El Hadj Diop, Ingénieur-Economiste : ‘’A Dakar, la consommation d’énergie dans les maisons est très élevée’’

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XALIMA NEWS – A la Cité Sipres 2, derrière l’Institut de formation en administration des affaires (IFAA), se trouve la maison de El Hadj Diop. Cette belle bâtisse nichée au cœur de cette cité résidentielle se distingue des autres par son architecture spéciale. El Hadj Ibrahima Diop, propriétaire de cette villa, revient, dans cet entretien qu’il a accordé à EnQuête, sur les raisons du choix de ce modèle, les matériaux utilisés dans la construction. El hadj Ibrahima Diop pense que le Sénégal gagnerait à mieux développer les énergies renouvelables.

On vient de découvrir votre résidence. Une maison à étage construite avec de la terre. Pourquoi ce choix ?

L’idée pour moi était de faire une maison bioclimatique, vraiment une maison de faible consommation énergétique. C’est une technique très ancienne qui a été modernisée aujourd’hui dans beaucoup de pays comme le Maroc, le Yémen, en Europe, en France, en Allemagne et partout. Seulement chez nous, ça n’a jamais été modernisé. L’idée était de créer une maison qui va à l’encontre de l’image qu’on a jusqu’à présent de la terre comme quoi que c’est pour les pauvres, les villageois ; le faire dans un quartier résidentiel de Dakar et en faire une maison moderne pour montrer qu’on peut vivre dans une maison en terre.

Donc, on peut dire que c’est le fait de construire cette maison au cœur de Dakar qui fait sa spécialité ?

C’est plus que oui, parce que les gens pensent que des maisons pareilles sont plus adaptées pour l’intérieur. Je me dis : quand on pense à l’idée de réduire la consommation d’énergie, ça doit primer pour tout le monde. A Dakar, la consommation d’énergie dans les maisons est très élevée, du fait de l’étroitesse des parcelles dont nous disposons. En général, nous avons des parcelles de 150 voire 200 m2. Donc, il y a très peu de possibilités de ventiler la maison. Raison pour laquelle, à mon avis, il est préférable d’utiliser des matériaux qui permettent de bien protéger la maison contre les températures extérieures, permettre aussi aux additions à l’intérieur d’avoir une température ambiante.

Quels sont les types de matériaux utilisés dans la construction de cette maison ?

Nous avons utilisé la terre qui nous a été apportée de Sindia (département de Mbour, Ndlr). Sinon, on a utilisé le ciment et la chaux qui font à peu près 10 à 15% qu’on utilise pour stabiliser. Parce que c’est des briques pures qu’il faut stabiliser. Parce que cette énergie grise qu’on utilise dans la construction entre dans le bilan énergétique plus tard et souvent on n’en tient pas compte. Le bois qu’on a utilisé pour la construction, c’est du bois du Sénégal. Comme c’est une maison en terre, il faut du bois très résistant parce que la terre attire les termites.

Est-ce que ce n’est pas plus cher de construire ces genres de maisons ici à Dakar qu’ailleurs ?

Non, au contraire. Dans cette construction, il n’y a pas de coffrage, il n’y a pas de fer. Vous voyez tout ce qu’on économise. On économise beaucoup de fer, beaucoup de ciment. Vraiment cette construction revient à 100% moins chère qu’une construction classique qui se ferait avec du ciment, du fer, du béton et autres. Malgré tout, à l’intérieur, on sent qu’on a un confort thermique très confortable.

En plus, la maison fonctionne avec du solaire. Pourquoi ce choix ?

Parce que le problème que nous avons au Sénégal est que toute la production électrique dépend souvent d’une production thermique que nous importons, parce que nous n’en n’avons pas. Il faut l’importer alors que le soleil est là à notre disposition. L’idée qu’on avait jusqu’à présent est que le solaire est destiné aux villageois, aux pauvres. Dans les villes, dans les agglomérations, on n’en a pas besoin. Ce n’est pas le cas. Il fallait démontrer, qu’à travers une bonne stratégie d’efficacité énergétique dans la maison, on peut bien être autonome. Nous avons une maison qui produit, à travers ces panneaux solaires, une quantité d’énergie supérieure aux besoins de la maison. Dans la maison, on a tous les appareils électriques qu’on peut imaginer. On peut vivre ‘’moderne’’, que ce soit l’éclairage, les téléviseurs, les frigos, les congélateurs, la machine à laver, la machine à café… Tous ces appareils sont là et sont alimentés avec le solaire. D’autre part, c’est combiné aussi avec l’électricité thermique.

