«Maître Abdoulaye WADE, un Pape du SOPI : artiste ou trublion de la politique ?», par M. Amadou Bal BA

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Une bonne partie de l’histoire politique du Sénégal se confond avec l’itinéraire de maître Abdoulaye WADE, avocat, enseignant, fonctionnaire international, ancien membre du Parti socialiste sénégalais, fondateur du Parti démocratique sénégalais en 1973, député du Sénégal de 1974 à 1980, Ministre d’Etat de 1991 à 1992 et de 1995 à 1995, sous un gouvernement socialiste, et président de la République du Sénégal du 1er avril 2000 au 25 mars 2012. C’est un «Pape du SOPI» (changement, en Ouolof), un opposant de longue date au Parti Socialiste qui a régné sur le Sénégal de 1960 à 2000. Maître WADE a fini par provoquer la première alternance pacifique, consolidant ainsi la démocratie dans ce pays. Le débat est encore très passionné sur l’héritage de maître WADE : quelle trace laissera-t-il dans l’histoire politique du Sénégal ?

Je dois préciser d’emblée au lecteur que cet article n’est ni tendancieux, ni acrimonieux, ni laudateur, mais c’est une tentative pour comprendre les enjeux politiques du Sénégal à l’aube du XXIème siècle. Je ne suis pas ni dans le jugement ou le parti pris, mais je suis fondamentalement attaché à la recherche de la Vérité, telle que la concevait mon maître GANDHI. Car seule la «vérité est révolutionnaire» comme le disait Lénine. Cependant, c’est ma part de Vérité, avec ses zones d’ombre, de lumière et d’incertitude. En effet, la recherche de la Vérité n’est pas aisée, quand on est soi-même militant pour une cause diamétralement opposée au sujet de l’étude et que le débat politique au Sénégal est souvent passionné, irrationnel, sans nuances, et parfois même d’une rare violence. En effet, mon peuple a la critique facile et féroce. Chacun est spécialiste de tout. On peut s’accorder à dire, sans polémique, que maître Abdoulaye WADE, avec les qualités de ses défauts, a contribué à renforcer la démocratie sénégalaise, pour deux raisons. D’une part, il n’y a pas de bonne démocratie, il n’y a que de bons démocrates. L’itinéraire de maître WADE avec ses alliés, depuis 1974, avec des méthodes parfois, contestables, a consisté, globalement, à rechercher l’alternance par des voies pacifiques et démocratiques. D’autre part, et pendant longtemps, le Sénégal était une démocratie sans alternance. M. Abdou DIOUF est un excellent démocrate et qui a su faire preuve de fairplay en acceptant sa défaite en avril 2000. Il est vrai que l’acceptation de cette défaite a été facilitée par la France qui a trouvé un point de chute à M. Abdou DIOUF à l’Organisation internationale de la Francophonie. L’arrivée au pouvoir de maître WADE, dans un pays sous-développé, est un événement qui fera date dans l’histoire du Sénégal et du continent noir. En renversant, après quarante ans de pouvoir socialiste, maître WADE a créée un important précédent dans la construction de la démocratie sénégalaise.

Maître Abdoulaye WADE, que l’on soit son partisan ou adversaire, ne laisse jamais indifférent. Artiste ou trublion de la politique, par ses coups de génie ou la révulsion qu’il suscite de ses adversaires, l’hyperactif et tonitruant maitre WADE est toujours au centre du débat politique, même quand on le croit hors jeu.

Tout d’abord maître WADE, aux facettes multiples, a un côté père tranquille, parfois comique ou ironique. Son sens de l’humour ou de la dérision sont une redoutable arme politique. «Gorgui» ou le «Vieux» comme on l’appelle affectueusement, est un homme rusé (Laye Diombor, le lièvre, comme l’appelait SENGHOR), complexe et plein de paradoxes.

