Établissements Privés D’enseignement Supérieur: La Grande Arnaque ?

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Dans l’univers des établissements privés d’enseignement supérieur, il y a du tout. Illisibilité des contenus des diplômes, défaut de maîtrise des programmes, appartements servant de locaux, etc. Côté enseignants, ce n’est guère meilleur. Les 90% des intervenants sont des vacataires (57% d’entre eux ont le niveau de DEA ou master) et sont essentiellement des théoriciens, non des professionnels. Conséquence : les produits qui sortent ne sont pas en général des meilleurs, en dépit des importantes sommes consenties pour la formation. Désespoir, et mauvaise insertion dans le monde du travail meublent le quotidien de jeunes diplômés abandonnés à leur sort.Toutefois, l’Etat essaie de corriger les dysfonctionnements et l’espoir est encore permis.

Floraison d’écoles de commerce

Les moulins à diplômes

Transparence ! Ce vocable semble aujourd’hui inconnu dans le sous-secteur de l’enseignement supérieur privé. Bénéficiant d’un contexte favorable, ce domaine explose et est presque devenu le réceptacle de tous les aventuriers. Une vraie confusion y règne. Des écoles étalent leurs tentacules dans toutes les filières et des diplômes d’une même filière et de même niveau diffèrent d’un établissement à l’autre. Les témoignages révèlent mieux l’ampleur du problème.

Moulé dans une chemise blanche et un pantalon bleu marine assorti d’une cravate de même couleur, le groupe d’étudiants se dirige vers un imposant bâtiment peint en orange au milieu du quartier résidentiel du Point E. Ils sont des étudiants de l’Institut Supérieur de Management (ISM) en pause. L’air heureux, mises bien soignées, sourire aux lèvres, ils se pavanent tranquillement.

Comme eux, il y a aujourd’hui des milliers de jeunes habillés d’uniformes spécifiques à leur école qui prennent chaque matin la direction des établissements privés d’enseignement supérieur (EPES). En promenant le regard à travers les boulevards, rues et ruelles, on se rend compte que le phénomène a pris de l’ampleur, de telle sorte qu’il suscite désormais de l’inquiétude chez certains.

Et il n’est pas sûr que ceux qui se posent des questions aient tort. Car, dans ce secteur, il y a un problème de transparence. Ne serait-ce que sur le nombre d’établissements, il est impossible d’être exact. A la Direction générale de l’Enseignement supérieur (DGES), il y a officiellement 75 structures agréées, mais l’effectif dépasse de loin ce chiffre. La faute à un problème d’harmonie au niveau étatique.

En fait, il y a un vrai problème de contrôle des autorisations, car si le ministère de l’Enseignement supérieur en délivre, deux autres ministères en font autant. “Il nous arrive de voir des écoles, mais quand nous faisons la vérification, nous nous rendons compte parfois qu’elles ont une autorisation du ministère de la Formation professionnelle ou du ministère de la Santé. Ce qui fait qu’il y a un flou”, reconnaît Babacar Niasse, un des responsables de la formation privée à la DGES et par ailleurs auteur d’un mémoire sur la question.

Aujourd’hui, les écoles naissent année après année. La fourchette devrait varier entre 100 et 200 établissements. S’il y a eu une telle prolifération, c’est parce que les business schools sont devenus à leur tour un commerce lucratif (voir ailleurs). Un business datant de 1994, année de la libéralisation du secteur, et favorisé par un contexte particulier.

Directeur des Études, des Politiques et de la Coopération à la Direction générale de l’Enseignement supérieur (DGES), Olivier Sagna explique la réussite de ces écoles de formation “par la saturation des universités publiques qui ne peuvent plus recevoir les nouveaux bacheliers, les grèves répétitives qui ont détourné bon nombre d’étudiants et de parents vers le privé et l’inadéquation entre la formation académique et les besoins du marché.”

Une croissance moyenne de 5,4 établissements par an

Et pour avoir une idée du phénomène, il faut bien suivre son évolution. Dans un mémoire de Master soutenu le 27 janvier 2009 à la FASTEF, Babacar Niasse cité plus haut donne une idée de la progression. “En 1994 et 1999, 04 et 31 établissements ont respectivement été recensés. Soit une progression moyenne de 5,4 établissements par an.

