Pr. Abdou Kane, cardiologue, auteur du livre « La vie sur un fil » : « L’hôpital public est en train de mourir au profit du privé »

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L’auteur de « La vie sur un fil », le Pr. Abdoul Kane, regrette, dans cet entretien, le temps de présence très faible des médecins dans les hôpitaux publics, surtout dans l’après-midi. Le cardiologue rappelle que ce sont uniquement les médecins universitaires qui sont habilités à faire des prestations dans le privé en dehors de leurs heures de travail. Mais aujourd’hui, dit-il, les non universitaires le font. Conséquence : plusieurs hôpitaux «fonctionnent à 50 % de leurs possibilités».

Vous venez de publier « La vie sur un fil ». Pouvez-vous nous faire l’économie de son contenu ?
Ce livre est un témoignage sur la réalité des hôpitaux publics africains. J’y raconte, à travers des nouvelles, les problèmes auxquels lesdites structures de santé sont confrontées. C’est ainsi que j’ai fait la description du cadre de l’hôpital public qui pose, parfois, le problème du confort, de l’insalubrité… J’ai aussi parlé de l’accessibilité des médicaments, de la qualité et de l’organisation des soins de manière générale, notamment dans les services des urgences qui posent d’énormes difficultés avec les retards dans la prise en charge des malades, le manque de moyens pour les médecins et la rupture des médicaments contre la douleur. J’ai également abordé l’accueil et l’écoute qui créent pas mal d’entraves dans les structures sanitaires. L’ouvrage traite aussi de la problématique des inégalités dans les hôpitaux. Ceux qui ont les moyens peuvent, parfois, s’y retrouver, mais les pauvres non. J’ai insisté sur ce que j’appelle les aspects éthiques, comme la séquestration des malades dans les hôpitaux.
Quelle est votre position sur la perte des valeurs d’humanisme dans les structures de santé ?
On dit que l’hôpital doit fonctionner comme une entreprise qui obéit à un certain nombre de règles. Ce n’est pas mauvais que l’hôpital public puisse s’inspirer des méthodes modernes de gestion, Mais cela ne doit pas nous faire oublier que cette structure doit, avant tout, répondre à une mission de service public et assurer des soins de qualité pour tous, conformément à la Constitution. Malheureusement, on privilégie, aujourd’hui, l’esprit d’entreprise et le mercantilisme. C’est-à-dire que vous devez payer, sinon vous n’obtenez pas des soins de qualité. On a voulu ainsi faire de l’hôpital une véritable entreprise, mais il ne l’est pas réellement. Une véritable entreprise, ce sont des règles, une gestion saine, des ressources humaines bien gérées. Et ce n’est pas encore le cas avec l’hôpital public. Les recrutements sont pléthoriques et le personnel n’est pas toujours qualifié. En plus de cela, les règles de gestion ne sont pas souvent bien maîtrisées. On a fréquemment des problèmes administratifs liés à une mauvaise maîtrise des procédures, comme le Code des marchés publics. Pour toutes ces raisons, l’hôpital public n’est pas réellement dans les véritables règles d’une entreprise publique. Et le fait qu’on ne prévoit pas suffisamment en fait également partie. Actuellement, la plupart des hôpitaux travaillent à 50 % de leurs possibilités, soit parce que le personnel n’est pas important, soit parce que les machines sont en panne.

Dans votre ouvrage, vous avez abordé la question des médecins qui monnaient leur talent dans les cabinets privés…
Effectivement ! Si vous allez dans les hôpitaux publics, notamment de niveau 3, particulièrement à Dakar et dans certaines régions, vous allez vous rendre compte que dans l’après-midi, il n’y a plus personne ou bien il y a très peu d’activités. Ce qui veut dire que les médecins n’y sont pas. Et même ceux qui sont là ne le sont pas de manière aussi soutenue comme cela devrait l’être. Pourtant, une loi qui réglemente l’exercice de la médecine privée existe. Elle stipule que ce sont les médecins, notamment les universitaires, qui doivent le faire. Mais, aujourd’hui, non seulement les non universitaires l’exercent mais aussi beaucoup d’entre eux le font dans des conditions qui ne sont pas prévues par la loi. Celle-ci précise globalement que ce sont des demi-journées. En réalité, si vous êtes dans l’hôpital, vous devez y avoir des ristournes. Je pense qu’il est temps que l’on revisite les textes et que l’on pose le débat sainement, pour obliger les praticiens à rester dans les hôpitaux pendant les heures de travail qui vont de 8 heures à 17 heures. Rien qu’en le faisant, la productivité accroîtra de 30 à 40 %. Dans ce cas, les médecins et le personnel qui auront produit plus verront leur salaire augmenter. Cela permettrait d’améliorer le cadre qu’est l’hôpital et de capter beaucoup de gens solvables qui, au lieu d’aller voir le même médecin dans une structure privée, viendront à l’hôpital. Je suis convaincu qu’avec ces mesures, on y arrivera. Toutefois, cela ne peut se faire que lorsqu’on pousse les gens à faire leur travail et aux heures fixées. Même s’il faut permettre aux médecins d’avoir des activités libérales dans l’hôpital, il faut aussi qu’ils le servent en partie. C’est-à-dire, le faire de façon saine comme c’est le cas dans d’autres pays. Si quelqu’un doit mener des activités privées dans l’hôpital, on doit lui fixer un quota de 20 à 30 % du reste de l’activité. Il faut également élargir les textes à la plupart des praticiens de la santé. Aussi, que l’argent généré par l’hôpital retourne à lui, qu’il y ait une traçabilité et que tout cela soit structuré.