Officiellement, Abdoulaye WADE est né le 29 mai 1926, à Kébémer, mais déclaré à Saint-Louis pour avoir le statut de citoyen français. «En dépit des documents officiels qui situent ma naissance à Saint-Louis, l’ancienne capitale du Sénégal, je suis, en vérité, né au cœur du Sénégal, dans un petit village du bassin arachidier qui a pour nom Kébémer» dit maitre WADE dans un ouvrage «une vie pour l’Afrique», d’où je tire l’essentiel des éléments biographiques. Maître WADE affirme qu’il est issu d’une famille noble avec des traditions guerrières «mon grand-père, Meïssa WADE, guerrier à cheval bardé de ses fusils et de ses sabres, s’en vint, au XIXème siècle, du Gandiol au Cayor et, non loin de Kébémer (…), tua un fauve, une panthère dit-on, qui y semait la terreur, puis s’installa là-bas». Son père, Momar WADE, né en 1885, né à Saint-Louis et déclaré citoyen Français, participa aux batailles de Verdun, de la Somme et de la Champagne. Blessé, il fut hospitalisé, à l’hôpital de Sainte-Hélène à Lyon, et après un congé de trois mois au Sénégal en 1917, il revint en France et fut démobilisé en 1917.

Maître WADE, contrairement à une idée reçue, n’est pas un Ouolof de pure souche ; il est à l’image du peuple sénégalais, un métis. Ainsi, sa grand-mère, d’ethnie Soninké, a connu Faidherbe qui fut gouverneur du Sénégal de 1854 à 1861. Son grand-père maternel, Amadou Lamine DABO, de l’ethnie mandingue, était un marabout marchand d’esclaves. Il a été le marabout de Samory TOURE. Son père, roi dans le Sud de la Guinée-Bissau, qui au cours d’une altercation avec les Portugais, tua un administrateur et vint s’installer en Casamance, à Oudoucar, puis à Toby, à 4 kilomètres de Kébémer. La grand-mère maternelle de maître WADE, s’appelait Fatou DIALLO, donc d’ethnie peule. Elle était la fille d’une « Diargaa » une personne possédant un immense troupeau de vaches. «Le brassage ethnique, courant au Sénégal, constitue, justement, une des spécificités de la société sénégalaise. C’est pourquoi on dit que le Sénégal est une nation préexistant à l’Etat. (…). La création d’un parti ne peut se faire sur une seule base ethnique qui remettrait en cause l’unité nationale» dit maître WADE. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que le gouvernement de maître WADE ait compté le nombre le plus important de ministres issus du Fouta-Toro, d’origine peule, dont M. Kalidou DIALLO, ministre de l’éducation nationale, originaire de mon village, Danthiady.

Maître WADE a été fortement influencé par son père qui est pour lui un directeur de conscience. Son père lui a inculqué des valeurs sans lesquelles l’être humain est considéré comme une «outre vide», à savoir «la dignité, la fierté et le sens de l’honneur, le courage, l’honnêteté, le travail et le goût du travail bien fait, l’altruisme». Son père était conscient de ses droits ; il avait donc souvent des démêlés avec la justice. Ainsi, il s’est battu pendant 53 ans afin d’obtenir une croix de guerre qui lui sera décernée, trois mois avant sa mort. Par conséquent, si maître WADE est avocat et un farouche opposant, un «Pape du SOPI» on peut dire qu’il tient ce caractère de son père.

«Derrière chaque grand homme, se cache une femme» suivant un vieil adage. Un poète français, Gabriel-Marie LEGOUVE (1764-182) est encore plus précis : « Les femmes polissent les manières et donnent le sentiment des bienséances, elles sont les vrais précepteurs du bon goût, les instigatrices de tous les dévouements. L’homme qui les chérit est rarement un barbare ». Abdoulaye WADE se marie en 1963 avec Viviane VERT, née le 13 septembre 1932, à Besançon, (Doubs) qui lui donne deux enfants : Karim et Syndiély. Les couples mixtes, confrontés aux différences culturelles, se fracassent très souvent à un mur d’incompréhension. Mais voila une belle histoire d’amour que le temps a sanctifié depuis maintenant plus de 53 ans. Il est probable que la vitalité intellectuelle de maître WADE ainsi que son dynamisme soient liés à cette relation matrimoniale, et à cette retraite à Versailles, loin des bruits des fureurs et du poids de nos traditions parfois étouffantes. En effet, le professeur Amady Aly DIENG a sa théorie : les couples mixtes, tout en étant fragiles, favorisent la créativité intellectuelle (voir mon sur Amady Aly DIENG).