En 2004, le Sénégal en comptait 48. Trois ans plus tard, en 2007, le nombre de ces établissements est passé à 70”, note le document intitulé “L’enseignement supérieur à l’heure de la mondialisation : état des lieux, stratégies et qualité dans les établissements privés d’enseignement supérieur au Sénégal”.

La courbe des effectifs suit également celui des établissements. Le chercheur poursuit : “De 1994 à 1999, l’effectif des inscrits dans les EPES au Sénégal est passé de 500 à 5000 étudiants. Le nombre d’étudiants a atteint 13 000 en 2004. En 2007, 25 000 étudiants ont été recensés”.

Cela signifie que sur une durée de 13 ans (1994/2007), ce sous-secteur de l’enseignement supérieur privé est passé de 500 à 25 000 étudiants. “Les effectifs de l’année de base ont donc été multipliés par 46”, précise M. Niasse. Aujourd’hui, le nombre d’inscrits est évalué à 40 000 environ, représentant 35% à 40% du total de l’enseignement supérieur, soit 1/3 des effectifs. Et avec les nouvelles autorités, l’objectif est d’arriver à la parité parfaite en 2017.

Pourtant, l’État gagnerait bien à assainir le secteur avant de s’engager dans une telle dynamique, tellement le flou est grand et les insuffisances énormes. En commençant par le contenu des formations. Il existe pour le moment une absence de lisibilité totale sur cette question. Chacun conçoit son propre programme. Les modules changent d’une école à l’autre. Le même diplôme dans la même filière peut avoir des contenus différents. Chaque responsable affirme pourtant que son curriculum est dressé selon la demande des entre prises. Il existe néanmoins un sérieux problème d’harmonisation.

Juste un module de 20h sur la matière de base

Mamadou Konté est le directeur de l’ISMEC. Cet homme à la forte corpulence a enseigné dans les grandes écoles de Dakar avant de créer la sienne avec d’autres collègues, “tous des professionnels”, dit-il. D’une voie rauque, il affirme avoir reçu un étudiant venant d’une école bien cotée. Ce candidat s’est spécialisé en Transport Logistique et a fait la Licence 1 et 2. Quand il a examiné son relevé de notes, il soutient lui avoir dit que s’il l’accepte en Licence 3, c’est juste pour son argent et non pour lui donner une formation.

“Les matières de base de sa spécialité lui sont totalement inconnues. La seule mention qui est faite de cela, c’est un module de 20h à la fin de la 2ème année. En fait, mes étudiants de première année qui ont fait juste six mois de cours en savent plus que lui qui a fait deux ans. Je lui ai dit que si je l’accepte, il se fatigue et il fatigue le professeur”, confie-t-il.

Un autre enseignant déclare avoir été invité à donner des cours dans une école. Le directeur des études lui tend un programme. Après lecture, il fait remarquer à ce dernier que son programme n’a aucune cohérence. Son vis-à-vis lui demande alors de lui laisser le temps de voir.

“Quand je suis rentré chez moi, je suis allé sur Internet et je me suis rendu compte que c’est là qu’il a pompé son programme. Quand je le lui ai fait la remarque, il m’a répondu: “Tu sais monsieur…, tout est sur le Net”. J’ai été choqué. C’est la dernière fois qu’il m’a vu”, raconte-t-il.

Professeur à l’UCAD et ayant enseigné dans les grandes écoles, cet autre interlocuteur trouve qu’il n’y a que du bruit, mais que le contenu est vide. “Il y a même des écoles qui mettent 40 heures sur les plaquettes et qui demandent à l’enseignant de faire 20 heures de cours”. En démissionnant d’une école, il affirme avoir écrit à la direction pour lui dire ceci : Mieux vaut changer ses désirs à défaut de changer le monde.

Toutes ces affirmations sont corroborées par des informations obtenues à l’ANAQ-SUP. Selon le secrétaire exécutif Papa Guèye, l’année dernière, il y a eu neuf établissements dont la demande d’agrément a été rejetée, parce qu’il y avait plusieurs conditions de qualité qui n’étaient pas remplies.

En outre, avec l’application du système LMD, les examens d’État n’auront plus leur raison d’être. Les diplômes d’école seront en principe reconnus valables. Mamadou Konté, directeur de ISMEC, estime qu’avec la généralisation du système et la suppression des examens d’État, l’autorité publique perd son seul moyen de contrôle. Il reste ainsi convaincu que l’application généralisée du nouveau système sera la porte ouverte à toutes les dérives. Les faits semblent conforter sa crainte.

