Quand est ce que la France et ses musulmans vont-ils parler le même langage ? (par Ibrahima TRAORE)

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 La gravité de la situation fonde la légitimité d’un débat à la hauteur du problème ô combien complexe que constitue ce phénomène qu’est le rapport entre l’islam et la France et la question subsidiaire qu’est la liberté d’expression et les musulmans. Mus par le seul souci de sonner le glas de ce malentendu provoqué et entretenu par des extrémistes appartenant aux deux camps, nous allons essayer d’appréhender ces questions.

Sans accepter ce chantage qui voudrait que chaque musulman soit dans l’obligation de condamner cet assassinat comme s’il y’avait un doute sur le fait qu’il soit vraiment contre cet acte abominable, nous exprimons notre condamnation de cet acte inqualifiable. L’humaniste que je suis est choqué, le musulman que je suis est outré, le républicain que je suis est scandalisé : comment en 2020 on peut tuer pour des considérations relatives à des convictions religieuses ? Par ailleurs, la tristesse et la colère ne doivent pas empêcher la réflexion. À cause du règne de la confusion la fracture semble être consommée et tout discours qui ne semble pas aller dans le sens de celui tenu jadis par l’extrême droite qui s’est presque normalisé devient inaudible. Une liberté d’expression qui n’est pas égale pour tous et qui est à géométrie variable n’est-elle pas un privilège ?


NOTRE DEVOIR DE RESPONSABILITE POUR RESISTER AUX EXTREMISTES DES DEUX CAMPS

Nous français de confession musulmane et français sécularisés avons le devoir moral de trouver un type de vivre ensemble qui tient compte à la fois de l’histoire de France,  des valeurs et principes républicains, de sa géographie sociopolitique et de l’ensemble de sa population. Ce travail doit se faire dans le respect de tous, dans l’abandon de toutes visées idéologiques, dans la lutte qui vise à éliminer subrepticement un groupe quelconque. Cependant, nos concitoyens qui ne partagent pas la même religion que nous sont en droit de nous poser des questions qui sont légitimes sans pour autant que nous les taxons systématiquement d’islamophobes. Il est évident que le discours de certains de nos coreligionnaires (musulmans) est assez problématique car il est révélateur d’une vision binaire et manichéenne qui doit être dénoncée et combattue car il y a péril en la demeure.
De ce fait, nous devons être favorable à toute autocritique constructive.

En pareilles circonstances, chacun doit essayer autant que faire se peut d’éviter de parler sous l’effet de la passion. Ici, nous devons résister à toute approche subjective : penser, c’est penser contre soi. Cet exercice n’est pas sans difficulté mais il est indispensable pour sortir de nos paradigmes et permettre le dialogue constructif et ne pas rester dans un infécond monologue. Oui, décrisper le débat, manifestement, ne sera pas de tout repos mais c’est pourtant la seule attitude responsable qui soit.

D’autant plus que la propagande et la boursouflure médiatiques ont prestement ankylosé l’opinion publique en diabolisant l’islam en le rendant incompatible à toute logique démocratique. L’affaissement des valeurs civiques et républicaines a des racines relativement bien plus profondes. La question posée avec le recul qui sied : nombreuses seront les certitudes qui vont vaciller, à défaut de s’écrouler. Les esprits sont surchauffés mais nous devons nous garder d’aller trop vite en besogne car l’urgence ne doit pas conduire à la précipitation. La réaction émotionnelle somme toute naturelle mène à des jugements à l’emporte-pièce alors qu’il faut prendre le recul nécessaire et apporter les réponses idoines. Tout le contraire des logiques sensationnelles auxquelles nous ont habitué les médias. Ceci est d’autant plus vraie que toute lecture biaisée ou parcellaire enfantera une réponse inadaptée.

LA LIBERTE D’EXPRESSION OUI, LA LIBERTE D’OFFENSER INUTILEMENT NON

Le débat contradictoire est consubstantiel à la démocratie, il est ce que la sève est à la plante mais vouer aux gémonies une partie de la population et s’en prendre à elle par le simple fait de son appartenance religieuse ne reflète pas la vitalité intellectuelle. Bien au contraire. Une telle attitude symbolise l’indigence voire le degré zéro de la pensée. Et à ce titre, les musulmans français doivent être considérés comme des citoyens à part entière et non entièrement à part. Il en va de l’effectivité de la citoyenneté individuelle dont l’épanouissement est profitable à la république.

La liberté d’expression ne doit pas être poussée à son paroxysme et érigée en dogme car tout ce qui est excessif est au bas mot insignifiant, elle doit être appréhendée de façon responsable et positive car « notre liberté s’arrête là où commence celle des autres ». Nous sommes d’avis que cette liberté d’expression est porteuse de progrès d’autant plus que nous savons que l’art a une dimension provocatrice et subversive dans la mesure où il secoue le conformisme, l’ordre social il y va de son essence. Nous pensons cependant qu’il y a lieu de ne pas confondre la provocation avec un comportement irresponsable qui compte tenu de l’ambiance, de la sensibilité du sujet en question et du contexte de déchirement par lequel il se traduit mène l’art dans des voies où la liberté d’expression consisterait à revendiquer le droit d’être méchant et odieux car nous pensons qu’il y a bien une dichotomie entre la provocation légitime et la méchanceté. En sus, chaque système de valeur considère certaines choses comme sacrées, ici il peut s’agir de liberté d’expression, de respect de la constitution, ailleurs il est question de respect de la religion ou d’un prophète. Nous ne gagnons rien à les opposer. Le respect mutuel doit être de rigueur dans une logique de dépassement pour ne pas exacerber les particularismes, ce qui générerait de frustrations, de conflits et de replis identitaires.