Maître WADE, avocat à la suite d’un stage entre 1955 et 1957 au barreau de Besançon, et enseignant, est un redoutable tribun maîtrisant parfaitement de la langue française et le Ouolof. L’art suprême du discours, depuis la rhétorique d’Aristote est de séduire, plaire et convaincre. Maître WADE a compris, dans ses armes politiques, que savoir argumenter n’est pas un luxe. L’objectif est, non pas d’avoir raison, mais de convaincre l’auditoire. Contrairement à son fils, Karim, maître WADE a une bonne maîtrise de la principale langue du Sénégal, le Ouolof. En grand stratège et grand communiquant, il a introduit, massivement, des mots Ouolof, dans le langage politique, à commencer par le concept mobilisateur de «SOPI» (changement).

Dans ses qualités d’orateur, il ne faudrait pas oublier que maître WADE a été un universitaire et un enseignant. Diplômé en 1947 de l’école normale de William Ponty, licencié en droit de la faculté de Dijon en 1955, avec un DESS de sciences économiques et de droit public en 1958 et un certificat d’études supérieures de psychologie de la vie sociale en lettres à Besançon, maître WADE a été chargé de cours à l’université de Dakar de 1960 à 1966, assistant à Paris I en 1968, agrégé à la Sorbonne et doyen de la faculté de droit et des sciences économiques à Dakar, à partir de 1970.

Abdoulaye WADE a été franc-maçon et il le reconnaît. «Etudiant à Besançon, j’ai quitté cette ville en septembre 1959, après ma thèse, soutenue le 27 juin 1959, il y a cinquante ans. Lorsque j’étais jeune professeur, un de mes collègues eut souvent à m’entretenir de la maçonnerie », avoue maître WADE. Il déclare avoir adhéré à la franc-maçonnerie par curiosité.

Maître WADE est un président bâtisseur, mais il a une vision monarchique du pouvoir.

I – Une vision audacieuse et contrastée de l’Etat

A – Maître WADE, le pape du SOPI : une lente et méthodique conquête du pouvoir

Maître WADE depuis 1974 a construit une longue marche vers la conquête du pouvoir. Ancien membre du Parti socialiste, il se présente d’abord, comme étant le chef d’un «parti de contribution», puis progressivement, maître WADE, avec un système d’alliance hétéroclite, s’investi comme étant le chef de l’opposition. Il se présente, sans succès aux élections présidentielles de 1978, 1983, 1988 et 1993. Le 15 mai 1993, Abdoulaye WADE, ainsi que trois membres de son parti, sont arrêtés, soupçonnés d’avoir commandité l’assassinat de maître Babacar SEYE, alors vice-président du Conseil constitutionnel qui est chargé de la proclamation des résultats de l’élection législative de février 1993. Ils seront relâchés trois jours plus tard par manque de preuves. En février 2002, alors devenu président du Sénégal, maître WADE accorda la grâce aux trois meurtriers de maître SEYE, et, est soupçonné d’avoir indemnisé la famille de ce dernier.

De 1995 à 1997, maître WADE occupe le poste de ministre d’État auprès du président de la République du Sénégal dans le gouvernement de Habib THIAM.

Orateur doué et fin stratège, face à un Parti socialiste indolent, frappé par l’usure du pouvoir depuis plus de 40 ans et miné par des dissensions internes, encore perceptible, maître WADE mène pour l’élection présidentielle de 2000, une campagne rapide et efficace sous le slogan du «Sopi» parvient à mettre en ballotage le président sortant, M. Abdou DIOUF, avec 31 % des suffrages au premier tour contre 41,3 %. Grâce notamment au soutien des autres candidats et d’une partie des membres du Parti socialiste (M. Moustapha NIASSE et M. Djibi Laïty KA) défait, maître WADE obtient 58,1 % au second tour du scrutin, mettant fin à quarante ans de pouvoir socialiste au Sénégal.

Lors de l’élection présidentielle du 25 février 2007, maître WADE est réélu, dès le premier tour, face à quatorze candidats, avec 55,79 % des voix.