Le Pr Papa Guèye révèle : “nos experts ont remarqué que dans certains établissements, les maquettes (LMD) proposées ne respectaient pas totalement ce qui est demandé. Nous sommes en train de les évaluer pour voir si ces établissements ont corrigé ce qui leur était reproché”, ajoute-t-il. Or, avant l’ANAQ (créée en 2012), la quasi-totalité des demandes ont été approuvées.

Écoles ou universités ?

En plus du contenu des diplômes, il y a la question de la spécialisation. Très rares sont les écoles qui ont fait le choix de se spécialiser pour avoir un domaine d’intervention précis. Dans le public, les écoles et instituts ont des spécialités bien connues. Une école privée comme l’Institut des sciences de l’informatique (ISI) s’est focalisée sur l’informatique. Dans le privé, par contre, chacun offre des formations à tous les secteurs rentables.

“Il est en effet de plus en plus difficile de savoir quelle structure privée est réellement une université et quelle autre est en réalité une école de formation professionnelle. De nombreux établissements veulent être à cheval sur les deux types d’établissement alors qu’une université, son curriculum et l’architecture de ses programmes ne sont pas normalement ceux d’une école de formation professionnelle”, regrette Babacar Niasse.

Dans ce processus de recrutement tous azimuts, ils y a bien des candidats pour qui on peut se demander s’ils ont leur place dans les écoles. En fait, c’est le statut même de l’école qui pose problème. Certains établissements qui se disent de niveau supérieur proposent une formation à des non bacheliers. C’est le cas de l’IPG/ISTI qui a des formations pré et post Bac. Dans ce document de M. Niasse déjà cité plusieurs fois et disponible sur Internet, on peut lire ce passage :

“Il semble même établi que certains EPES recruteraient, pour des formations post Bac des non bacheliers qui n’ont pas non plus un autre diplôme équivalent. Cela a été confirmé à plusieurs reprises par certaines personnes rencontrées. L’une d’elle a donné l’exemple de sa propre nièce”. Il est clair donc que le secteur nécessite de l’assainissement. La création de l’Autorité nationale d’assurance qualité (ANAQ) répond à ce besoin.

Stage de formation incertain

Le début du cauchemar professionnel

Trouver un lieu de stage relève du parcours de combattant pour les étudiants en formation. Les sociétés sont de plus en plus réticentes à les prendre, parce que concevant leur admission comme une charge et non une opportunité.

Le jeudi 8 mai, les séances de photo se multiplient dans la cour de l’Institut privé de gestion (IPG). Les crépitements des flashs immortalisent de larges sourires d’une journée de joie. Une promotion de 17 étudiants est fêtée ce jour-là. Vêtus de toges bleues, les impétrants reçoivent leur sésame, sous le regard envieux de leurs camarades venus nombreux se masser autour d’eux.

Spécialisés dans la maintenance du réseau informatique, ils sont préparés à tout… sauf à la pratique. En trois ans de formation, ils n’ont jamais été confrontés au monde de l’entreprise pour lequel ils sont formés. Une réalité de plus en plus partagée dans les établissements privés de formation professionnelle.

Passés les moments euphoriques à l’IPG, les nouveaux diplômés savent qu’il leur reste du chemin à faire. Adama Ba est l’un d’eux. Son aveu est de taille. “Je lance un appel aux entreprises pour qu’elles nous permettent au moins l’accessibilité au stage. Ce serait déjà bien pour rentrer dans le monde du réel, parce que tout au long de notre parcours, on était dans le monde du virtuel”.

Cette absence de stage durant toute la formation, les étudiants l’expliquent par le refus des entreprises de prendre des stagiaires, parce qu’elles ne veulent pas qu’une personne étrangère puisse avoir accès à leur réseau. “C’est la sécurité informatique”, sourit l’un d’eux. Et pourtant, Pape Saliou Sall, directeur de l’IPG, affirme que les étudiants ont déjà été dans les sociétés dans le cadre du stage obligatoire dans leur cursus. Faux! Rétorquent certains étudiants sous le couvert de l’anonymat.

