Coetzee assassine Elizabeth Costello

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Le personnage d’Elizabeth Costello revient par intermittence dans l’œuvre Coetzee. Cette écrivaine australienne, toujours à la lisière de la philosophie, érudite, sachant se référer à la littérature mondiale, donnait des conférences dans de nombreux pays. Au grand dam de son auditoire, elle aimait balancer des vérités dérangeantes : les auteurs africains n’écrivent pas pour un public africain, les humains maltraitent gravement les animaux, le mal inhérent à l’homme (à propos des tortures infligées aux compagnons de von Stauffenberg après leur attentat manqué contre Hitler). Elle s’interrogeait sur sa responsabilité d’écrivain. « Je change de croyance comme je change de logis ou de vêtements, selon les nécessités », plaidait-elle devant les portes blindées du paradis, tout en ironisant sur l’anagramme GOD-DOG.

Au travers de textes plus récents*, Coetzee suit désormais la vieille dame dans la dernière phase de sa vie. Elle se teint en blond, elle refuse d’habiter près de chez enfants, choisit une retraite dans un village perdu en Castille, écrit des bribes de réflexions. Le ton est donné par sa phrase : « Il y a une chose pour laquelle les vieux sont meilleurs que les jeunes : mourir. »
L’élément dominant dans ces sept nouvelles philosophiques, c’est la place dépréciée de l’animal dans nos sociétés : l’agressivité des chiens de garde, les chats délaissés qui retournent à l’état sauvage, l’abattage des chèvres depuis des millénaires, l’élevage des poulets en batterie.

Une allusion littéraire pimente chaque récit. Tchékhov, Musil, William Blake offrent leur caution par-delà des siècles. Les philosophes sont égratignés : Descartes pour avoir sacrifié un lapin dans son étude des valvules cardiaques et surtout Heidegger. L’homme qui conférait à la tique un esprit limité, parce que ne fonctionnant qu’aux stimuli, n’était pas exempt de réactions similaires quand la jeune Hannah Arendt réveillait ses ardeurs.

Coetzee assassine lentement cette vieille égoïste de Costello qui conserve sa capacité à dérouter ses proches. La beauté fait-elle de nous des gens meilleurs ? Rien n’est moins certain. La beauté, déclare l’intellectuelle chevronnée, c’est comme le vin. On le déguste, puis on l’élimine. Quand elle commente sa propre écriture (« beauté de la forme, clarté, économie de style »), on devine ce que Coetzee songe à ce qui restera de ses textes.

Il fait appel à une locution française que je n’avais jamais entendue auparavant et pour laquelle aucune explication en français ne se trouve sur la Toile. La nostalgie de la boue désigne l’attraction vers la vulgarité ou la dépravation. Une encyclopédie anglaise nous apprend que cette formule vient du dramaturge Emile Augier dans sa pièce intitulée Le mariage d’Olympe (1855). Coetzee interprète cette formule de la façon suivante : issu de la glaise, notre cerveau n’aspire qu’à y retourner.
Ma nouvelle préférée ne fait intervenir aucun animal et s’appelle tout simplement Histoire. Une femme heureuse en ménage prend un amant pour le plaisir d’être désirée, admirée. Elle le cantonne dans le temps et l’espace. Pour être pleinement soi-même, s’interroge-t-elle, faut-il avoir un mari et un amant ? Connaitrons-nous la bigamie au paradis ?
Riches en considérations douces-amères (en ayant deux enfants, les parents ne réclament pas plus que leur juste part de l’avenir), aucun des récits ne s’achève sur une touche morale. « Peut-être s’agit-il d’une histoire qui s’arrête sans savoir où aller », suggère Costello.

En ce début d’année 2018, une galerie du Cap a révélé une passion d’adolescent de John Coetzee : son goût pour la photo, autant par la prise inopinée de ses sujets que pour le développement minutieux. Il portait son appareil en bandoulière pour « saisir le moment où la vérité éclate ». Les scènes de son environnement scolaire et familial dénotent le souci du cadrage. L’écrivain, qui ne recherche pas les feux de la rampe, a précisé « qu’il faut une bonne dose de narcissisme congénital pour s’épanouir sous la lentille des appareils ».

Rfi

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