Les troupes qataries ont quitté Ras Doumeira, région frontalière que se disputent l’Érythrée et Djibouti. Ce départ, décidé par Doha à la suite de la crise avec l’Arabie saoudite, provoque un regain inquiétant de tensions entre les deux pays.
La crise diplomatique entre le Qatar et les pays du Golfe a des répercussions sur ses voisins dans la Corne de l’Afrique. Les États de Djibouti et de l’Érythrée se retrouvent au bord du conflit en raison du départ de troupes de médiation qataries dans la région du cap Doumeira, à la frontière entre les deux pays. Djibouti affirme que l’Érythrée a profité du retrait du contingent pour occuper le territoire disputé de Ras Doumeira. À la demande du voisin éthiopien, le Conseil de sécurité de l’ONU tiendra lundi 19 juin à New York des consultations sur le litige.
Asmara, de son côté, n’a pas directement réagi à ces accusations et indiquait que le gouvernement érythréen ne commenterait pas « les informations – factuelles et spéculatives – produites ces derniers jours. »
Dans le même temps, le président de la commission de l’Union africaine (UA), Moussa Faki Mahamat, a appelé les deux pays au « calme et à la retenue » et annoncé l’envoi d’une mission chargée d’établir les faits.
Le Qatar s’était interposé entre les deux pays de la Corne de l’Afrique en juin 2008, au terme d’un conflit armé de quatre jours pour le contrôle de Ras Doumeira, promontoire stratégique à l’entrée de la mer Rouge. L’Érythrée et Djibouti s’étaient alors engagés à résoudre leur conflit territorial sous la médiation de Doha. Les Qataris devaient rester déployés dans la zone disputée jusqu’à l’accord final.
Un retrait « unilatéral »
Cet équilibre a volé en éclats. Le 14 juin, le ministère des Affaires étrangères qatari a indiqué que « l’État du Qatar avait informé le gouvernement de Djibouti du retrait de toutes ses troupes déployées à la frontière avec l’Érythrée ».
Une décision qui intervient à la suite de la crise diplomatique qui a éclaté entre Doha et l’Arabie Saoudite – suivie par plusieurs pays du Golfe –, qui accuse le Qatar de « soutenir le terrorisme islamiste ». Djibouti, comme l’Érythrée, entretenant de bonnes relations avec l’Arabie saoudite et ses alliés des Émirats arabes unis, tous deux ont choisi leur camp. Djibouti reproche aujourd’hui au Qatar d’avoir agi « de façon unilatérale et sans consultation ».
Le Qatar, élément de stabilité dans la région
Pour Patrick Ferras, directeur de l’Observatoire de la Corne de l’Afrique, les cris d’orfraie de Djibouti constituent une « hypocrisie diplomatique ». « [Djibouti] a été peu reconnaissant de l’implication du Qatar depuis neuf ans pour résoudre son problème frontalier », rappelle-t-il dans un post du blog soulignant que Djibouti a peut-être été trop prompt à soutenir l’Arabie saoudite. « Il s’en aperçoit et tente d’attirer les yeux du monde sur une possible reprise du conflit avec Asmara », continue-t-il.
« Les Qataris sont impliqués sur plusieurs terrains en dehors de leur territoire », explique à France 24 H.A. Hellyer, spécialiste d’histoire arabe contemporaine et membre du think tank Atlantic Council. Dans sa quête de visibilité internationale, le Qatar a multiplié les médiations dans la Corne de l’Afrique : au Darfour, au Soudan… et à la frontière djibouto-érythréenne.
« Beaucoup de pays qui mettent la pression sur le Qatar sont également impliqués dans la région », souligne l’analyste. « Il y a sans doute plusieurs autres zones dans le même cas de figure que Djibouti et l’Érythrée. Si la crise dans le Golfe continue, ce type de perturbation va se multiplier. »
Djibouti souhaite que le Conseil de sécurité de l’ONU ordonne à l’Érythrée de se retirer. Dans le cas contraire, l’escalade n’est pas à exclure. Le ministre djiboutien des Affaires étrangères, Mahmoud Ali Youssouf, a prévenu jeudi : « Si l’Érythrée persiste dans sa recherche de solutions militaires, Djibouti est prêt à cette éventualité ».
De plus, comme le souligne RFI, le contexte est différent de celui de 2008. En 2016, les gouvernements djiboutien et éthiopien ont signé un accord de défense. Par l’engrenage des alliances, l’Éthiopie, ennemi héréditaire de l’Érythrée, pourrait donc réagir en cas d’attaque contre Djibouti, et provoquer un nouvel embrasement de la Corne d’Afrique.