Pourtant, cette réalité est loin d’être particulière à l’IPG. D’année en année, les étudiants des instituts privés de formation professionnelle, particulièrement les écoles de commerce, éprouvent des difficultés pour trouver des stages, même obligatoires. Ce qui augure déjà de lendemains sombres une fois le sésame en poche.

L’appel de Adama Ba en est une preuve patente. Un diplômé qui demande non pas de l’emploi mais un stage. Dans les différents établissements, les responsables soutiennent pourtant qu’ils ont une bonne politique d’accompagnement qui permet aux étudiants de trouver des stages et même plus tard de l’emploi.

“Aucune école au monde n’a la prétention de trouver du stage à tous ses étudiants”

A IAM, ISEG, BEM, ISMEC, IMC, le discours est le même. Les responsables affirment avoir un organe particulier chargé de la question. Mais ils ne disent jamais qu’il y a des diplômés qui n’ont jamais fait de stage. Pourtant, on en trouve au moins à l’ISM, à l’IAM et à l’ISEG. Si les grandes écoles qui bénéficient d’une bonne réputation connaissent ces difficultés, qu’en est-il des petits établissements ?

Blotti dans un bureau presque en verre, à gauche de l’entrée des locaux très chics de l’Institut africain de management (IAM), le directeur des études de l’établissement, en tenue traditionnelle, détaille la politique d’accompagnement. Kaly Camara : “Nous avons un service de la professionnalisation, un pôle de développement personnel, les techniques de rédaction de CV et rapport, la prise de parole en public”.

A l’ISM, des enseignants reconnaissent la difficulté, non sans ajouter : “Aucune école au monde n’a la prétention de trouver du stage à tous ses étudiants. Ce n’est pas notre vocation. Notre rôle est de former”.

Mamadou Gaye de l’IMC, entouré de deux jeunes collaborateurs, embouche la même trompette. Même s’il dit avoir trouvé du stage à tous ceux qui sont dans le besoin, il n’affirme pas moins que “ce n’est pas une obligation pour une école de formation de trouver des stages. Cela ne figure pas dans le contrat”. Peut-être que ces responsables des écoles tournées vers le marché devraient essayer de répondre à une question. Un étudiant qui n’arrive pas à avoir un stage, peut-il espérer un emploi?

Beaucoup de ces établissements qui affirment avoir un organe chargé du stage sont très peu utiles pour leurs étudiants. L’apport se limite à des lettres de recommandation délivrées à l’apprenant. A lui de les ventiler et de faire le suivi.

La majorité des étudiants interrogés dit avoir obtenu un stage par leurs propres efforts ou par l’entremise de leurs proches. Un grand nombre termine son cycle sans stage, comme c’est le cas à l’IPG. Une étudiante de l’IAM de la promotion 2008/2011 déclare avoir plusieurs de ses copines qui n’ont jamais fait de stage.

“Quand je me plains de ma situation, elles disent que je me moque d’elles, parce que moi au moins j’ai fait plusieurs stages. J’ai une copine qui n’a pas encore écrit son mémoire faute de stage”. Pour ne pas leur dire que c’est à eux de se débrouiller, leurs encadreurs leur font croire que l’esprit d’initiative commence d’abord par savoir se trouver un stage.

Les quatre péchés des stagiaires

Laissés à eux mêmes, les étudiants n’ont aucune chance de trouver un stage. Et de l’avis de deux directeurs des ressources humaines à qui nous avons parlé, quatre facteurs font que les entreprises n’ont pas envie de s’encombrer de stagiaires.

Le premier est que les étudiants n’ont aucune connaissance du secteur qu’ils ont choisi, même si, concèdent-t-ils, il y a une différence selon les écoles et les personnes. Le deuxième est lié à l’intégration dans le fonctionnement des entreprises. Nos interlocuteurs trouvent les stagiaires trop attentistes. “Ils n’ont pas la curiosité d’apprendre. Or, personne n’a le temps de venir leur apporter l’information. Ils ont l’habitude d’être assis et d’attendre que le prof donne. Ici il faut aller chercher l’info”.

Le troisième facteur est que les étudiants sont trop théoriques et pas assez pratiques. Sur le plan opérationnel, ils ne savent pas comment ça se passe. Sur ce point, Mamadou Gaye de l’IMC accuse le tronc commun. A son avis, avec ce système, les étudiants connaissent un peu de tout. Ils ne connaissent pas donc le tout d’un peu. Le résultat est que sur le marché, “ils ne connaissent rien du tout”.

