[ ENTRETIEN ] KHALY NIASSE, FILS AÎNÉ DE MOUSTAPHA NIASSE : « Il faut que les gens cessent de diaboliser le Président Wade. »

Dans l’art de débaucher des «souteneurs», le Président Wade n’a pas son pareil. Vendredi dernier, il est entré dans la famille de Moustapha Niasse pour lui prendre son fils aîné, Pape Khaly Niasse. Dans cet entretien, ce «fils de…» au singulier parcours va soutenir Wade au détriment du candidat de son père Moustapha Niasse qui bat campagne pour Macky Sall.

Vous avez été reçu vendredi dernier par le Président de la République. Pourquoi êtes-vous allé voir le Président Wade ?

Il faut dire que le Président Wade m’avait reçu le 23 octobre 2011, au cours d’une audience très discrète. Parce qu’il m’avait demandé, au cours de cette audience, ce que je faisais dans la vie. Je lui ai fait savoir que j’étais dans l’armée et que j’étais spécialisé en déminage mécanique sur les engins explosifs. Alors, quand j’ai fait part de ça au Président Wade, il m’a répondu qu’il était très intéressé par mon profil, car il souhaitait me confier le déminage des mines en Casamance. Je lui ai dit que j’étais partant pour ce projet. Il m’a dit que je lui fasse un projet de déminage sur les mines en Casamance. J’ai alors fait un projet que j’ai remis à un ami pour qu’il le dépose à la Présidence; depuis le 17 novembre dernier, mais le Président ne l’a pas reçu. Par le biais d’un ami, j’ai pu rencontrer le Président du Sénat Pape Diop. Et c’est comme ça que, vendredi dernier, Pape Diop a pris ma main pour m’amener directement voir le Président Wade dans son bureau. J’ai été reçu comme un citoyen sénégalais et non en tant que fils d’un leader de l’opposition.

Aviez-vous conscience que l’audience que vous a accordée le Président Wade allait alimenter les discussions dans ce contexte électoral du second tour où votre père, Moustapha Niasse, soutient Macky Sall ?

Je sais bien que mon père (Moustapha Niasse) était candidat à l’élection présidentielle et je l’ai accompagné durant toute sa campagne électorale du premier tour. Mais à partir du moment où il n’est plus candidat à l’élection présidentielle, je peux soutenir qui je veux. Et cela dépend de la lecture que je fais de la situation du pays. Il n’est pas dit que Moustapha Niasse est mon père, je dois toujours être à ses côtés. Et puis, le Président Wade me donne aussi une possibilité d’avoir des responsabilités, à travers mon projet de déminage en Casamance.

Avez-vous parlé à votre père Moustapha Niasse de cette audience ?

(Catégorique) Non !Parce que j’ai 44 ans, je suis l’aîné d’une famille de six (6) enfants. Je pense que, dans certaines situations, je dois prendre mes responsabilités. Je ne sais pas pourquoi je dois jouer à ce jeu de-cache-cache pour aller rencontrer le président de la République, qui plus est, la plus haute autorité de l’Etat. J’ai été très bien reçu par le Président et il m’a mis en rapport avec Pape Diop en me disant : «Pape Diop est mon bras, mes yeux, c’est mon homme de confiance. Alors mon fils, je te mets en rapport avec lui.» C’est d’ailleurs, au sortir de cette audience que j’ai décidé de mettre les pieds dans la politique.

Est-ce que vous ne risquez pas d’être une arme ou un argument que Wade va utiliser contre votre père ?

Mon père, c’est mon père. C’est un homme bien, très loyal, mais on ne se comprend pas. Au plus profond de moi, je sais ce que je vous dis. Moustapha Niasse et son fils aîné ne se comprennent pas. J’ai vécu une situation que je ne veux pas vous dire… (Il marque une pause) Mais retenez que la politique, c’est comme la règle de trois, la moindre erreur que tu fais, elle est fatale. Je sais que mon père n’est pas content, les gens de son entourage itou.

Est-ce que votre père ne va pas vous en vouloir de soutenir Wade ?

Mon père a reçu dernièrement Pape Samba Mboup qui est du camp de Wade. Le Sénégal est un et ne peut en aucun cas être divisé. Si, aujourd’hui, on réveillait l’ancien Président Senghor pour lui dire que Moustapha Niasse avait soutenu un libéral en 2000, lui qui est socialiste qui a formé mon père, il n’y croirait pas. Aujourd’hui, c’est une question de confiance Wade dit qu’il fait trois (3) ans pour terminer ses chantiers… C’est vrai que certains commencent déjà à me dire que mon père sera remonté contre moi, qu’il va se fâcher, mais il faut qu’il respecte mon choix, ma vision des choses. Ce n’est pas parce que je suis le fils de Moustapha Niasse que je dois toujours être sous sa garde. Une lionne, elle forme ses enfants à la chasse et au bout de six(6) mois, elle leur tourne le dos. Ce n’est pas qu’elle ne les aime pas, mais elle les apprend à être féroce, combatif, autonome et se faire respecter. Aujourd’hui, mes responsabilités, c’est de soutenir Wade à travers Pape Diop.