B – Maître WADE, un nationaliste, un président bâtisseur

Dynamique et parfois accusé de mégalomanie, maître WADE a légué au Sénégal, pendant longtemps sommeillant dans une léthargie, de grands projets. Président bâtisseur, durant ces deux mandats, maitre WADE lance la construction de plusieurs milliers d’écoles, fait passer le nombre de collèges de 220 en 2000 à 749, et celui des lycées de 48 à 134 sur la même période, le budget de l’Éducation a quadruplé. Maître WADE lance de grands travaux pour moderniser le pays, tels que la corniche à Dakar et ses hôtels de luxe, le réaménagement du port de Dakar, la construction de l’aéroport international Blaise DIAGNE, et de l’autoroute, le développement du réseau routier secondaire, l’électrification des campagnes. La politique de santé se traduit par la création de dispensaires le doublement du nombre d’hôpitaux, l’ouverture de 18 centres médicaux, l’amélioration des conditions d’accès à l’eau potable et la baisse de la mortalité infantile. Maître WADE développe une grande politique agricole, la Grande offensive agricole pour la nourriture et l’abondance (Goana) qui n’obtient pas les bénéfices escomptés, malgré les nombreuses terres cultivables disponibles.

Ces travaux ont continué sous l’ère de M. Macky SALL et ont été étendus au chemin ferré. On reprochera à maître WADE le détournement d’une partie des fonds levés.

Le nationalisme de maître WADE se manifeste par la création du Monument de la Renaissance. En décembre 2009, maître WADE a comparé son «monument de la Renaissance africaine» aux représentations du Christ dans les églises, soulignant que «le Christ n’est pas Dieu». «Une fois encore, la foi de l’Église a été bafouée par la plus haute autorité du pays», a réagi le cardinal Théodore Adrien SARR, archevêque de Dakar. Maître WADE a présenté ses excuses. L’érection du Monument de la Renaissance Africaine inauguré en avril 2010, ignoré par les touristes et critiqué pour son coût pharaonique, son financement opaque, la participation du régime autocratique de la Corée du Nord.

Maître WADE n’a pas connu que des succès. En effet, il a échoué à pacifier la Casamance aux aspirations sécessionnistes, en négociant officieusement avec une partie du mouvement indépendantiste sans aide des pays voisins. Des troubles liés à la «vie chère» naissent en 2008 alors que le FMI note que «le choc engendré par l’augmentation des prix des aliments et de l’énergie a eu un impact sur la balance des paiements qui représentait 5¼ % du PIB en 2008 ; les problèmes sont aggravés par les retards de paiement du secteur public.

II – Maître Abdoulaye WADE et sa vision contestable de l’Etat

Un des grands héritages des socialistes c’est d’avoir consolidé la construction de la Nation et de l’Etat. Or, maître WADE s’est illustré comme étant celui qui a désacralisé l’Etat et instauré une tentative monarchique.

A – La désacralisation de l’Etat : un affaissement des valeurs éthiques et morales

«Maître WADE a introduit dans la gestion des affaires de la république au cours de son mandat, des pratiques étrangères et irrationnelles tendant à dénaturer et à banaliser nos institutions. Et dans ce cadre précis, aucun domaine de la vie nationale n’a été épargné (…) Nous devons agir pour sauver la république du Sénégal» souligne Mandiaye GAYE.

Maître WADE quand, il était opposant s’est senti menacé dans sa sécurité et a fondé à partir de 1988, une milice d’autodéfense, qui progressivement s’est écartée des règles républicaines. Ainsi, les «Calots Bleus», une milice présidentielle, ont fait la pluie et le beau temps tout au long du régime de maître WADE. Certains nageaient même dans un luxe insolent. Les «calots bleus» ce sont ces hommes qui assuraient la sécurité de maître WADE et de ses ministres et qui s’affichaient de façon très ostensible, et en toute impunité. Ces «gros bras», étaient prêts à «tout» pour leur candidat. Ils constituaient une organisation paramilitaire illégale qui utilise la force pour parvenir à ses fins. Ils sont en d’autres termes les milices d’Abdoulaye WADE et sont impliqués dans des affaires louches, des scandales, voire des agressions et autres crimes. C’est le cas de l’agression de Talla SYLLA, à coups de marteau, dans la nuit du 5 au 6 octobre 2003 ou dans l’affaire Barthélémy DIAS.

Maître WADE a entretenu et encouragé diverses milices religieuses. En effet, le sinistre Serigne Béthio THIOUNE, avec ses sept épouses, a laissé dans l’esprit des Sénégalais un grand traumatisme. Le double meurtre qu’il a commis, l’a conduit devant la Cour d’assises le 26 avril 2012.

