Pr Djiby Diakhaté, sociologue : ‘les grand-places sont un remède aux problèmes familiaux’

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 Le sociologue, Djiby Diakhaté, nous explique, ici, le sens qu’avaient les places publiques dans la société traditionnelle et les transformations sociales que celles-ci ont subies après la colonisation. 

Wal Fadjri : Quelles valeurs sociales faut-il accorder aux places publiques dans notre pays ?

Djiby DIAKHATE : Traditionnellement, c’était un espace de rencontres, d’information et de communion entre les différents membres de la communauté. Parce que simplement dans les sociétés traditionnelles africaines, l’individualité faisait l’objet d’une réprobation systématique. Et ce qui caractérise l’acteur social, c’est toujours sa disposition à être en communion avec les autres membres du groupe. C’est pour cette raison, évidemment, que la collectivité et la communauté l’emportaient largement sur la personne isolée. L’isolement, d’ailleurs, n’avait pas de sens. Parce qu’au fond, l’individu n’avait d’identité que s’il est rapporté à un sous-groupe, à une micro communauté.

Voilà ce qui fait que dans ces milieux, il y avait toujours un espace public qui était l’espace de rencontres et d’échanges à l’intérieur duquel on relançait cet attachement de la communauté au raffermissement des relations entre les différents membres de la communauté. C’était un espace où l’on résolvait les conflits entre les individus, nouait les relations matrimoniales et préparait les fêtes, les commémorations, les sacrifices, les offrandes, etc. C’est aussi un espace où l’on prenait les décisions majeures qui devaient, par la suite, marquer le bon fonctionnement de la communauté tout entière.

A quelle logique sociale obéit la fréquentation des places publiques ?

C’est d’abord un espace d’exutoire. En effet, les gens rencontrent trop de difficultés dans leurs foyers respectifs. Ils rencontrent aussi des problèmes dans la société tout entière. Et les discussions au niveau des places publiques permettent de fuir un quotidien difficile. Çela prend souvent la forme de jeux. Parfois, c’est des discussions autour de jeux de dames, de cartes, etc. Ensuite, la discussion aux niveaux des grand-places permet de tourner le dos aux problèmes familiaux, de trouver un nouvel espace de rêve, de divertissement que la famille ne leur permet pas d’avoir, mais que la société aussi leur interdit. Parce que nous savons aussi qu’à un certain âge, on s’imagine mal de voir un adulte s’adonner à certaines formes de divertissement. C’est finalement seulement au niveau de l’espace grand-place qu’il peut, avec ses congénères et avec les gens du même âge, se dire certaines choses qui lui sont interdites au niveau de la famille, au niveau d’autres espaces. Disons que c’est véritablement un espace de socialisation dans lequel l’individu trouve refuge.

Ces espaces de rencontre, jouent-ils encore les mêmes rôles ?

Maintenant, il faut dire que, suite à la colonisation et à la déstructuration de nos communautés, les places publiques ont continué à exister mais avec une autre configuration, avec d’autres fonctions et de nouvelles compositions. Cela signifie qu’il y a des changements parce que lorsque le colonisateur est arrivé, il a complètement reconfiguré les communautés qui existaient. Alors, il faut voir que, naguère, le terroir correspondait à un clan. Cela veut dire que le milieu était habité par des gens qui étaient conscients de leur commune appartenance à un même ancêtre fondateur.C’est pour cela que l’on voit d’ailleurs des terroirs ruraux qui portent le nom de Keur, comme Keur Massar en Wolof, Ndiobène, Ndiayène.Chez les Halpular il y a Ouro comme Ourossogui qui signifie Keur. Ou bien on parle de Kounda avec Tourékounda, Diattakounda.

Tout cela montre que le terroir correspondait à un clan et les différents membres de la communauté entretenaient des relations de parenté. Lorsque le colonisateur est venu, il a décomposé et recomposé ce mode d’habitation. On voit désormais des gens qui viennent de milieux différents et qui cohabitent à l’intérieur d’un terroir. Cela montre que les gens, qui cohabitent, entretiennent plus des relations de parenté. Alors, ils ont besoin de trouver un espace de rencontre qui leur permet d’avoir un consensus éthique minimal sur la base duquel ils structureraient leurs relations qui existent entre eux.

Voilà pourquoi les grand-places, dans un premier temps, mobilisaient surtout les personnes âgées. C’étaient des anciens, donc, qui se retrouvaient pour échanger, discuter. Mais il s’agissait moins de discuter au sujet de la communauté que de discuter de sujets saillants qui traversent la nation tout entière. Les grand-places étaient surtout des espaces où les gens parlaient de politique, de vie sociale, économique qui concerne moins la localité dans laquelle on évolue.

C’est à partir de ce moment-là qu’on se rend compte que les grand-places ont continué à exister, mais sous une autre forme. Par exemple, les cyber grand-place, c’est Facebook, c’est Twitter, etc., qui sont des grand-places électroniques mobilisant des personnes qui peuvent appartenir à des régions, continents, races et philosophies différents. Et, par le biais du net, les personnes se retrouvent quelque part et discutent des questions qui peuvent les intéresser. De la même façon, Marchal Mcluan nous apprend que le monde est un ‘village planétaire’.

Le constat est que les grand-places ont tendance à disparaître. Comment expliquez-vous cette tendance ?

Nous avons une société qui devient de plus en plus individualiste. Or, pour avoir un espace de grand-place, il faut précisément qu’il y ait une certaine disposition à la rencontre, à la communauté et la collectivité. Maintenant, puisque nos sociétés deviennent à la fois matérialistes et individualistes, le rythme est devenu très rapide ; la vie est devenue excessivement difficile pour tous les acteurs. Cependant, quand on prend la retraite, on est obligé de chercher des revenus additionnels qui puissent permettre à la famille de survivre. Cette société individualiste et matérialiste à la fois et les difficultés économiques font que les gens n’ont plus le temps maintenant de rester au niveau des grand-places. Alors, ils sont obligés de continuer à travailler, de chercher quelque chose à apporter à la famille. Parce que justement l’emploi se fait de plus en plus rare.

1 COMMENTAIRE

  1. Oui, Prof. les grands-places sont des hopitaux où les patients choississent leur medecin (l’adversaire) le reméde(le jeu)sans bourse délié.Ce sont de véritables indicateurs de l’état du stress collectif de notre société sénégalais.Merci Docteur!MBemba

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