Quelles solutions préconisez-vous ?
Les solutions, ce sont les justes soins et les justes coûts. Ce que j’appelle les justes soins, c’est de commencer par ce qui est important pour les populations, c’est-à-dire l’accueil et l’écoute. Pour ce faire, une formation de base et continue de l’ensemble du personnel est nécessaire. Faire des évaluations en demandant aux patients qui viennent dans les structures de santé de donner leurs points de vue sur la qualité du service sera un atout considérable. D’ailleurs, cela leur donnera l’occasion de juger et de sanctionner positivement ou négativement. Donc, la création d’un cadre pour que les malades puissent être bien accueillis dans les services de santé est primordiale. Par ailleurs, le cadre doit être attractif. Il s’agit des chambres, de la propreté, de l’hôtellerie et de l’alimentation. Ce sont des aspects qui font partie intégrante des soins. On peut également créer des espaces de convivialité dans les hôpitaux. Un enfant malade, interné dans une structure de santé, doit avoir l’impression qu’il y a une continuité de l’ambiance familiale à l’hôpital. Il faut des aires de jeux et des espaces. Les patients doivent avoir à leur disposition des journaux. Des médicaments essentiels, comme ceux pour gérer les cas d’urgence, à savoir contre la douleur et des antibiotiques, doivent nécessairement être disponibles. Mais ils manquent énormément dans les hôpitaux, alors que ce sont les plus élémentaires. Il faut, en outre, développer des activités qui peuvent être utiles aux soins, telles que la psychologie, la diététique, etc.

Que recouvre la notion de juste coût ?
J’appelle le juste coût la maîtrise des coûts. Ce qui veut dire qu’il faut d’abord bien former le personnel. Si tel n’est pas le cas, il va toujours faire des prescriptions inutiles et coûteuses. De même, l’accessibilité du matériel est à améliorer. Parfois, on achète des machines plus coûteuses que celles dont disposent les collègues français. Il faut savoir acheter du matériel reconditionné. Pour cela, on doit penser à des centrales d’achat. Avoir aussi des structures de maintenance digne de ce nom est essentiel, sinon les autorités vont beaucoup investir, et on n’aura jamais un retour d’investissement. L’hôpital doit aussi être dégraissé de son personnel qui n’est pas utile. Ceux qui ne sont pas directement liés aux tâches de soins devraient, en partie, être organisés en Petites et moyennes entreprises (Pme). Parce qu’il y a, dans les hôpitaux, beaucoup d’agents non soignants et non qualifiés qui perçoivent aussi des primes, même s’ils ne sont pas forcément utiles. L’hôpital doit pouvoir augmenter sa productivité, réduire ses charges et améliorer la qualité des soins. L’hôpital public est en train de mourir au profit de l’hôpital privé, et c’est son personnel qui enrichit ce dernier.

Propos recueillis par Idrissa SANE et Ndiol Maka SECK

5 Commentaires

  1. Merci M. Le Professeur ,

    Un de tes anciens stagiaires ( 1988) te salue.
    J’espère que ce livre est le 1er d’une série.

    La questiOn de la formation clinique au sens large pour les médecins et les paramédicaux devra être , un jour être abordée , et pourquoi pas sous votre plume.

    Où peut-on acquérir cet ouvrage ?

    Sentiments dévoués et considération distinguée.

    Dr Huchard
    Benelux

  2. Un diagnostic sans complaisance,!
    Le mal des hopitaux senegalais est trop profond.
    C’est dommage.
    A lire les solutions preconisees par Pr Kane je me retrouve tout de suite a Bellevue Hospital ou j meme ne mon enfant pur ses shots et annual check up.
    Avant de voir le Medecin du jour les enfants st ds une sale d’attente sous la supervision d’un social worker qui les aide a s,adonner a des jeux et/ou les initier a la lecture.
    Les medecins n’ont pas le tps de se livrer a des activites paralleles,le gor mat doit être systematiquement interdiit aux heures requires de travail.

  3. Nos compatriotes veulent toutes les facilités mais sans effort ( de gestion) mais en faisant l’économie du coût.

    Abdou KAne soulève les vrais problèmatiques !!!

     » LA Santé n’a pas de prix mais elle a un coût.  »

    Avec 1% de l’argent des Ngenté des Xawaré et 1% prélevés sur l’argent envoyé par les émigrés, je suis en mesure de mettre en place une Mutuelle globale ( meilleure que votre CMU ) pour 2015 à Ndakarou.

    Sinon point de salut pour la Santé publique au Pays

    • Dr Huchard,

      Avec tout le respect que je vous voue, je dois dire que vous vous trompez lourdement si vous pensez pouvoir résoudre les problèmes du système sanitaire avec de l’argent et votre bonne volonté. Simplement a cause du Trou Noir qui étrangle notre pays depuis: l’administration et le corporatisme hérités de la colonisation et qui font perdurer le système de predation, de prevarication, d’impunité et d’exploitation qui a rendu notre pays exsangue. La preuve: la meilleure façon de « grimper » l’échelle sociale au Senegal est d’etre fonctionnaire dans l’administration qui compte plus de milliardaires que n’importe quel secteur d’activité.
      En plus le messianisme que je semble avoir détecté dans vos propos doit être combattu farouchement car ayant montrée ses dangers avec la Crapule wadd.
      A mon humble avis, la meilleure façon de gérer un système avec a la base les idées nobles du Pr KA (les justes soins aux justes couts) est de mettre un système d’information ouvert et entièrement transparent qui permet de savoir qui fait qui, quand, ou et comment. Les outils sont la, mais la volonté politique n’est pas encore au rendez-vous et le messianisme sénégalais (manifestation de l’ego démesuré de l’homo senegalensis) fait capoter toutes les initiatives.
      L’ecole sénégalaise doit former le sénégalais a la collaboration, au lieu de perroquer le modèle français discréditer dans le monde académique.

      Cato

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