Blaise Pascal disait « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » Oui, ce qui est appelé liberté par certains peut être considéré comme offense par d’autres. En matière de croyance la relativité doit être admise car elle est tributaire de notre rapport au monde.

UN CLIMAT POLITIQUE NAUSEABOND ET DELETERE COMME TOILE DE FOND

Il serait fastidieux d’examiner la kyrielle de griefs qu’on pourrait faire à nos hommes politiques, nous  pouvons tout de même en scruter brièvement quelques-uns à titre d’exemple : soutien de certains dictateurs arabes au nom de la réalpolitique, absence de politique volontariste pour une solution définitive dans les banlieues, lutte très timide contre le racisme et l’islamophobie, les discriminations, liberté d’expression octroyée plus ou moins à la tête du client, positions qui ne sont pas toujours dictées par des principes mais souvent par des intérêts géostratégiques. Le tableau est sombre mais la situation de la France n’est peut-être pas pire que celles qui prévalent dans d’autres pays, chaque pays a ses zones grises et ses séquences claires donc ni angélisme ni diabolisation.

Le déficit de courage politique et la pusillanimité des politiciens nous installent aujourd’hui dans une situation pénible et puérile qui a engendré d’énormes frustrations sur lesquelles les islamistes surfent avec aisance. En les exacerbant savamment. Cela est navrant. Les politiciens ont failli à leur mission, ils sont allés à la dérive ce qui est aux antipodes de leur vocation originelle.

Quand le vin est tiré, il faut le boire dit-on par conséquent chacun d’entre nous (aussi bien nous les musulmans que toutes les autres parties prenantes) doit passer au peigne fin ses actions, situer sa responsabilité, corriger ses failles et apporter sa contribution à la solution qui ne peut être que collective. Exercice d’autant plus indispensable que les responsabilités sont partagées et que les conséquences de ce phénomène n’épargnent personne.


Il est évident que cette situation ne peut pas continuer, espérons que cet évènement malheureux aura au moins le mérite de décrisper le débat, il ne faut pas être naïf, ce ne sera pas de tout repos mais c’est pourtant la seule attitude responsable. Ainsi, les gouvernants qui ont le grand honneur et le redoutable privilège de nous gouverner doivent faire preuve de regain de lucidité. La relation commandement-obéissance ne peut s’exercer de manière harmonieuse que si ceux-là même sur qui s’exerce le pouvoir l’acceptent et l’intériorisent parce qu’il le trouve juste. La France et ses musulmans sont-ils suffisamment matures pour entreprendre une telle démarche? Il faut l’espérer. Il en va de l’harmonie qui doit présider à la vie en société.


Ibrahima TRAORE

1 COMMENTAIRE

  1. D’emblée, de renouveler notre ferme condamnation de tous ces odieux attentats perpétrés par des islamistes ; il s’agit d’actes barbares, de crimes abjects qu’aucun motif ne pourrait justifier et qui, au delà de la tragédie, risque d’impacter négativement l’image de notre noble religion.
    Et certes, les musulmans sont régulièrement et manifestement offensés par toutes sortes de railleries à l’endroit de leur prophète, mais au delà de la réprobation légitime, il est bon de relativiser, et donc de ramener les choses à leurs justes proportions. En effet, il n’est de prophète qui n’ait pas été victime de railleries et qui ne soit combattu par les incrédules – c’est la règle !
    Au demeurant, il faut que les musulmans sachent que le droit de blasphémer est consacré en France ; dès lors, ils doivent s’y accommoder pour préserver la paix sociale, en attendant que les choses évoluent (rapport de forces favorable) ; oui, la Charia exhorte tout musulman à se conformer à la législation en vigueur dans son pays ; et même selon le Prophète (PSL), toute personne qui s’y soustrait s’auto-exclut de l’Islam.
    Ainsi, les musulmans qui sont en terre ‘’hostile’’ doivent savoir se faire discret ; oui, dans un tel contexte de suspicion et d’amalgames, il n’est pas indiqué de manifester ostensiblement son ‘’islamité’’ ; en outre, les prêches des imams doivent être traduites dans la langue du pays d’accueil et tenir compte du contexte législatif et institutionnel. Oui, il faut savoir s’accommoder ; c’est cette capacité d’adaptation de l’Islam, en tout temps et en tout lieu, qui fait toute sa force. Ainsi, si porter la barbe ou le foulard est assimilé à de l’intégrisme et susceptible de porter préjudice (stigmatisation), il est préférable de s’en passer pour faciliter son intégration, en attendant que tous les amalgames et appréhensions soient levés.
    Au vu de tout cela, il est devenu évident que les occidentaux qui prônent la diversité culturelle, n’y croient pas ; en vérité, convaincus de la suprématie de leur civilisation, ils n’attendent que le ralliement des autres ; ainsi, avec le boom actuel de l’Islam, c’est le désenchantement, la désillusion et la peur irrationnelle d’être submergé par les musulmans.

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