même levé pour aller dans le bureau du capitaine.
C’était quoi le malaise ?
J’ai eu un vertige pendant un moment.
Il n’y avait pas de médecin qui est venu vous voir ?
Non, j’ai eu ce vertige, on m’a donné un verre d’eau et le capitaine m’a demandé de venir dans son bureau qui était beaucoup plus frais à cause de la climatisation, et j’y suis allé de moi-même. Ensuite, on a poursuivi l’audition. Et c’est seulement à la fin de l’audition, dans la soirée, que le capitaine m’a dit que pour les rassurer davantage, il serait bien de voir le médecin de la caserne afin de vérifier si tout allait bien. D’ailleurs, ceci est prévu dans toute garde à vue. Au bout d’une certaine période, vous devez voir un médecin. J’ai marché de moi-même pour aller à l’infirmerie, ensuite je suis entré dans une voiture pour revenir.
Le malaise vous aurait, raconte-t-on, sauvé de la prison, surtout le certificat médical qui a été joint au dossier ?
Non ! Si c’était le cas, beaucoup de gens auraient été sauvés de la prison. Il y a des gens qui ont été consultés plusieurs fois par des médecins après leur interpellation, qui ont même fait l’objet d’expertise médicale, mais qui sont encore en prison aujourd’hui. Ce n’est pas aussi facile que ça. J’ai été mis en liberté tout simplement parce qu’il n’y avait rien pour me mettre en prison. Est-ce que vous avez vu des gens mis en prison pour un soi-disant outrage à magistrat ? Dans quel pays on peut voir ça ? Je pense que ce sont simplement des histoires, c’est parce qu’il n’y avait absolument rien. Lorsqu’ils ont fait l’enquête de patrimoine, ils ont vu qu’il n’y avait rien, pas de quoi fouetter un chat. Ensuite, ils se sont dit qu’il fallait vraiment trouver quelque chose pour m’alpaguer, et ils ont sorti l’histoire de l’article 80. D’ailleurs, dès qu’ils ont sorti cet article dans l’audition, j’ai dit aux gendarmes que je n’avais plus de commentaires à faire, que je ne répondrais plus à aucune question.
Pourquoi vous êtes-vous braqué ?
Je ne me suis pas braqué, je me suis arrêté simplement, parce que je savais maintenant ce qui était recherché. J’ai décidé de les laisser aller jusqu’au bout de leur logique.
Mais comment avez-vous échappé à la prison, parce que l’article 80 suppose un mandat de dépôt ?
Mais encore faudrait-il trouver un fondement à l’article 80 ! Ce n’est pas pour un outrage à magistrat qu’on va appliquer l’article 80. Ils se sont rendus compte que c’était tellement ridicule de mettre en prison quelqu’un soupçonné d’outrage à magistrat qu’ils ont finalement laissé tomber. Et c’est ce qui explique d’ailleurs que je n’ai jamais été entendu ni la première fois ni la deuxième fois par le Procureur de la République. Il n’y a aucun procès-verbal jusqu’au moment où je vous parle avec le Procureur de la République pour me notifier quoi que ce soit.
Hier, le Procureur de la République vous a retenu de 11 heures à 17 heures pour causer avec vous pendant 5mn. Comment avez-vous vécu cette attente-là ?
Ils l’ont tout simplement fait pour essayer de me brimer, mais encore une fois ils se trompent. Si j’ai pu, moi, résister à Jean Colin, le combattre et triompher de lui pendant des périodes autrement plus dures et dans des conditions beaucoup plus difficiles, ce n’est pas ce genre de brimades, d’humiliation ou de tentatives d’humiliation qui peuvent m’infléchir ou qui peuvent m’emmener à renoncer au combat que je suis en train de mener. C’est un combat de principe, et je suis aujourd’hui plus déterminé que jamais à le poursuivre pour la défense des valeurs de la démocratie, des libertés et pour l’épanouissement du peuple sénégalais. Donc, encore une fois, quelles que soient les brimades que je subirai, je ne me laisserai pas faire.