Durant sa magistrature, maître WADE a multiplié les signes d’appartenance au Mouridisme. Il est même allé se prosterner devant le chef religieux mouride, puis il s’est s’agenouillé, baissé la tête et tendu les mains pour recueillir les bénédictions de celui-ci. Ce qui avait soulevé d’importantes polémiques autour de la laïcité. «Je suis allé à Touba en disciple mouride, et non en ma qualité de chef de l’État» avance-t-il, sans convaincre. Le président de la République étant un symbole de l’Etat, cette attitude a marqué les esprits. Par ailleurs, ses opposants ont exhumé son passé de franc-maçon qui serait incompatible avec la religion musulmane. Dans un Etat démocratique, laïque, fondé sur la diversité et tolérant, maître WADE a installé la toute puissance de Mourides. Il lui est, en particulier, reproché de favoriser sa confrérie religieuse, celle des Mourides au détriment d’une stabilité religieuse qui faisait la réputation du Sénégal. À Touba, les Mourides ne paient aucun impôt. Ils font de l’import-export et ne sont soumis à aucune taxe. Ils pratiquent une concurrence déloyale tout en bénéficiant des infrastructures payées par tous les Sénégalais. Au Sénégal, le poids des confréries religieuses est important, mais discret. Or, maître WADE n’a jamais caché son affiliation à celle des Mourides, l’une des plus grandes et des plus puissantes du pays. Il a reconnu avoir été élu avec l’appui mouride et s’en est même allé à Touba, leur capitale se prosterner devant le Khalife des Mourides. Ce faisant, il a rompu avec une tradition républicaine qui voulait que les chefs d’État ne fassent pas étalage, publiquement, de ces liens religieux.

C’est sans nul doute son rapport à l’argent, qui a été l’une des critiques majeures à l’encontre de maître Abdoulaye WADE. L’enrichissement rapide d’une minorité n’a rien arrangé. Les coupures d’électricité, incessantes pendant une décennie, ont-elles aussi puissamment nourri la déception. Son fils, Karim WADE a été condamné pour un détournement estimé à 117 milliards de F CFA (178 millions d’euros). La réponse de maître WADE est désinvolte «Foutaises ! Je note qu’au début on parlait d’un patrimoine de 694 milliards de F CFA, et qu’aujourd’hui c’est descendu à 117 milliards. La commission d’instruction a donc effacé 80 % des accusations. Mais même dans les sommes que les juges retiennent aujourd’hui – des comptes en banque imaginaires, des sociétés avec lesquelles il n’a rien à voir, des maisons qui m’appartiennent mais qui lui reviendront lorsque sa mère et moi quitteront ce monde, presque rien n’appartient à Karim. Avec la CREI, demain, un juge peut vous dire : « Monsieur, il paraît que vous avez acheté la tour Eiffel à Paris, démontrez-moi que ce n’est pas vrai ». Pour maître WADE cet argent provient des dons de l’Arabie Saoudite, mais c’est de l’argent à lui : «C’était au début de ma présidence. J’étais allé en Arabie saoudite. Vous connaissez les pratiques africaines et arabes : quand on a un hôte, il faut lui offrir un cadeau. Le roi m’a donné 5 millions de dollars. Mais pour éviter toute confusion, j’ai donné cet argent à mon fils, qui l’a placé. Une partie de l’argent est allée sur un compte à New York, puis à Monaco». Cet argent n’a pas été restitué à l’Etat du Sénégal «Pour quelle raison aurais-je fait cela ? C’est à moi !». Pourtant, maître WADE avait dit que les dons devaient revenir à l’Etat : «S’il (Karim) est membre du gouvernement, à Londres, il était banquier. Il fait partie des cadres du Sénégal. Il est apte à rechercher des financements. L’essentiel c’est de verser cet argent au Ministre des Finances» dit maître WADE dans une interview à TRIBUNE du 28 février 2010.

Le rapport de maître WADE à l’argent est illustré dans l’affaire Mamadou DIA, ancien premier ministre déchu lors de la crise de 1962, et emprisonné pendant 12 ans, et dont il a été l’avocat. M. Amath DANSOKHO, qui a été un compagnon de route pendant un certain temps de maître WADE, est sévère à l’égard de son ancien allié qualifié de «taupe de SENGHOR». En effet, suivant Amath DANSOKHO, «Lors de ce procès : Abdoulaye Wade se prévaut d’avoir été son avocat; mais ça s’est mal passé, parce qu’il (Wade) faisait du renseignement au profit de Senghor». Amath DANSKHO ajoute que suivant Mamadou DIA, maître WADE serait «une fripouille». Il est intéressé uniquement par les gains financiers : «Il (Wade) a demandé de l’argent à Valdiodio (Ndiaye). Il leur (Dia et Valdidio) demandait s’ils avaient un compte en banque en Suisse, alors qu’ils n’en avaient pas».

