Le Sénat : terrain fertile à l’impopularité et donc à la chute. Par professeur agrégé, dpt des sciences sociales, Université du Québec en Outaouais (UQO)

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Cette plume était retrempée à une encre qui  finit de sécher  tant elle avait  attendu que la sagesse, la raison aux sources de l’éthique républicaine, fussent réinventées à la faveur de la chute du régime de l’alternance. En vain! Si les promesses hivernales de l’an 2000 avaient peu à peu flétri durant les 12 printemps du règne de Wade, celles de Maky semblent tout au moins emprunter la même trajectoire. L’histoire ne se répète jamais de la même façon, a-t-on l’habitude dire. Erreur qui ne doit sa persistance qu’à la vanité de ceux qui la propagent. Qui disait que ce ‘’monde est rempli de gens qui ont raison, et c’est pour cela qu’il est écœurant’’! Quand la vanité se conjugue à la suffisance des vainqueurs, elle engendre la déraison qui à son tour produit l’arrogance qui charrie la démesure en tout, envers et contre tous. Le régime socialiste en fit l’amère expérience, celui de Wade, grisé par le pouvoir en prit le chemin, celui de Maky encore sous l’empire de la gloire et l’emprise de la gloriole que confère le  succès électoral récent, en épouse gravement les contours. Voilà comment les hommes politiques africains creusent leur propre tombe en pensant toujours avoir raison et en considérant ceux que leurs actes sidèrent comme des aigris condamnés à l’indignation figée. Les oppositions manifestes exprimées contre le maintien du sénat rappellent à bien des égards des attitudes reproduites dans des périodes récentes de l’histoire politique du Sénégal qu’il ne nous fait pas plaisir de rappeler, sinon que pour leur dimension pédagogique : pour cause et pour raison.

La cause et la raison seraient une volonté de consolidation du pouvoir qui passe par la nomination des ‘’amis’’ et ‘’alliés’’ politiques. Le tout a pour effet de reproduire l’espace néo-patrimonial, caractéristique principale du pouvoir en Afrique, avec au bout les mêmes effets : la déconnexion avec les aspirations profondes des peuples au nom desquels on gouverne. Ceux qui aujourd’hui prônent le maintien du sénat ont les mêmes arguments que ceux qui le défendaient hier du temps de Diouf et de Wade : ‘’ Maky est élu par le peuple’’, ‘’il n’est prisonnier d’aucun engagement pris ailleurs’’, ‘’il a la majorité, il applique son programme et patati et patata’’. Ce que tous ces philosophes de leur propre existence ont en commun, c’est leur ignorance de ce paradigme au principe de la démocratie : il n’y a aucun peuple qui  donne le pouvoir, il ne fait que le déléguer. L’espace néo-patrimonial auquel sont habitués nos hommes politiques depuis le temps du règne socialiste est celui dans lequel le chef organise son pouvoir politique comme l’exercice de sa gestion domestique, exactement comme le firent tour à tour Diouf et Wade hier, et comme l’on invite Macky à le faire aujourd’hui. Habitués ainsi à appréhender l’espace du pouvoir comme un territoire familial, il n’est guère surprenant que les sentiments ‘’d’amitié, d’allié et de parenté politique’’ se substituent aux principes démocratiques chez nos dirigeants. Ces prédispositions psychologiques se traduisent dans leur registre sémantique : il faut ‘’caser’’ tel ou tel militant méritant, tel ou tel allié stratégique. En terme de stratégie d’ailleurs, la confusion est dramatiquement involontaire, car ce qui se décline aux horizons n’est qu’une vulgaire tactique court-termiste. Leur logique néo-patrimoniale fondée sur la satisfaction des besoins des «parents politiques » ignore les solidarités sociales et méconnaît les compassions. Les preuves pleuvent pour éclairer une telle logique de raisonnement, si c’en est un, d’ailleurs. Hier, le régime socialiste procédait à l’augmentation du nombre des députés et à la création d’une nouvelle institution, le Sénat, avec la plupart des membres nommés directement par le Président de la République. Exactement comme l’a reproduit Wade et exactement comme promet de le faire le régime de Macky. La «privatisation » de la politique est ainsi faite que même le « Prince » (détenteur du pouvoir exécutif) a un droit de regard sur le pouvoir législatif dont les membres deviennent des représentants personnels du chef de l’exécutif dans les institutions législatives. Si on avait promis aux Sénégalais plus de démocratie en 2012, en maintenant cette même formule, la pratique du pouvoir exhale les odeurs d’une trahison. N’ayons pas peur des mots. Cette pratique découle de ce que Médard appelle l’absence de véritable distinction entre domaine privé et domaine public. Voilà qui explique pourquoi nos hommes politiques sous les différents règnes socialiste, libéral, et libéralo-socialiste (pour tenter de caractériser la coalition actuelle au pouvoir)  traitent les institutions comme des biens propres, en laissant au chef de l’exécutif le choix de nommer lui-même des sénateurs qui font nécessairement partie du cercle fermé des proches, qui ne sont pas forcément compétents, mais qui auront  toujours témoigné fidélité et loyauté au ‘’prince’’. Dans ce système patrimonial décrit par Weber, l’obéissance est due à l’autorité personnelle de l’individu qui en bénéficie en vertu de son statut traditionnel : «Le groupe organisé qui exerce l’autorité n’est pas un supérieur, mais un chef personnel. Son entourage n’est pas composé essentiellement d’officiels, mais de dépendants personnels. Ceux qui sont sujets à l’autorité ne sont pas les membres d’une association quelconque, mais sont soit ses camarades traditionnels, soit ses sujets. Ce qui détermine la relation de l’entourage administratif avec le chef n’est pas l’obligation impersonnelle liée à l’office, mais la loyauté personnelle au chef» (Weber).

