Les pelles mécaniques enchaînent les va-et-vient. Des bulldozers soulèvent une poussière à boucher le nez et à ciller les yeux ! Des gravas imposent aux passants de petits sauts sur les futurs trottoirs de l’avenue Cheikh Anta Diop en chantier, à l’image de la façade de l’université du même nom. La porte dérobée qui jouxte l’Ecole nationale de développement sanitaire et sociale (Endss) contient difficilement les hordes d’étudiants en ce jour de reprise des cours, après un mois de grève du Syndicat autonome de l’enseignement supérieur (Saes). Au siège du Saes, au camp Jérémy, le secrétaire général, Seydi Babacar Ndiaye semble bousculé par la reprise des cours obtenue grâce à un accord trouvé avec le ministère de l’Enseignement Supérieur. « Une suspension du mot d’ordre », précise-t-il. Du Couloir de la mort, résonnent des récitals de chants religieux depuis le pavillon N alors qu’à quelques mètres bourdonnent des morceaux de « mbalax » dans les boutiques. Comme dans le hall du pavillon A, transformé en un véritable souk d’ordinateurs. Devant les pavillons C et D, les étudiants se bousculent devant les guichets de paiement des bourses en attendant la bancarisation promise depuis plus de 2 ans. Les longues files devant les restaurants, le rythme des pas dans les allées et les couloirs du campus social et les petits groupes d’après ou d’avant cours dans le campus pédagogique offrent une ambiance de rentrée des classes. Certains étudiants avaient, en effet, pris leurs « vacances » parce que suspendus à la décision des enseignants. Mais ce sera juste pour deux jours, la fête de la jeunesse devant commencer le 26 mars, soit 2 jours seulement après avoir retrouvé les amphis.
PSYCHOSE
A la faculté des Sciences, Nafy Ngom se tourne les pouces, mais palabre aussi sous un arbre avec un vendeur de papier. La chemise rouge d’anxiété, le jean bleu d’espoir, elle dit : « Je suis à la fois inquiète à cause du temps perdu et satisfaite parce que l’année est sauvée. J’espère que les étudiants ne prendront pas la relève des enseignants ». Pour l’heure, les amicales d’étudiants, comme celle de la faculté de Droit, n’envisagent pas d’en rajouter. Un groupe de quatre membres de cette structure discutent dans la cour. L’un d’entre eux, Henri Richard Ndong, fait savoir qu’« on ne peut pas assurer que la stabilité » va prévaloir, même s’il ajoute que les étudiants « souhaitent un apaisement ». Une équation reste, cependant, non résolue car, la faculté de Droit, à l’image de celle des Sciences économiques et de gestion (Faseg) applique le système Lmd (Licence-Master-Doctorat), très rigoureux sur le temps imparti pour l’année. Les examens qui étaient prévus pour le 7 mars dernier ont été reportés sine die à cause du mouvement des enseignants entamé en mi-février. Dans le hall de la faculté de Droit, des étudiants lèvent la tête pour lire un message défilant sur un panneau électronique : « Les cours reprennent ce 23 mars à partir de 8h ». Ce n’est pas ce à quoi cette étudiante s’attendait. Bras croisés, manches retroussées, elle rouspète : « Je croyais qu’il s’agissait de nouvelles dates d’examen ».
Vraisemblablement, il n’y en aura pas d’examens s’il n’y a pas eu un minimum de Td (Travaux dirigés). Le chargé de la commission sociale de l’Amicale des étudiants de Droit estime qu’il est même « obligatoire de prolonger les cours ». Comme pour laisser planer le doute sur d’éventuelles perturbations, un de ses camarades s’empresse de sortir une autre bombe latente : « Il y a des nouveaux bacheliers qui ne sont pas orientés jusqu’à présent ». En fait, le ministre de l’enseignement supérieur Amadou Tidiane Bâ avait indiqué qu’il y avait des places disponibles pour tout le monde. Mais, les amicales mettent cette déclaration dans le compte des « propos politiques ».
Pour l’instant, selon la liste de l’amicale de la Faculté de Droit, 700 bacheliers sont en attente d’être orientés. Selon les amicales, l’Université entend répondre, faute de places, par l’enseignement à distance fourni aux non orientés. Mais les étudiants ont-ils reçu une formation initiale aux technologies de l’information ? Ont-ils accès à l’ordinateur et à l’Internet ? Les réponses sont pour l’heure suspendues. Une seule chose est sûre pour l’étudiant Amadou Sarr, « c’est mieux que d’être rejeté » par l’université. Violence, immixtion religieuse, activités politiques, etc., c’est ce que le Saes appelle des « facteurs apparents » et des « facteurs diffus » qui constituent un cocktail dormant. A ne pas boire.
Dossier réalisé par Hamath KANE
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