El Hadji DIAGOLA évoque l’histoire d’un «président fou» qui illustre à merveille les déchirements politiques auxquels est confrontée l’Afrique : la corruption du pouvoir et l’insoutenable cynisme de ses élites. «C’est vrai que le pouvoir rend fou, mais la perte du pouvoir rend encore plus fou» dit Syndiély.

B – La tentative monarchique avortée

Maitre WADE a une conception patrimoniale et familiale de l’Etat. Officiellement, il avait dit qu’il n’avait pas d’héritier : «Ils le disent, mais je n’ai pas d’héritier. Je n’ai jamais dit que mon fils devait me remplacer, ça c’est une invention des mauvaises langues». Mais il n’écarte pas la possibilité pour Karim WADE de prendre le pouvoir : «Mon fils a de grandes capacités. Personne dans l’opposition n’a la compétence économique et financière de Karim»

Karim WADE est l’une des personnalités la plus controversée du paysage politique sénégalais. Karim WADE n’a pourtant jamais dit officiellement qu’il voulait embrasser une carrière politique. Encore moins qu’il voulait succéder à son père, à qui il ressemble tant. Cependant, son ascension fulgurante jusque dans les plus hautes sphères de l’Etat est pourtant de nature à alimenter tous les soupçons. Nommé conseiller à la présidence peu après la victoire de Wade en 2000, il est en charge des grands travaux lancés par son père. Il est alors inconnu des Sénégalais. Ses attributions vont progressivement s’étoffer jusqu’à devenir un «Premier ministre bis», voire un «président bis», ou encore «un Ministre du Ciel et de la Terre» comme le soulignent les observateurs politiques.

Maître Abdoulaye WADE a écarté, progressivement, les adversaires potentiels de son fils. M. Idrissa SECK, maire de Thiès, directeur de campagne en 2000 et artisan de l’alternance, Ministre d’Etat, puis Premier Ministre, est subitement devant la justice qui s’intéresse à la gestion des «chantiers de Thiès», des grands travaux menés dans la ville dont il est le maire. Et le 23 juillet 2005, soupçonné de malversations, M. SECK reste sept mois derrière les barreaux. Libéré en février 2006, il défie Wade à la présidentielle de 2007, puis c’est la disgrâce : «Tu sais que les grands bandits ont un code d’honneur, ils s’y tiennent toujours. Ils ne se battent qu’au moment du partage du butin» dit maître WADE.

Maître WADE a aussi écarté, provisoirement, du chemin de la présidence, M. Macky SALL, qui l’a finalement battu en 2012, provoquant ainsi une nouvelle alternance. En effet, M. Macky SALL, actuel président du Sénégal depuis 2012, a été un ancien dauphin de maître WADE pendant plus de vingt ans. Ex-homme de confiance d’Abdoulaye WADEM. Macky SALL, avec un exceptionnel parcours, entre au gouvernement en 2001 comme ministre des Mines. Deux ans plus tard, il passe à l’Intérieur. Avant d’être nommé Premier ministre de 2004 à 2007. En bon géologue, M. SALL fait son trou, en toute discrétion.

En 2007, il est directeur de campagne du président Wade. Il prend de plus en plus d’importance, est de plus en plus visible. Trop peut-être. Après la réélection de son mentor, il n’est pas reconduit à la Primature et décroche comme lot de consolation, la présidence de l’Assemblée nationale.

En 2008, M. Karim WADE est en pleine ascension politique, ses réseaux s’activent pour le projeter en première ligne. En 2006, Karim crée «La Génération du Concret», une association que ses détracteurs présentent comme un nouveau parti politique en puissance pour accompagner ses présumées ambitions présidentielles. M. Macky SALL sort de sa réserve naturelle et convoque M. Karim WADE, le fils du président WADE, devant les députés pour qu’il s’explique sur les accusations de malversations à l’agence nationale de l’organisation de la conférence islamique. Apparemment, sans en avoir averti le chef de l’Etat. C’est un coup de tonnerre. Le président WADE en homme politique aguerri sent le piège tendu à son fils. Les débats à l’assemblée se font très souvent en Wolof une langue que Karim WADE est loin de maîtriser comme son père. La convocation du fiston est annulée. La disgrâce du dauphin commence. Le poste de numéro 2 du parti présidentiel, qu’il occupe, est supprimé. Le camp Wade lui demande de démissionner du perchoir. Il le fait en novembre 2008 mais entre aussitôt en «résistance républicaine» en formant son parti, l’Alliance pour la République (APR).

