Le Sénégal face à la coopération internationale dans la sous-région (Par Oumar El Foutiyou Ba)

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Depuis près de deux décennies, les autorités sénégalaises ont procédé à une légère réorientation de la politique de coopération au profit de nouveaux partenaires portés par la Chine, un pays qui l’objet de critiques, notamment de la part des pays occidentaux.

En tant qu’ancien acteur de la coopération, ce débat nous interpelle à plus d’un titre et appelle, de notre part, une réflexion au moment même où se tient, à Dakar, le 8e Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC).

Pour rappel, le Forum a été ponctué par des annonces du Président chinois en matière de vaccins, dans un contexte de Covid, en réponse à la complainte des Africains portée par le président Sall, qui voient en la Chine une alternative, en particulier au lendemain de la Conférence sur le Climat susceptible de remettre en cause les embellies espérées de l’exploitation gazière, en Afrique, jugée polluante par les Occidentaux .

Nous rappellerons, d’abord, les formes revêtues par la coopération traditionnelle avant d’aborder la question de savoir dans quelle mesure l’élargissement de notre coopération à d’autres partenaires, au premier rang desquels la Chine, pourra être profitable à la partie sénégalaise et servir d’exemple à l’Afrique.

Une coopération classique handicapante ?

En raison de leur histoire particulière, les pays occidentaux ont toujours considéré la coopération Nord – Sud au travers d’une tradition de suzeraineté et d’enjeux extérieurs aux Pays en Développement (PED). Tout d’abord, les PED furent astreints à se positionner dans le cadre d’une guerre froide, qui ne les concernait pas, avant de se retrouver enfermés dans des schémas découlant des seules vues des bailleurs qu’ils soient bilatéraux ou multilatéraux.

Cette logique inspire les théories relatives au rattrapage ou à l’institutionnalisme dont les ambitions louables de développement, parfois articulées à une exigence de gouvernance vertueuse (en contradiction avec le soutien de dictatures alliées), n’ont jamais dépassé le stade des intentions.

Au fil du temps, il est apparu que la coopération avec les Pays occidentaux se heurte à plusieurs écueils avec des procédures couteuses en temps, de nature à retarder les projets, et des coûts liés à l’utilisation de l’expertise étrangère (entreprises, cabinets, consultants) qui vise principalement le rapatriement des fonds alloués dans les circuits économiques des pays d’origine.

Aussi ce type de coopération est-il vivement critiqué par des auteurs comme Dambisa Moyo qui accusent l’aide de conduire à la pauvreté, au détournement d’objectifs et à la corruption ; en opposition tranchée avec l’opinion de Jean-Michel Severino ou Jeffrey Sachs.

En tout état de cause, la coopération avec les partenaires classiques semble expliquer notre incapacité à atteindre un stade préindustriel, la détérioration des termes de l’échange, la privatisation tous azimuts opérée sur le portefeuille de l’Etat et la fragilisation du secteur privé local.

Ces considérations associées au tarissement des flux d’aide de la part des PTF traditionnels, confrontés à des problèmes récurrents de gouvernance interne, expliquent les tentatives de réorientation de la coopération entreprises, depuis quelques années, par le Sénégal, en direction des Pays émergents dont la Chine dans le cadre d’une approche Sud-Sud. 

La Chine ou l’émergence de nouveaux maîtres du jeu 

Ces dernières décennies ont été marquées par la percée opérée par les Pays émergents comme le Brésil, la Corée du sud et, surtout, la Chine dont les interventions revêtent un cachet particulier en tant que moteur de la croissance économique mondiale avec des besoins continuels en matières premières provenant, notamment, de l’Afrique.

De Deng Xiaoping, qui a entrouvert sa muraille communiste pour y introduire l’économie de marché, à Xi Jinping, son leader actuel, préoccupé par des enjeux géopolitiques et économiques opposant son pays aux Occidentaux, l’Empire du Milieu a su innover avec des projets phares dont le plus symbolique, OBOR (One Belt, One Road), concerne plus d’une soixantaine de pays, sur tous les continents.

La présence de la Chine en Afrique permet à plus de 10000 de ses entreprises de disposer de marchés d’approvisionnement et d’écoulement de leurs produits et contribue à l’élimination de la pauvreté pour les deux parties. C’est pourquoi ce géant asiatique a entrepris de conforter son emprise sur le continent noir.

La Chine affine sa stratégie dans le cadre des Forums sur la coopération sino-africaine pour les investissements (FOCAC) adoptés à partir de 2000 et a mis en place un fonds de développement sino-africain dans le cadre duquel s’est tenu, en novembre 2017, à Marrakech, un sommet, le 2e, qui a enregistré la participation de 400 sociétés dont 150 chinoises.

