Coupe et vente illégale de bois dans le MYF – Les sentiers battus d’un trafic

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Dans le jeune département de Médina Yoro Foulah (MYF), c’est un haro sur les forêts. Les localités reculées sur la large façade frontalière gambienne voient s’opérer une intense coupe illégale d’espèces protégées et de vente tout aussi illicite. Vu l’expansion de l’activité et un cadre de riposte existant, mais quasi-inopérant, les coupeurs ne sont pas près de sortir du bois. Si la forêt survit.

REPORTAGE

Sur la centaine de kilomètres de piste entre Kolda et le département de Médina Yoro Foulah (MYF), souches d’arbres qui ne repousseront plus et troncs abattus constituent l’essentiel d’un décor affligeant pour la vue. Les formations végétales sont clairsemées dans les localités de Darou Rahmata, Fafacourou, Sare Sambayel, Sinthia Samba Thierno, Mbane Ndiore, Sinthia Demba. Elles ne sont pourtant qu’une pâle copie de ce qui se passe dans le chef-lieu de département. ‘‘Vous arrivez trop tard, il ne reste pratiquement rien de la forêt’’, lance derechef  Kéba Sall, le chef de l’ex-comité villageois de Niaming pour la défense de l’environnement. Les autres membres de la place publique de cette commune de 16 mille habitants du département de MYF se dressent aussitôt et le rejoignent dans une liste de complaintes interminables.

Dans les vastes formations de steppe de la région, du maïs séché, le tapis herbacé a jauni, à cause de la  chaleur excessive qui y sévit depuis février. Mais c’est le cadet des soucis de Kéba et des autres. Eux s’inquiètent plutôt que le fourrage pour le bétail, que constituent les feuilles du vène (pterocarpus erinaceus), soit de plus en plus introuvable. La cause est l’abattage de ce bois pour des besoins utilitaires. Dans cette partie du Fouladou, abattre des arbres pour aller les vendre en Gambie est devenu le raccourci pour de ‘l’argent facile’. Partout sur la longue frange frontalière d’avec le pays voisin, l’activité étend ses tentacules. ‘‘Chaque jour, elle prend de l’ampleur.

Il y a une forte demande de Chinois établis en Gambie. Il y a 200 à 300 chargements qui constituent un manque à gagner de 5 millions par jour’’, avance le maire de Niaming, Mamadou Lamine Boye. L’abattage du ‘‘wenn’’, comme on l’appelle ici, est passé par là. Ce bois prisé pour la fabrication de meubles et l’ébénisterie, la construction lourde, la menuiserie, à la décoration intérieure etc., n’est pas la seule victime des coupeurs. Le poirier du Cayor (cordyla pinnata), appelé ‘‘ndimb’’ en wolof ; le faux-kapokier (bombax costatum) connu sous le nom de ‘‘garabu laobé’’, sont les cibles de seconde choix qui subissent la boulimie effrénée des coupeurs.

Quantifier l’impact de cette activité n’est pas seulement difficile, mais pratiquement impossible. En novembre, un système de cartographie forestière développé par les équipes de l’université du Maryland et de Google établissait une statistique préoccupante : chaque minute, la planète perd l’équivalent de 50 terrains de football de forêt. L’un des derniers bastions de la réserve forestière du Sénégal serait-il dans cette mouvance ? Le chef de service départemental des Eaux et Forêts, le lieutenant Mamadou Dieng, évite de se hasarder dans des chiffres. Ce dont il est sûr, comme tout le monde, est que la coupe du bois est ‘‘devenue très lucrative’’.

Le billon de vène, c’est de l’or en bois, surtout s’il s’agit de l’unité qu’on appelle ‘‘Gottolé sarett’’ dans le jargon des coupeurs. Littéralement, le tronc qui remplit la charrette. Cette ‘denrée’ est à la coupe du bois ce que 24 carats est à la bijouterie. La marchandise est tellement prisée qu’on prend sa journée après en avoir vendu un seul. Même si tout le monde s’accorde sur un prix maximal de 60 000 F Cfa maximum – le prix-plancher étant de 15 000 FCfa -, les notables des villages de Niaming et de Sam Yoro Guèye avancent que ce billon peut crever le plafond. ‘‘Dans les dépôts, en territoire gambien, on se dispute les charretiers qui apportent le « gottolé sarett ». La surenchère peut porter le prix à 125 mille F Cfa, car personne ne veut lâcher’’, confie Lamine Guèye qui fait office de chef de village de Sam Yoro Guèye, en remplacement d’un père âgé.