Quand une maison est construite avec de la terre, la question qu’on se pose est : est-ce qu’elle peut tenir pendant longtemps ?

Je dis toujours aux gens que nous avons dans beaucoup de zones du Sénégal des maisons construites, depuis très longtemps. Quand je prends la mosquée de Guédé, village dans le Fouta, elle a été construite dans les années 1600. Quand je vais en Casamance, il y a une maison à étages en terre. Le monsieur qui l’a construite était revenu de la seconde guerre mondiale. Cette maison tient encore. L’idée que la terre ne résiste pas est fausse. Si elle est bien entretenue, si elle est bien traitée, elle peut résister. Le problème aussi est qu’il ne faut pas toujours prendre en référence les maisons simples qui ont été construites dans certains villages. La terre, c’est comme aussi le ciment, si vous construisez d’une manière incontrôlée, avec aucune technique ou qualité là-dans, ça va vite tomber. Dieu merci, nous habitons cette maison depuis avril 2010 et jusqu’à présent, nous n’avons pas eu de problèmes et nous souhaitons que ça continue ainsi.

Vous êtes ingénieurs, spécialiste des énergies renouvelables. Face à la problématique de l’énergie au Sénégal, est-ce que les énergies renouvelables peuvent constituer une alternative ?

Depuis très longtemps, à mon avis, les énergies renouvelables ont une très mauvaise image dans ce pays, parce que nous n’avons pas su mettre en place des exemples concrets. Le problème que nous avons dans ce pays avec les énergies renouvelables est que jusqu’à présent, tous les projets qui ont été réalisés ici étaient des cadeaux de la coopération internationale. Tout le monde sait comment on traite un cadeau. Vous recevez quelque chose gratuitement, vous n’êtes pas formés pour entretenir les équipements et très souvent c’est le cas malheureusement, il n’y a pas le suivi et la maintenance qu’il faut. C’est ça qui a fait que les énergies renouvelables ont eu une image très négative au Sénégal.

Au vu des potentialités qu’elles offrent, que ça soit le solaire, l’éolienne, la biomasse, le Sénégal peut bien développer ces types d’énergies. Dans des pays modernes tels que l’Allemagne, les Etats-Unis et même en Arabie Saoudite, bien qu’il y ait du pétrole, on  a des centrales solaires qui fonctionnent et qui jouent leur rôle dans le mix énergétique. On se demande pourquoi chez nous ça ne devrait pas être ainsi. Au lieu de se laisser influencer par certaines personnes qui disent que le soleil, on n’en dispose pas tous les jours. Même si c’est dans la journée, ça nous permet d’alimenter les bureaux et autres lieux de travail et d’économiser, à travers ça, le fuel que nous importons qui nous coûte 10 à 15% de notre PIB. Vraiment, le solaire peut jouer un très grand rôle, que ce soit le solaire photovoltaïque que ce soit le solaire thermique.

Mais est-ce que les populations connaissent bien les avantages qu’offrent ces types d’énergies ?

Là, il y a un défaut d’informations. Les gens ne sont pas très bien informés. Même au niveau des décideurs, l’information fait défaut. Il y a des gens du milieu qui ne savent pas très bien comment ça fonctionne. Il faut aussi aller sur le terrain. Ce qui manque chez nous, c’est des bâtiments de référence. Dans les pays où cela est très développé, ils ont construit de petits bâtiments de référence. Il ne faut pas rester dans son laboratoire, à l’université, ou dans un centre de recherches quelque part et s’arrêter à ça. Non. C’est des installations dans les maisons. Il faut demander aux gens de se conformer à ces règles d’efficacité énergétique et on pourra s’en sortir. Si on le fait, ça peut très bien se développer et servir de levier pour résoudre cette problématique énergétique que nous avons.

Mais est-ce que l’installation ne coûte pas aussi très cher pour les populations qui n’ont pas assez de moyens ?