Le choix du Maroc n’est pas fortuit. Avec OBOR, ce pays a trouvé le moyen de se positionner comme une place forte destinée à rayonner entre la Chine, l’Afrique subsaharienne et l’Europe. Ces visées s’inscrivent dans une perspective globale qui a conduit le Royaume chérifien à signer plusieurs accords commerciaux avec divers partenaires (USA, UE…), multiplier ses IDE par 5, entre 2011 et 2015, dans la CEDEAO, un espace qu’il souhaite intégrer, avec, en prime, dans le futur, l’adoption d’une monnaie, d’un tarif extérieur et d’un marché commun.

Pour ce qui concerne notre pays, la Chine et le Sénégal développent des relations d’amitié, depuis 1964, avec des périodes plus ou moins fastes. En dépit d’atouts réels pouvant intéresser l’Empire du Milieu (mines, infrastructures, énergie, immobilier, ZES,…) et de sa position géographique à nulle autre pareille, la Chine n’a semblé placer le Sénégal au cœur de son dispositif de coopération qu’à partir de 2005 avec la reprise des relations diplomatiques entre les deux pays et à la faveur de la hargne patriotique déployée par son ancien ambassadeur au Sénégal, Lu Shaye, promu depuis Monsieur Afrique de la Chine.

Depuis, l’Empire du Milieu s’est distingué de façon spectaculaire en investissant dans plusieurs pans de la vie économique sénégalaise dans le cadre d’un portefeuille de projets couvrant divers secteurs (agriculture, santé, sports, culture…) avec des investissements massifs sur les Infrastructures et des conditions de contractualisation plus douces que celles accordées par la coopération classique grâce à des financements très concessionnels. Seule ombre au tableau, en dehors du groupement JLS-Henan/Chine, constitué par deux privés, dans le passé, les conventions sino-sénégalaises se traduisent concrètement par un investissement mobilisant, souvent, des entreprises chinoises, utilisant du personnel et des matériaux …chinois.

Malgré tout, l’importance de ce pays pour l’économie sénégalaise n’est plus à démontrer. La Chine était, pour 2016, le troisième partenaire commercial du Sénégal, avec un volume d’échanges multiplié par 16 en 10 ans et un accroissement moyen de 133% par an.

En 2020, le volume du commerce entre les deux pays s’élevait à près de 3 milliards de dollars (400 fois le chiffre de 2017) avec un portefeuille assez diversifié et des projets phares en matière d’infrastructures (industrielles avec une plateforme à Diamnadio, voies de communication avec les autoroutes, et télécommunications avec le Data center, le e-gouvernement, hydrauliques, culturels…).

La Plateforme industrielle de Diamnadio fait, d’ailleurs, partie des huit initiatives majeures du FOCAC dont la 8e édition a fini de livrer de ses conclusions, ce 30 novembre 2021, à Dakar.

Cette coopération reste cependant à dynamiser dans le cadre de l’ambitieux programme des nouvelles Routes de la soie (OBOR), cadre de financement du Président chinois pour les prochaines décennies ; ce qui témoigne, si besoin était, du retard à l’allumage du Sénégal vis-à-vis de cette opportunité majeure. 

Les progrès de la Coopération sino-africaine sont encore plus impressionnants. En 2019, le montant des investissements directs de la Chine en Afrique, comparés ceux de l’an 2000, ont pratiquement été multipliés par 100 avec des échanges commerciaux entre la Chine et l’Afrique dont les montants ont atteint le chiffre de 208 milliards de dollars, soit 20 fois plus qu’en 2000. De plus, la Chine est restée, durant 11 ans, le premier partenaire commercial de l’Afrique, ce qui donne une idée de son apport sur la croissance économique du continent à laquelle elle a contribué à 1/5e de sa valeur.

La coopération avec la Chine ne s’intéresse guère aux conditionnalités en rapport avec la gouvernance interne des Etats, comme c’est le cas pour les Occidentaux avec qui elle partage, toutefois, le défaut des coûts liés à l’utilisation de l’expertise étrangère à l’origine de moins-values pour les pays recevant des financements.

Les besoins énormes de l’économie chinoise la porte à rechercher les matières premières, comme le firent, dans le passé, les Occidentaux mais, contrairement à eux, sa présence contribue à la bonne tenue des prix ; ce qui est à l’avantage des pays bénéficiaires, comme le Sénégal, qui gagneraient, cependant, à toujours miser sur la valeur ajoutée qu’apporteraient les produits finis ou semi-finis.

A certains égards aussi, on sait qu’une large ouverture vers des pays comme la Chine peut avoir comme contrecoups le délitement du tissu industriel local peu compétitif par rapport aux produits importés et une explosion de la dette (Ethiopie, Zimbabwe, RDC…) pouvant aliéner la souveraineté des Etats à travers les tentatives réussies ou non de caporalisation de minerais stratégiques (RDC) ou d’infrastructures (Kenya).