C’est pourquoi lui a choisi de spécialiser ses étudiants dès la première année. Une option que ne partage pas Camara de l’IAM. A l’en croire, le tronc commun est essentiel. Chez lui, les étudiants font 5 semestres ensemble pour se spécialiser au sixième.

Le quatrième obstacle est le sens de l’initiative. “Rares sont les étudiants qui viennent avec des propositions”. A tous ces facteurs, il faut ajouter le manque d’implication des responsables des écoles. Surtout que certaines sociétés ont procédé à un scoring sans rien dire. L’étude de la demande du candidat dépend avant tout de l’école d’où il vient. “Certains établissements ne sont bons en effet que pour la corbeille”, confie un chef d’entreprise.

Ayant compris la difficulté de trouver des stages, les administrations des écoles essaient de contourner la difficulté par des modules d’entrepreneuriat. “Nous leur exposons des cas comme Ndiaga Ndiaye. Des gens qui ont bâti leur réussite à partir de rien”, explique le directeur des études de ISEG, Abdoulaye Gaye. Dans beaucoup d’autres écoles, les dirigeants ont le même langage, donnant ainsi des exemples comme Bill Gates ou le fondateur de Facebook.

Après l’obtention du diplôme

Les portes de la galère

Le diplôme est censé être la clé du bonheur qui passe par le travail. Depuis quelques années, les étudiants des EPES voient leur diplôme ne leur ouvrir que les portes de la galère. Désillusion, amertume, chômage… une situation qui s’explique par un secteur tertiaire déjà trop saturé.

Dans un contexte où il est difficile de trouver du stage, il va sans dire que l’emploi est plus que jamais compromis. Malgré les conventions signées ça et là et proclamées partout, il existe en réalité une vraie cassure entre l’école et l’entreprise. “Ce sont des vœux pieux qui ne permettent pas d’aller loin. Le cordon ombilical est rompu. Le dialogue n’est pas de mise”, soutient un cadre du marché de l’emploi.

Deux interlocuteurs du secteur bancaire affirment par exemple que les spécificités de la banque ne sont pas prises en compte dans la formation. L’un d’eux n’hésite pas à affirmer tout net : “si j’ai besoin d’un caissier, je ne le cherche pas à l’ISM ou à l’IAM. Je regarde d’abord dans le secteur”. A en croire nos interlocuteurs, les banques ne cherchent plus de jeunes diplômés. “Elles procèdent plus au débauchage”.

Dès lors, il n’est plus surprenant que des diplômés chôment. De plus en plus d’hommes et de femmes prêts pour le monde professionnel restent sans emploi. Et c’est une fois à la porte du marché de l’emploi que les étudiants découvrent la triste réalité : Ils étaient dans un monde d’illusions. Une étudiante de l’IAM est restée sans le moindre emploi depuis trois ans. Et pourtant, son père s’est sacrifié pour payer sa formation. Aujourd’hui, elle ne peut pas s’empêcher de rire de dépit quand elle se souvient de certains propos.

“Au début, tu es plein de rêve. Je me rappelle, on nous disait : si on vous propose un salaire de 300 000 FCFA, il faut refuser, parce que on vous forme en tant que cadre. Je vivais dans l’utopie. Aujourd’hui, je n’arrive même pas à avoir un boulot à 50 000 FCFA’, soupire-t-elle.

Une affirmation qui correspond parfaitement avec le profil de sortie dressé par Kaly Camara, directeur des études de l’établissement. “Nous formons des chefs d’entreprise, des cadres, des managers”, se glorifie-t-il. S’étant déjà heurtée au mur de l’emploi après plusieurs stages, l’étudiante conclut : “si je n’ai pas d’entreprise, mon enfant n’ira pas dans ces écoles de formation”.

Paul Gningue et ses camarades ont connu le même sort qu’elle. Ils sont de la promotion 2010 de l’école des douanes, un établissement privé. Leur famille ainsi qu’eux étaient convaincus qu’avec la réputation de l’école, ils trouveraient facilement du travail. “Nos parents nous demandaient si c’est l’école même qui allait nous trouver de l’emploi”, se rappelle-t-il encore.