Avez-vous reçu de l’argent au cours de cette audience avec le Président Wade en vue d’un soutien ?

Je ne suis jamais entré en politique, personne ne me connaissait. On connaît plus mon petit frère(Cheikh Tidiane) que moi. Je n’ai jamais approché les médias, mais il est temps que je fasse mon parcours pour savoir qui suis je. C’est pourquoi, désormais, je compte tisser ma toile d’araignée tout seul avec l’aide de Dieu. Je pense qu’il faut savoir prendre ses responsabilités. C’est normal que le Président aide les gens à faire face à leur mission en leur donnant des moyens. Il faut que les gens cessent de diaboliser le Président Wade.

Avez-vous reçu de l’argent ?

Pour le moment, je ne peux pas répondre à cette question qui est très délicate, très sensible.

Ce n’est pas une question si délicate que cela. A chaque fois, des gens entrent au Palais et disent qu’ils ont reçu de l’argent. Alors dites-nous ce que vous avez reçu ?

Ce que le Président m’a remis, ça reste entre moi et Pape Diop (le Président du Sénat).

Vous avez déposé votre projet pour le déminage en Casamance depuis novembre dernier et c’est aujourd’hui seulement que le Président daigne vous recevoir dans l’entre-deux tours, n’êtes-vous pas tombé dans son piège ?

Je ne crois pas que ce soit un piège, parce qu’il a cherché à me rencontrer, mais des gens de son entourage ont bloqué le dossier. En fin de compte, je l’ai trouvé dans son bureau et il m’a bien reçu. Donc, ce n’est pas un piège, sinon il me faudrait proposé dès le premier tour.

Est-ce que votre père vous a appelé, depuis qu’il a eu vent que vous avez été reçu par le Président Wade ?

Non ! Mon père ne m’a pas appelé, je sais qu’il est de plain-pied dans la campagne électorale. Seulement, des sœurs, des amis, des cousins m’ont appelé et je leur dis qu’il est temps que je gère mon avenir. J’ai une femme et des enfants, ma fille a treize (13) ans, ce n’est pas, parce que son grand-père a des moyens que je dois rester les bras croisés pour ne pas s’en occuper. Ça, c’est être fainéant. Je ne suis pas le genre de garçon bourgeois qui tend la main à son papa, je refuse ça.

Est-ce à dire que vous ne réclamez rien à Moustapha Niasse ?

Je ne réclame rien du tout. Je n’ai jamais demandé un seul sou à mon père. C’est vrai qu’il m’a payé des maisons, un véhicule et il s’est bien occupé de moi, mais il est temps que je prenne mes responsabilités. Je me soucie de l’avenir de mes enfants et je m’occupe de la grossesse de mon épouse, car cela me coûte la peau des fesses. Et pour ça, je ne veux tendre la main à personne. Aujourd’hui, le Président m’a confié à Pape Diop qui est mon parrain de sorte que, même si le président Wade perdait les élections, je serais dans l’opposition avec lui.

Au cours de votre audience, le Président Wade a-t-il parlé de votre père Moustapha Niasse ?

Le président respecte tellement mon père qu’il m’a dit : «Moustapha Niasse est un homme d’Etat, un homme qui connaît comme sa poche les mécanismes de l’Etat, comment ça fonctionne. » D’ailleurs, la première fois que le président Wade m’a reçu, il m’a dit : «Discutez en avec votre père, si vous avez sa bénédiction, je travaille avec vous.» J’ai été très sensible à ces propos du Président Wade.

Le Président a-t-il donné une suite favorable à votre projet de déminage en Casamance ?

Oui ! Il a décidé de financer le projet et pour déminer une région comme la Casamance, il faut trente-six (36) mois. Je compte travailler avec des Russes et des Ukrainiens et le coût global du projet s’élève à 1 million d’euros (environ 650 millions de FCFA).

Pourquoi avez-vous décidé de voter Wade au détriment de Macky Sall ?

Macky fait partie de notre génération, il peut encore attendre. Le Président Wade demande qu’on lui donne trois ans pour qu’il termine ses chantiers. Alors donnons lui trois ans et au bout de ce délai, on verra.

SOURCE : L’OBS MOR TALLA GAYE