Fatou Diome: « Une Sénégalaise qui se prend pour Simone de Beauvoir ? »

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Fillette, au Sénégal, Fatou Diome faussait compagnie à sa grand-mère pour aller à l’école. Aujourd’hui, elle fait partie des écrivains les plus en vue en Alsace

La tentation est forte d’y voir un conte de fée. La petite Africaine qui fréquente l’école en cachette, fait des ménages en France et devient auteur à succès : il y aurait de quoi tourner un film… Mais la vie est plus nuancée qu’un conte hollywoodien. « Ils veulent Cosette tout le temps !» s’énerve gentiment Fatou, en lâchant ce petit rire qui ponctue régulièrement ses phrases. «Je n’étais pas une femme de ménage devenue écrivain, j’étais une étudiante qui faisait des petits boulots. »

Il y eut de la chance, sans doute, mais pas de baguette magique. Quand Fatou est arrivée à Strasbourg, ses connaissances universitaires avaient déjà de quoi complexer certains de ses camarades d’amphi. Et sa consécration littéraire vient de loin : elle écrit depuis toujours. Ou presque : au moins depuis ses 13 ans. C’est un don, comme d’autres sont peintres ou matheux. Et un besoin, la nuit. « J’ai commencé à écrire pour dire ce que les adultes ne veulent pas entendre. Pour poser des questions indécentes, essayer de comprendre. Quand on me demande pourquoi j’écris, je réponds : pour apprendre à vivre. C’est toujours ça »

Écrire sauve de tout. Écrire permet tout. « C’est simple, ma vie : si j’écris, je peux tout faire. C’est mon bol d’oxygène ».

Il est aussi permis de penser que cette nécessité d’écrire naît d’une histoire singulière : celle d’une enfant de l’amour et du scandale. « Mes parents avaient 18 ans, ils s’adoraient et n’étaient pas mariés… » Dans la communauté musulmane de l’île de Niodior, au Sénégal, ça suscite forcément des « guéguerres ». Fatou est élevée par ses grands-parents maternels. Loin de sa mère et de sa fratrie, mais près d’Aminata, sa grand-mère, son « héroïne », sa « philosophe de référence ». « Si elle avait su lire, elle aurait écrit des livres avant moi ». Plus tard, Fatou lui traduira, avant parution, ses propres livres en sérère, la langue de son peuple. Aminata est décédée en mai, « mais il ne faut pas le dire ! Je n’accepte pas. C’est une pensée magique : si je ne le dis pas, ça n’arrive pas… »

Arrive une des scènes majeures d’un futur biopic. Fatou a 7 ou 8 ans. L’école de Niodior est au fond du jardin. La fillette n’est pas inscrite : « La priorité, c’était de me nourrir, me soigner… » Elle accompagne Aminata pour arroser les carottes et les oignons, et s’éclipse dès que la grand-mère a le dos tourné. « Je restais au fond de la classe, mais l’instituteur me renvoyait… » L’année suivante, on l’inscrit. Elle apprend sa future langue d’écriture : le français. Pour le collège, elle doit partir en ville et loger dans des familles d’accueil. « J’étais leur bête de somme. On me disait : aujourd’hui, tu ne vas pas en classe, tu fais le linge ! Alors, à 14 ans, j’ai pris ma chambre, que je payais avec des petits boulots ».

« Une Sénégalaise qui se prend pour Simone de Beauvoir ? »

Quand elle s’absentait pour travailler, les notes baissaient. Quand elle avait amassé un pécule, elles remontaient… De quoi forger un caractère. Et noircir des ramettes de pages blanches.

Fatou débarque à Strasbourg en 94. Elle y suit son mari, un Alsacien qui avait travaillé à Dakar. « Je ne voulais pas partir, je n’avais pas le rêve de l’immigration. À la bibliothèque universitaire, je lisais Libé et Le Monde, j’étais renseignée ». L’histoire d’amour finit mal, sur fond de racisme familial : « Je répète souvent cette boutade : ils attendaient Blanche Neige, mais ce n’était pas moi… »

Le couple se sépare, Fatou se remet aux petits boulots ( « Jusqu’à 45 heures par semaine ») pour financer ses études. Au début de sa carrière d’écrivain, il lui est arrivé de devoir boucler en vitesse une interview à France 3 parce qu’un ménage l’attendait.

Et les feuilles blanches se noircissent… Un ami la pousse à contacter un éditeur. Elle appelle Présence africaine. « L’éditrice m’a demandé de lui envoyer mon manuscrit. J’ai répondu : Vous connaissez une maman qui envoie son bébé par La Poste ? ! » Fatou va à Paris, l’éditrice lit devant elle les premières pages de ce qui sera La préférence nationale. Elle est séduite d’emblée. « Quand elle m’a parlé de contrat, je pensais que c’était pour travailler dans sa société ! Je lui avais dit que je cherchais des petits boulots… J’ai traîné avant de signer. J’avais peur que les autres rentrent dans ma tête et se disent : elle est folle ! »

Ils y sont entrés, et ils ont dit : elle est drôle ! Voici encore une scène digne d’un biopic : un journaliste du « Canard enchaîné » repère le livre dans une librairie, sans doute séduit par la malice du titre ; il en rédige une critique enthousiaste. Et ce qui devait être confidentiel ne l’est plus du tout. « Une copine m’a résumé l’article, car je n’osais pas le lire… Même dans mes rêves les plus fous, je ne pensais pas que ça marcherait : une Sénégalaise, femme de ménage, divorcée en Alsace et qui se prend pour Simone de Beauvoir ? Vas-y ! »

Allons-y… Le phénomène Diome est lancé. L’auteur monte en gamme au niveau des éditeurs et des ventes. Le bouquin suivant, Le ventre de l’Atlantique, roman très autobiographique, est pris par Anne Carrière et se vend à plus de 200 000 exemplaires. Aujourd’hui, elle est un auteur Flammarion, et participe à l’avalanche éditoriale de la rentrée littéraire 2010 (voir ci-contre).

À Strasbourg, où elle a décidé de vivre et travailler, une femme l’accoste : « Vous ressemblez à Fatou Diome ! » Fatou s’étonne : « Vous trouvez ? » Après le racisme infligé à ceux qui ne sont rien, les ronds de jambes adressés à ceux qui sont devenus quelqu’un. « Je ne peux pas attraper la grosse tête, promet l’auteur. Car ma grand-mère voulait toujours pouvoir reconnaître sa petite-fille ». Et Aminata est toujours là, à veiller, quelque part…

Hervé de Chalendar

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