Mais la désillusion fut grande. Las d’attendre un boulot qui ne se signale pas, ils ont fini par créer un cabinet de consultance. A l’écouter, on sent, malgré la retenue, qu’il est amer contre son école. “Il y a certaines choses que je ne veux pas dire. Mais les étudiants doivent avoir certaines informations avant de choisir. Il y a plein de choses qu’on ne leur dit pas”.

Flou sur le taux d’insertion

Quant aux responsables des établissements, ils n’ont aucune maîtrise sur leur efficacité externe. Si jamais vous leur demandez le taux d’insertion de leurs diplômés, ils vous donneront des chiffres très peu crédibles, gonflés à l’évidence. Peu d’entre eux avait pensé à l’insertion. Le Pr Papa Guèye soutient :

“La majorité des établissements publics comme privés ne sont pas outillés pour donner le taux d’insertion de leurs diplômés. Ils n’ont pas d’indicateurs sur leur efficacité externe. Il y a des privés qui le mettent sur des papiers publicitaires, mais je n’ai pas vu d’études”. Les premières initiatives sont inspirées par l’Autorité nationale d’assurance qualité de l’enseignement supérieur (ANAQ-SUP), parce que cela fait partie désormais des critères d’évaluation.

Par ailleurs, au-lieu de faire leur mea culpa et de redresser la barre, les responsables préfèrent accuser les étudiants, qu’ils qualifient soit pas assez entreprenants, soit de prétentieux. A l’IAM, le directeur des études M. Camara incrimine : “Les étudiants qui échouent n’ont pas d’ambition.

Après le Bac, ils ne savent pas ce qu’ils veulent. Nous ne pouvons pas les transformer”. Son collègue de l’IMC affirme que la quasi-totalité de la dernière promotion a trouvé refuge sur le marché. “ceux qui n’ont pas de travail, c’est parce qu’ils font la fine bouche. Ils ne prennent pas les boulots qui s’offrent à eux”, déclare-t-il.

Saturation du tertiaire

Si le taux de chômage est devenu aussi élevé, c’est que quelque part, les écoles forment pour un secteur déjà saturé. “Il est vrai que le tissu économique sénégalais ne peut pas absorber tous ces diplômés”, avoue le directeur Accréditation et relations institutionnelles de Bordeaux Management School (BEM), El Hadji Malick Faye.

Il y a néanmoins quelqu’un comme le directeur de l’IMC qui ne croit pas à la saturation, ni même à un nombre pléthorique d’écoles de commerce. “Le monde d’aujourd’hui est un monde ouvert. L’essentiel est d’avoir d’abord la formation. Moi j’ai fait la science politique. Rien ne me disait que je serais là aujourd’hui”, argumente Mamadou Gaye.

Dans tous les cas, le constat est unanime. Presque toutes les écoles proposent les mêmes filières, celles du tertiaire. Ce n’est pas pour rien que les gens de l’ISM disent que l’IAM, c’est en fait ISM modifié d’une lettre. Si cette affirmation est valable pour le nom, elle l’est aussi pour les options. Banque, assurance, marketing, communication, ressources humaines, audit…

“Sur les 70 EPES recensés, avance M. Niasse, 59 établissements, soit 84,30%, proposent des formations en commerce, particulièrement en commerce international, en management, en marketing ou en comptabilité. L’informatique que proposent 38 EPES sur les 70, soit 54,29% des établissements, vient en deuxième position”.

Cette similitude se fait ressentir jusque dans le choix des sigles. A quelle logique obéissent certains choix ? En guise d’exemple, il y a des cas frappants comme ESTM (École Supérieure de Technologie et de Management) et ESMT (École Supérieure Multinationale de Télécommunications), ESAG (École Supérieure d’Administration et de Gestion) et CESAG (Centre Africain d’Études Supérieures en Gestion), Institut de Commerce et de Management (ICM) et Institut de Management et de Commerce (IMC), ISEG et ESSEG, HEC et HEG. Des noms qui ne permettent pas aux élèves et parents de se retrouver facilement.

Toutefois, les EPES ne sont pas les seuls responsables des offres de formation. Il y a aussi un certains nombre de facteurs qui échappent à leur contrôle. Le premier est que l’économie sénégalaise est elle-même essentiellement tertiaire. Le deuxième est le profil des bacheliers. Au Sénégal, 70 à 80% des bacheliers sont des littéraires. Ils ne sont donc pas préparés pour les filières scientifiques. D’où le redressement de la barre prôné par les autorités actuels, surtout le duo de scientifiques composé du Président Macky Sall et de son ministre de l’Enseignement supérieur, Mary Teuw Niane.