L’essence même du patrimonialisme se ramène à l’idée que toute l’autorité gouvernementale et les droits économiques correspondants, tendent à être traités comme des avantages «privatiquement appropriés». Les pouvoirs politiques et leurs ressources qui leur sont associées sont alors traités comme des droits privés. Ce sont exactement ces mêmes logiques décrites par Weber qui avaient poussé le régime du PS à créer un Sénat, qui ont incité Wade à le réinventer après l’avoir supprimé, et qui ont encouragé Macky à le maintenir. On se souvient que quand le régime du PS procédait à l’augmentation du nombre des députés et à la création du sénat, les diplômés de  l’école normale supérieure de Dakar faisaient la grève de la faim pour réclamer leur recrutement dans un secteur éducatif qui manquait cruellement de professeurs. Face à l’indignation et à la colère des populations, la seule réponse de l’État néo-patrimonial sénégalais sous le régime du parti socialiste, c’était : « il faut qu’une majorité serve à quelque chose». Leurs successeurs sous Wade le répétèrent à l’envie à leurs ‘’contempteurs’’ désignés. Avec l’arrogance en plus et l’élégance en moins. Que ceux qui conseillent au régime de Macky le maintien du Sénat ne se gênent point à reprendre la même rengaine dans une période marquée par les inondations! Bien mal leur portera! Les mêmes causes reproduisent les mêmes effets. Le maintien du sénat coupera le régime de Macky de ses bases populaires et le mènera donc à la chute. La réflexion stratégique qui s’appuie sur des logiques d’accaparement des pouvoirs, en procédant à la redistribution des ressources qu’ils confèrent à des fins de consolidation d’une alliance ou de renforcement d’un parti, pour justifier le maintien d’une institution comme le sénat, n’est pas seulement cynique, elle est absurde. L’aberration fondamentale revient sans doute à ériger une stratégie mythique fondée sur l’efficacité politique, archétype en lequel se «résolveraient» les contradictions immédiates, là où il y aurait lieu de s’inscrire dans une analyse prospective qui prenne en compte l’avenir de tout un pays, de tout un peuple qui mérite le respect voire la compassion en ces difficiles moments, plutôt que le mépris et l’indifférence.

Bref, pour éviter tout jugement hâtif et donner à cette petite réflexion le sens d’une alerte, nous pensons qu’une bonne communication de gestion de crise s’énoncerait en ces termes : « Les conséquences dramatiques des récentes inondations appellent des efforts exceptionnels de solidarité, et le chef de l’État doit être le premier à donner l’exemple. Il propose à sa majorité la suppression du Sénat en suggérant que les économies potentiellement engendrées soient totalement réinvesties dans la gestion des conséquences de ces inondations’’. Le peuple appréciera. Les alliés et les partisans s’en accommoderont, et tant pis s’ils piquent des crises! Leur bonheur perdu égale au moins les malheurs d’un peuple sous les eaux, qui a cessé de rêver à force de nuits blanches passées à la belle étoile. Des actes concrets de haute portée politique pèsent plus que les logorrhées soporifiques d’un slogan (‘’la patrie prime sur le parti’’) qui n’est à la pensée que ce que le défilé militaire est à la danse.

NdiagaLoum, professeur agrégé,

dpt des sciences sociales, Université du Québec en Outaouais (UQO)

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