Vous avez sûrement suivi les déclarations d’hommes politiques qui ont soutenu que vous méritez la manière avec laquelle vous avez été arrêté à Kolda, car vous avez été très répressif quand vous étiez aux affaires…
Au contraire, j’ai été agréablement surpris par l’ampleur des déclarations favorables à mon égard et surtout favorables à la défense des principes de liberté, d’égalité des citoyens. Des déclarations qui transcendaient les bords politiques, les camps politiques. Mais, j’ai entendu des déclarations qui venaient de gens qui sont supposés être nos adversaires politiques, mais qui n’ont pas hésité un seul instant à se lever contre l’arbitraire. Même du côté du camp du pouvoir, il y a eu des fissures et des gens, qu’on ne peut pas soupçonner de sympathie ou en tous cas de complaisance à mon égard, se sont prononcés par rapport au principe et ça me réconforte par rapport au Sénégal.
Mais à l’opposé, il y en a d’autres qui vous promettent la prison et qui mettent sur votre compte toutes les victimes de la pré-campagne électorale de l’élection présidentielle…
Le Général De Gaulle avait dit qu’un ministre de l’Intérieur n’a pas à être populaire et que c’est le ministre le plus seul du gouvernement. Parce que simplement c’est lui qui est chargé de veiller sur l’homme public afin que l’ordre public ne soit pas rompu ou pour qu’il soit rétabli. L’essentiel est qu’il le fasse avec beaucoup de mesure, avec beaucoup d’humanisme, avec également le souci de respecter les droits des uns et des autres. On a seulement parlé des manifestations qui ont été interdites. Mais dans une démocratie où il n’y a pas de manifestation interdite, c’est l’anarchie, c’est le désordre. Il y a des manifestations permises qui sont encadrées, mais il y a des manifestations qui, lorsqu’elles sont susceptibles de troubler l’ordre public ou de créer des situations très graves, doivent être contenues et interdites. Et c’est ce qui a été le cas au Sénégal. Nous sommes dans un Etat de droit. Il faut faire une enquête minutieuse et justement une enquête équitable pour que la lumière soit faite sur ce qui s’est passé exactement. Il faut situer les responsabilités et s’il y a des gens qui doivent être sanctionnés, que ces gens puissent l’être. Il ne faut pas jeter l’anathème tout de suite sur les gens et avoir ce qu’on pourrait appeler une présomption de culpabilité de telle ou telle personne. Je vais prendre un exemple qui est souvent cité dans le cas de l’affaire Mamadou Diop. Comment pouvez-vous imaginer, dans une foule de manifestants, que les conducteurs du «Dragon» puissent cibler une personne et foncer sur elle et l’écraser ? C’est impensable ! Je pense que les gens qui l’auraient fait ne dormiraient pas. Donc, je ne peux pas, jusqu’au moment où je vous parle, penser un seul instant qu’il y a une volonté délibérée d’aller heurter Mamadou Diop et de lui faire perdre la vie. Jusqu’au moment où je vous parle, je considère que cela ne peut être qu’un dérapage ou un accident, parce que ça arrive aussi dans les manifestations. S’il faut toucher toute la chaîne de commandement, pourquoi ne pas commencer depuis la base jusqu’à un niveau plus élevé !
Justement, vous avez été ministre de l’Intérieur à l’époque. Avez-vous cherché à situer les responsabilités ?
Bien sûr, il y a une enquête qui a été menée. Il y a des procès-verbaux et des rapports d’enquête qui ont été établis. Ils sont à la disposition de la justice. Lorsqu’il y a mort d’homme, il y a toujours une enquête qui est menée et les responsabilités situées. Je suis même pour qu’on enlève l’enquête à la Police pour la confier à une autre force comme la Gendarmerie ou l’Armée pour qu’elle soit impartiale. Je rappelle aussi que la première victime de ces évènements était un policier, Fodé Ndiaye, qui a été tué dans des conditions atroces. Dans ce cas précis, on ne peut pas parler d’accident ni de dérapage parce que c’est de façon délibérée qu’il a été tué. Les films de cette scène existent. Nous avons vu des gens frapper le policier avec des briques et froidement. Et pourtant, nous n’avions pas dit qu’il faut aller cueillir tous les responsables du M23 parce que ce sont eux qui ont organisé la manifestation. Il faut traiter cette question de la manière la plus sereine.
Propos recueillis par NDIAGA NDIAYE
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