“Nous avons accrédité dix licences au mois de mars, les 80%, c’est des licences STEM, parce que le ministre, en saisissant l’ANAQSUP, a précisé qu’il souhaitait recevoir les bacheliers des licences à orientation STEM”, renseigne le Pr Guèye.

Business Schools

Un chiffre d’affaires de 30 milliards de FCFA

De l’argent, il y en a dans les établissements privés d’enseignement supérieur, même si les responsables veulent river les yeux ailleurs. Le sous-secteur pèse 30 milliards FCFA de chiffres d’affaires en 2013. Dans la plupart des écoles, on semble faire le choix de la rentabilité sur celui de la qualité. Pas de personnel enseignant propre, des filières qui demandent peu d’investissement. Bref, un retour sur investissement quasi garanti.

D’abord 4, ensuite 31, puis 48, et le nombre explose. Dans les écoles de commerce, les étudiants apprennent à faire du business, mais eux aussi sont un business. Les établissements privés d’enseignement supérieur (EPES) sont désormais un commerce que la croyance populaire veut fort lucratif.

En jetant un regard sur le secteur, difficile de ne pas y croire. Il suffit de s’en référer aux frais de scolarisation. Les inscriptions varient de 100 000 à 350000 FCFA et même au-delà. Dans des écoles comme IAM, ISM, les frais annuels ne sont guère inférieurs à 2 millions.

350 000 FCFA de droits d’inscription et 75000 FCFA de mensualité à IAM ; 250 000 francs de frais d’inscription et une mensualité de 80 000 francs pour ISM. A Bordeaux Management School (BEM), la formation vaut 2,4 millions par an si c’est le diplôme unique et 3 millions si c’est la “co-diplomation” (diplôme de l’école et d’un pays occidental). Les autres écoles suivent avec des mensualités qui tournent autour de 50 000 F.

“La scolarité annuelle moyenne varie globalement entre 400 000 FCFA et 500 0000 FCFA selon les établissements”, relève le chercheur Babacar Niasse. En 2013, le chiffre d’affaires du sous-secteur était évalué à 30 milliards de FCFA.

Les responsables des écoles affirment à l’unisson que toute qualité a un prix. Mais ils ne reconnaissent surtout pas que privé rime avec fric.

“L’enseignement supérieur coûte cher. Il doit être international et pour ça, il faut des moyens. La majorité des profs que nous avons viennent de l’étranger. Il faut payer les billets d’avion, les hôtels, la prestation”, justifie le directeur Accréditation et relations institutionnelles de BEM, El Hadji Malick Faye. Des arguments dont toutes les écoles ne peuvent se prévaloir, car rares sont celles qui ont des profs venus de l’étranger.

Des chambres comme salles de cours

Ainsi, même si les responsables veulent que leur contribution à l’économie et à la formation soit mise en exergue plutôt que des supposés gros chiffres d’affaires, on n’a pas besoin d’aller loin pour se rendre compte que l’argent y est aussi une réalité. Les écoles sont avant tout des entreprises privées et sont d’ailleurs traitées comme telles par l’État “qui envoie toutes sortes d’impôts”. Or, les écoles ne cessent d’ouvrir.

Est-ce cette recherche de la rentabilité qui pousse certaines écoles à faire preuve d’un manque de rigueur et à chercher la solution de facilité ? Certains établissements sont logés dans des appartements destinés à l’habitation. Les étudiants font des cours dans ce qui doit être des chambres. Sur la question des enseignants, les écoles privées ne disposent pas de personnel enseignant propre. C’est d’ailleurs le principal reproche que leur fait l’État.

Les responsables répondent que c’est parce qu’ils ont des filières professionnelles et qu’ils ont besoin des cadres dans les entreprises qui ne peuvent pas être des permanents. Un argument très peu solide. En réalité, la quasi-totalité des enseignants viennent non du monde professionnel, mais des universités.

Selon le Pr Papa Guèye, secrétaire exécutif de l’ANAQ, 90% des enseignants du privé sont des vacataires. Un statut qui permet aux EPES de réduire considérablement les charges salariales. Aucune cotisation sociale, jours fériés et vacances non payés.

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