Tout est boisé ici, même les sièges de la place publique sont faits de rondins de bois saisis. En face de lui, une prise opérée par les Eaux et Forêts, quelques jours plus tôt, où végètent quelques brebis, gît au pied d’un grand arbre. Ces unités ne feront pas partie des centaines de troncs quotidiennement écoulés à Niaming, Diakhanka, Saré Bodié, les principaux points de vente parmi la cinquantaine établie sur la façade frontalière avec la Gambie.  Lamine exhibe fièrement la marchandise qui devrait être incessamment récupérée par les services environnementaux. ‘‘Ça a commencé dans la forêt de Dinguiraye. Regardez comme la coupe est régulière. Les arbres sont abattus de manière experte’’, se désole-t-il.

Les coupeurs opèrent généralement par groupe de deux, du crépuscule jusqu’à l’aube. Mais selon le lieutenant Dieng, l’activité est si florissante qu’ils n’ont plus d’heure fixe. Même la dangerosité de l’activité ne semble pas freiner les ardeurs des coupeurs de bois. Au mois de mars, un ‘bûcheron’ koniagui est mort, écrasé par le tronc de l’arbre qu’il sciait ; Quelques jours plus tard, le chargement d’une charrette de bois s’est déversé sur son conducteur, après une fausse manœuvre, le tuant sur le coup. Ces deux événements sont passés par pertes et profits.

Suspicion côté gambien

Au ‘‘boda’’ de Diahanka, l’arrestation récente d’une délégation du ministère de l’Environnement pollue toujours l’air. Le lieu est une déformation de l’anglais ‘border’ signifiant frontière qui, dans l’entendement local, signifie à la fois le dépôt et le lieu de négoce du bois coupé illégalement dans la forêt sénégalaise. L’on continue de circuler, mais la méfiance est de rigueur, depuis la libération des Sénégalais, deux jours auparavant. C’est dans ce lieu plein de cabanes pour le commerce que sont négociés les troncs d’arbres coupés au Sénégal. Ils sont acquis par des acheteurs gambiens pour l’essentiel, qui le revendent à des Chinois qui le destinent  à l’exportation. ‘‘Depuis le jour de l’arrestation, les Gambiens sont suspicieux. Ils ne traitent désormais qu’avec des connaissances’’, souffle le jeune homme qui nous a accompagné jusqu’à la lisière des deux pays.

Le chef départemental des Eaux et Forêts de MYF est écœuré par la situation actuelle. Déjà à l’entrée de ce service qui ne paie pas de mine, une demi-douzaine d’ânes, des charrettes de transport du bois et les billons de vène, constituent la saisie qui attend d’être amenée à Kolda. Ce qui n’est rien par rapport à l’essentiel de prises qu’on laisse à la responsabilité des chefs de village, faute de pouvoir les acheminer au poste. ‘‘Coupeurs et transporteurs détalent en nous voyant. Mais des fois, nous sommes même obligés de laisser le bois sur place, car la saisie est importante et le bois est lourd’’, déclare-t-il. Dans son bureau aux murs dégarnis, un aide-mémoire sur lequel il jette un coup d’œil de temps en temps est posé sur la table pleine de paperasse. Derrière est accrochée la carte administrative de la région et de ce département créé en juillet 2008 dont il a la charge. 4509 km carrés en tout, huit fois plus que la région de Dakar.