Ça, c’est un problème. Effectivement, l’installation solaire coûte trop cher. Mais, je pense que l’Etat devrait être en mesure de mettre en place des incitations pour permettre à une grande masse d’avoir accès à cette énergie. Même au cas où cette énergie serait trop cher pour la grande masse des Sénégalais, ce sont ceux qui ont les moyens qui l’installent, c’est cette même population qui consomme trop souvent beaucoup d’énergie. Tous ces gens qui ont les moyens de faire des installations solaires sortiront du lot des clients à servir et l’énergie que la Senelec devrait mettre à la disposition de ces clients pourrait être redistribuée ailleurs pour servir à ceux qui n’ont pas les moyens d’avoir des installations solaires. D’autre part, ça permettra à l’Etat de réduire l’argent qu’il injecte pour subventionner le kw/h. Ce sont les plus démunis qui devraient en profiter, mais on voit que ce sont les gros consommateurs qui sont les bénéficiaires de cette subvention.

On parle beaucoup d’environnement et de développement durable. Les énergies renouvelables peuvent-elles constituer une réponse à la question de la protection de l’environnement ?

C’est un facteur très important. Nous avons fait le bilan énergétique de la maison. En comparant la consommation énergétique de la maison avec mon voisinage dans le quartier ou la consommation tourne autour de 1000kw/h, on se rend compte qu’un kw/h de courant électrique produit avec du charbon occasionne autour de 980g de CO2. Aujourd’hui, je suis autonome. Les 1200kw/h que je devais consommer dans l’année, et ça équivaut à 12t de CO2, sont économisés, du fait que je suis autonome en énergie thermique. C’est plus que positif. Si tous les gros consommateurs étaient enlevés du parc approvisionné, à travers le parc de la Senelec, on réduirait beaucoup les émissions de gaz à effet de serre et ça permettrait de préserver notre environnement, surtout d’emmener notre contribution pour le sommet de Paris que nous dirigeons. Nous allons emmener notre contribution sur comment réduire notre émission de CO2, lors du sommet de Paris dans le domaine du bâtiment, dans le domaine de l’approvisionnement énergétique, industrielle.

Par rapport à ce sommet, est-ce que le Sénégal a des contributions concrètes à mettre sur la table ?

Chaque pays à une contribution à faire. Ici, il y a un comité national qui travaille dessus. Il est en train de mener sa réflexion. Tous les pays du monde vont déposer sur la table un papier montrant qu’ils ont des propositions pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Le Sénégal est obligé de le faire. Avant, on se focalisait sur les gros pollueurs, les pays industrialisés, mais il faut se dire la vérité : tout le monde pollue. Vous circulez dans Dakar, vous allez voir les émissions de gaz des vieilles carcasses. Pensons d’abord à nous, parce que les effets immédiats, c’est nous qui les vivons. Regardez, dans la journée, si vous entrez dans un bus, combien de gens toussent ? Tout le monde tousse parce qu’il y a trop de gaz. Ces gaz sont nocifs et il est temps que nous produisions quelque chose pour les réduire. Même en ne tenant pas compte de ce que Paris décidera ou non, c’est à nous de préserver notre environnement. Les problèmes pulmonaires représentent des coûts de soins énormes. En demandant à ce que ces véhicules polluent moins, on contribue éradiquer ces maladies pulmonaires.

La rencontre de Paris est déterminante pour l’avenir de la planète. Etes-vous optimiste ? Pensez-vous que des solutions concrètes vont en sortir ?

Personnellement, je suis un peu sceptique. Aujourd’hui, on demande aux grands pays de mettre en place un fonds de 100 milliards. Jusqu’à présent, ce sont 4 milliards qui sont disponibles. Tous ces pays sont confrontés à des problèmes économiques. Je n’y crois pas trop. C’est à nous de trouver les moyens de protéger notre environnement ; et que chaque nation le fasse. Chaque nation pourra dire : voilà la stratégie que j’ai ; voilà ce que je veux faire, donnez-moi l’argent ; laissez-moi faire.

EnQuête

3 Commentaires

  1. Voila des experts à qui on doit donner la parole. Lui au moins, il agit contrairement à cet enseignant-chercheur autoproclamé qui ne fait que pollémiquer et encaisser des perdiems.
    Le Senegal gagnerait à écouter des spécialistes comme El Hadj Diop

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