M. SALL rejoint l’opposition, soigne ses relations avec les bailleurs de fonds. Se pose comme le candidat le plus sérieux à la succession de maître WADE. Comme son ex-mentor, il sait qu’une élection se gagne sur le terrain. Il multiplie les déplacements en province et auprès de la diaspora. Malgré la contestation de l’opposition politique et civile, la présence au scrutin présidentiel de WADE est validée par le Constitutionnel le 27 janvier 2012, contrairement à celle Youssou N’DOUR qui s’alliera par la suite avec Macky SALL. À l’issue du premier tour, lors duquel il vote sous les huées d’opposants, il arrive en tête avec 34,81 % des suffrages exprimés, mis en ballotage par son ancien Premier ministre, M. Macky SALL alors qu’il espère une large victoire dès le premier tour. Maître WADE est battu le 25 mars 2012 par M. SALL, qui recueille 65,80 % des voix. Maître WADE félicite le vainqueur au soir du second tour, comme l’avait en 2000 Abdou DIOUF et quitte ses fonctions présidentielles le 2 avril 2012, pour aller s’installer à Versailles.

Dans une interview accordée à I-Télé du 26 octobre 2016, le président Macky SALL a tiré le bilan de cette collaboration avec maître WADE : «ce n’est pas mon ennemi. Il (maître WADE) a été mon adversaire. Je l’ai vaincu. C’est un élève qui a vaincu le maître. Il a été mon maître en tant que leader politique. (…). C’est un leader charismatique qui a marqué l’histoire politique du Sénégal. Ce n’est pas un vain mot si on l’a appelé le Pape du SOPI. De ce point de vue, je ne renie rien sur mon engagement à ses côtés qui a été un engagement total et un engagement sincère. (…). Il m’a permis d’avoir l’expérience d’Etat à ses côtés. Cela je le reconnais et je ne regrette rien du tout». Le président SALL ajoute ceci : «à un moment donné, nous avons divergé sur les visions et les principes. Malheureusement, cela a entraîné ma destitution à l’assemblée nationale, mais ce n’est pas le plus important et cela a entraîné ma sortie du PDS et j’ai rendu tous les mandats que j’avais obtenus à travers ce parti et la rupture était consommée. J’ai pris mon destin en mains».

Maître WADE, qui a maintenant 91 ans, affirme que sa famille est bénéficiaire d’une longévité de la vie. Ainsi, son père est mort, en 1984, à l’âge de 99 ans. Sa grand-mère, née en 1822, est décédée en 1947, à l’âge de 125 ans.

Aussi, ceux qui avaient annoncé, hâtivement, la mort de maître WADE en ont pour leur frais : «Ceux qui souhaitent ma mort qu’ils se rassurent, je me pencherai sur leur tombe. Je suis bien portant. Quand je sentirai que mes forces m’abandonnent, je ne me ferai pas invité, parce que je saurais que j’ai accompli ma tâche» dit –il.

Bibliographie sélective

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AMATH (Amadou), Karim Wade : une tentation dynastique, 26 août 2011, 6 pages ;

AMATH (Amadou), Wade ou la descente aux enfers du «Sénégal qui gagne», éditions du Ceddo, 2012, 44 pages ;

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COULIBALY (Abdou Latif), Wade, un opposant au pouvoir : l’alternance piégée ?, Dakar, Sentinelles, 2003, 300 pages ;

COULIBALY (Abdou, Latif), Sénégal, affaire maître Sèye, un meurtre sur commande, Paris, L’Harmattan, 2006, 220 pages ;

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DIA (Fadel), Wade-mecum ou la Wadisme en quinze mots clé, Paris, L’Harmattan, 2010, 188 pages ;

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Paris, le 4 février 2017, par M. Amadou Bal BA – http://baamadou.over-blog.fr/

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