Ses interventions, aussi méritoires qu’elles soient, sont comme un cautère sur une jambe de bois. ‘‘Même si l’on mettait un militaire tous les cent mètres, les gens passeraient entre les mailles du filet’’, déclare-t-il, nostalgique de la capacité de dissuasion des patrouilles mixtes de ses services avec la gendarmerie ou l’armée. Le dernier coup d’éclat de ce type d’association remonte à mai 2015 où l’armée et les Eaux et Forêts de Ziguinchor avaient mis la main sur 400 madriers, 40 plateaux et 6 personnes. A Kolda, c’est très compliqué. Le foyer de ce trafic est la frange frontalière de plus de 200 km avec la Gambie, qui va du dernier village de Bounkiling au premier de Vélingara. Les courses-poursuites s’arrêtent lorsque les délinquants franchissent une frontière qui leur sert souvent d’échappatoire. Le dispositif de contrôle ne peut être qu’inopérant, malgré les efforts consentis. ‘‘Les coupeurs de bois ont fini avec Niaming. Maintenant, ils sont dans la commune de Koulinto’’, renseigne le maire de Niaming Mamadou Lamine Boye.

Jeu de dupes

Dans la voix de Kéba Sall, un seul regret. Celui de la dissolution des comités de villageois qui avaient réussi à atténuer les dégâts de la coupe de bois. Devant l’insuffisance des agents des Eaux et Forêts, tous les 43 villages de la commune de Niaming s’étaient chargés eux-mêmes de protéger la zone, en organisant leurs propres patrouilles. Mais quelques mois plus tôt, une fusillade entre un instituteur, ancien militaire et ardent défenseur des arbres, et un charretier à Kéréouane avait amené le sous-préfet à interdire ces cellules. Une mésaventure parmi tant d’autres oppositions entre civils qui commençaient à prendre de l’ampleur. Depuis lors, les résidents sont vainement remontés contre ces allochtones du Djolof, de Koungheul et de Kaffrine qui se livrent à la coupe et à la vente illégales de bois. ‘‘Ils se cachent en y allant et se mettent à nous narguer ouvertement, en revenant de la frontière. Ils savent que nous avons les mains liées’’, rumine Kéba Sall qui, à chaque passage d’une charrette, interrompt la conversation pour désigner un chargement qu’elle vient d’effectuer.

En effet, les sinuosités tracées par le passage de chevaux ou d’ânes s’entrecroisent dans cette vaste forêt. Des lignes détournées qui se créent aux circonstances des descentes des agents des Eaux et Forêts. Certains résidents dénoncent un laxisme suspect des services de l’Etat dans la zone. ‘‘Comment expliquez-vous qu’une rangée de charrettes pleines de bois ne soit pas inquiétée. Ceux qui sont pris reviennent moins d’une heure après avec des rires narquois nous dire qu’ils ont leur propre ligne’’, peste l’un des notables de Niaming. ‘‘Ils se font prendre et déboursent de l’argent pour être relâchés.’’ ‘’C’est ça la vérité’, enchaîne un autre, plus radical.

Mais les services environnementaux rejettent la faute sur le manque de coopération des populations locales. ‘‘Nous n’avons pas la faculté de nous démultiplier. Cette activité ne cessera qu’avec l’implication effective des résidents. Ils jouent à un double jeu. Qui d’autre peut bien accueillir et protéger ces coupeurs ?’’  se défend le lieutenant Dieng qui accuse ouvertement les autochtones de collusion avec ces coureurs de bois. ‘’Notre ennemi, c’est le téléphone portable. A chaque fois qu’on s’apprête à opérer une descente, leurs indicateurs dans le village les avertissent’’, dit-il.

Pour le maire Mamadou Lamine Boye, il n’y a pas de différence puisque l’appât du gain intéresse tout le monde. ‘‘Des jeunes de Niaming aussi bien que des personnes étrangères à la commune s’y livrent’’, tranche-t-il. Pour lui, la solution est toute trouvée : l’implantation d’une base militaire. ‘‘Quand ils étaient là en fin mars, personne n’avait osé toucher à un arbre. Au bout d’une semaine, ils étaient repartis et ça a repris de plus belle’’, regrette-t-il, avant d’interpeller les autorités. ‘‘Nous demandons à l’Etat de les faire revenir.’’

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