Ce dernier aspect a conduit certains Etats à s’éloigner, entre 2020 et 2021, de projets (d’infrastructures et miniers) non conformes à la Constitution (Ghana, RDC) du fait de l’intervention du système judicaire qui a opposé son véto à des projets, ce qui appelle un recentrage de la part de la Chine qui doit restaurer la confiance.

L’érosion du capital sympathie chinois en Afrique, illustrée par les manifestations de la Société civile kényane en 2021, est une alerte sur ses modes d’action car ce pays est aussi attendu sur le plan du respect qu’il proclame aux Africains.

Quelle doit être la posture d’un pays comme le Sénégal ?

Pour asseoir une démarche cohérente dans le cadre de sa politique de coopération, le Sénégal gagnerait à prendre des mesures hardies en direction de ses partenaires mais aussi à l’endroit de l’administration en charge de ce sous-secteur. Aussi, s’agira-t-il :

Au niveau de l’environnement, vis-à-vis des partenaires :

Jouer sur les effets de concurrence entre PTF en diversifiant la coopération

La diversification de la coopération et l’intensification des relations avec les pays du Sud a pour avantage d’exacerber la concurrence entre les pays émergents portés par l’Empire du Milieu et les pays occidentaux condamnés à élever leurs standards de coopération et à développer une offre de financement plus intéressante (financements concessionnels avec des taux de 0 à 2% sur des durées de 25 à plus de 30 ans, tels que ceux consentis par la Chine ou la Corée du Sud), avec des retombées positives sur la gestion des finances publiques.   

Contenir les chevaux de Troie, amis apparentés mais concurrents patentés

Les visées du Maroc doivent être considérées comme une menace sérieuse aux intérêts du Sénégal qui a raté, à la faveur de la crise ivoirienne, une bonne opportunité de hisser le Port de Dakar au rang de porte d’entrée du trafic en direction de l’Afrique occidentale alors que, dans le même temps, le Royaume chérifien multipliait ses projets portuaires et routiers destinés à ouvrir des couloirs de passages entre l’Afrique et l’Europe.

L’arrimage du Maroc au programme OBOR et les diverses conventions commerciales qu’elle a signées avec d’autres mastodontes (UE, USA…) feraient de ce pays une véritable cinquième colonne, pour les intérêts étrangers, dans l’espace CEDEAO et lui offre l’occasion d’élargir sa présence déjà notable dans les secteurs des banques et de l’immobilier.

Au niveau interne, vis-à-vis de l’Administration sénégalaise :

Adopter une philosophie axée sur l’optimum

Mon expérience d’ancien directeur des études, de la planification et de la programmation au ministère chargé de la coopération internationale m’a appris que ce qui fait la différence dans la mise en route de deux projets de coopération internationale tient surtout au suivi de terrain censé raccourcir les délais de décaissement post conventions (5 mois par expérience contre au moins un an pour la coopération classique).

C’est pourquoi, les services évoluant dans le secteur de la coopération internationale sont condamnés, s’ils veulent s’inscrire dans la performance, à s’éloigner du mandarinat en usage dans l’Administration publique sénégalaise en vue de se doter de méthodes éprouvées (manuel de procédures, charte de qualité, focus sur le résultat de développement et articulation rendement RH et promotion, allègement et dématérialisation procédures … ) ; soit autant d’éléments s’inscrivant dans une réforme globale qu’aurait au moins dû nous imposer le contexte de COVID.

Bâtir une véritable stratégie de négociation avec les PTF

Les services en charge de la coopération devraient placer au centre de leurs préoccupations la constitution d’équipes de négociation chevronnées avec, idéalement, des profils techniques diversifiés aux fins de mieux tenir compte de la connaissance des pays avec lesquels le Sénégal coopère à travers leur culture et les domaines techniques dans lesquels ils interviennent.

En effet, et pour ne considérer que le cas de la Chine, ce pays est connu pour disposer d’équipes rodées dans la négociation, appuyées par un Bureau économique qui, sous le prétexte de surveiller les exigences juridiques du ministère du Commerce, assure un rôle de fervent défenseur des intérêts des entreprises de l’Empire du Milieu.

C’est pourquoi les objectifs de négociation devraient viser, à chaque fois et quel que soit le partenaire, les transferts de technologies, le renforcement de capacités (formation, emploi local à tous les niveaux de responsabilité, joint-ventures), les investissements de qualité répondant aux besoins réels des populations et les Partenariats publics privés ; ces derniers étant un bon moyen, pour nos pays, d’éviter de s’exposer, dans le futur, à un endettement massif et à une perte de souveraineté.

Oumar El Foutiyou Ba est écrivain, Conseiller en Organisation

[email protected]

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