Une cour, deux procès. Et après ? La fin ? Certainement ! Depuis que le Président Macky Sall a annoncé la libération prochaine de Karim Wade, le condamné emblématique de cette juridiction d’exception, la fin de celle-ci se précise davantage. Surtout que beaucoup voudraient le voir mourir à jamais. Son avenir ne devrait donc tenir que sur un fil.
Karim Wade sera bientôt libéré. D’ici la fin de l’année, peut-être. Depuis cette annonce du président de la République Macky Sall, les choses semblent se préciser de plus en plus. D’aucuns disent même qu’il ne reste que des questions de forme et de temps. Juridiction ayant condamné Karim Wade, l’avenir de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) se pose désormais avec acuité. Certes, ce n’est pas la première fois qu’un tel débat trouve sa place sur l’espace public. Depuis que Karim Wade a été condamné, en mars 2015 à 6 ans de prison ferme et 138 milliards d’amende, la CREI a piqué une grosse somme, seulement perturbée par le procès Tahibou Ndiaye, ancien DG du Cadastre. Beaucoup se demandaient si ce n’est pas la fin de cette juridiction. L’annonce du chef de l’Etat au début du mois vient apporter la réponse.
Tout indique en effet que la CREI devrait mourir de sa belle mort ou alors être oubliée, comme elle l’a été, depuis sa création en 1981 jusqu’au 10 mai 2012, date à laquelle le Président Sall a signé le décret n° 2012-502 portant nomination des membres du Siège, du Parquet et de la Commission d’instruction. Aujourd’hui, ils sont de plus en plus nombreux à s’exprimer en faveur de sa suppression pure et simple. Un magistrat ayant requis l’anonymat ne voit plus l’intérêt de cette cour. ‘’Même si on réforme la CREI, le fond reste le même, c’est-à-dire, la poursuite de ceux qui se sont enrichis de façon illicite. Or, quand on libère Karim Wade, aucun libéral ne sera plus poursuivi. Que servira alors cette cour ?’’, se demande-t-il.
« On n’aurait jamais dû réactiver la CREI »
Pour lui, la meilleure solution est de retourner à l’orthodoxie qui consiste à traduire les délinquants financiers devant le tribunal correctionnel pour détournement de deniers publics. De l’avis de Me Assane Dioma Ndiaye, l’avenir de la CREI n’est pas nécessairement lié à la libération de Karim Wade. ‘’Tout dépend des conditions et des formes que cette libération revêtira. Pour nous, défenseurs des droits de l’Homme, la CREI n’a pas d’avenir. N’empêche, nous dissocions son avenir des péripéties politico-judiciaires qui peuvent intervenir. Mais, nous sommes convaincus que la CREI n’est pas productive, au vu du nombre très infime de décisions rendues et de la crédibilité de celles-ci. On n’aurait jamais dû réactiver la CREI’’, tranche-t-il. S’agissant de la forme, il estime que l’Amnesty, la liberté conditionnelle ou la remise de peine peuvent être des voies de sortie, mais pas la grâce. L’essentiel pour lui est de se conformer à l’avis du Groupe de travail de l’Onu, tout en évitant de fragiliser l’image et les juridictions du pays.
Une telle opinion à l’encontre de la CREI ne date pas d’aujourd’hui chez les droits de l’hommiste. Dès les débuts, les ONG spécialisées dans la défense des droits humains ont montré leur hostilité vis-à-vis de cette juridiction. Un débat assez soutenu a eu lieu d’ailleurs entre pratiquants du droit. Les politiques lui reprochent d’être un instrument de règlement de compte. Les juristes eux se désolent du fait qu’elle viole, d’après eux, les droits des accusés. Les manquements, à leurs yeux, se trouvent essentiellement à trois niveaux : La détention arbitraire prolongée ; le renversement de la charge de la preuve qui fait obligation au prévenu de justifier qu’il n’est pas propriétaire d’un bien identifié comme lui appartenant ; mais aussi les décisions qui ne sont susceptibles d’aucun recours, si ce n’est devant une juridiction de cassation.
Un magistrat : « la CREI n’a aucun sens »
Pourtant malgré les reproches, Me Assane Dioma Ndiaye trouve la CREI clémente à bien des égards. Il estime que les juridictions de droit commun pouvaient prendre en charge toutes les questions de délinquance financière et de corruption, de façon plus efficace. ‘’Le délit de détournement public est même plus sévère que la loi sur l’enrichissement illicite. Des personnes sont condamnées avec des sommes extrêmement importantes, et qui ne sont même pas sous mandant de dépôt. Or, si on était en matière de détournement de denier public, si le montant est supérieur à 250 000 F Cfa, le mandat de dépôt est obligatoire. On se demande qu’elle est, en dernière analyse, l’opportunité de la CREI’’, s’interroge-t-il.
Le juge ayant requis l’anonymat se montre encore plus critique. On sent même, à travers ses propos, de l’amertume d’un corps qui s’est senti trahi et manipulé par les politiques. ‘’La CREI n’a aucun sens. 3/4 des magistrats n’y croient pas. Et ce qui s’est passé donne raison aux autres (détracteurs de la Cour). Ce qui fait mal, c’est que des magistrats ont été instrumentalisés. Et pourtant, ils y croyaient, parce que c’était un engagement du chef de l’Etat’’, fulmine-t-il.
Me Sidiki Kaba avait, en décembre 2015, annoncé sa réforme. On attend toujours. La prochaine fois, ce sera peut-être sa suppression qui sera annoncée.
EnQuête