Président Wade, posez le premier acte de grandeur de votre longue gouvernance ! Par Mody Niang

Date:

Monsieur le Président, le 19 mars 2000, dans un élan et un enthousiasme sans précédent dans l’histoire politique du Sénégal, vos compatriotes vous portaient à la magistrature suprême, à une confortable majorité. Le 29 avril 2001, ils vous renouvelaient leur confiance en vous donnant la majorité absolue à l’Assemblée nationale. Le 22 janvier 2001, ils votaient à une majorité écrasante le projet de Constitution que vous lui aviez soumis. Même le Parti socialiste défait avait appelé à voter la Constitution.Vousdisposiez ainsi de tous les moyens de gouverner à votre convenance. Il devenait même incongru de vous critiquer. Ceux et celles qui s’y risquaient étaient promptement et sans ménagement remis à leur place par vos inconditionnels alors très nombreux. « Bayyi léen goor gi mu ligéey !» (« Laissez le vieuxtravailler ! »), leur rétorquaient-ils lors des émissions interactives wax sa xalat (donner son point de vue sur la question du jour).

Le peuple de l’Alternance et même les autres, qui n’avaient pratiquement plus le droit à la parole, étaient derrière vous, prêts à vous appuyer dans l’exercice de votre importante nouvelle fonction. Ils étaient légitimement en droit de s’attendre à ce que vous remettiez rapidement le pays sur les rails du développement et lui ouvriez les portes de l’émergence économique. Á la fin de votre mandat, vous auriez 81 ans au moins et devriez, la sagesse aidant, prendre votre retraite et organiser une élection libre et démocratique pour votre succession. Vous deviendriez alors incontestablement un second Mandela et le Sénégal vous en saurait gré.

Malheureusement, Monsieur le Président, vous alliez rapidement et sans état d’âme tourner le dos à vos engagements de 26 ans et enfourcher le cheval boiteux et pitoyable de la politique politicienne, électoraliste et folklorique, de la manipulation et de la ruse, de l’achat des consciences, etc. Votre gouvernance informelle, tatillonne et profondément injuste privilégie le népotisme, la médiocrité, les promotions faciles à la tête du client. En particulier, tout au long de votre magistère, vous vous êtes employé à distribuer à tout bout de champ l’argent du pauvre contribuable par dizaine, voire par centaine de millions de francs Cfa à des compatriotes qui sont, pour nombre d’entre eux, déjà fort nantis. Vous avez fait montre de la même générosité sélective avec toutes les réserves foncières dela Régionde Dakar. Vous les avez déclassées et morcelées pour en distribuer les parcelles aux mêmes personnes ciblées, au détriment de la grande majorité : les gens d’en bas qui n’ont jamais retenu votre attention. Ainsi, vous avez attribué des parcelles de 200, 300, 400,500 m2, parfois des hectares aux membres de votre famille nucléaire, à vos proches parents, à vos ministres et députés et aux autres membres de la mouvance présidentielle, aux magistrats, aux officiers supérieurs et généraux des Forces de Sécurité, aux chefs religieux, etc. Or, nombre de ces bénéficiaires de vos largesses coupables, qui sont déjà propriétaires de plusieurs maisons, s’empressent de vendre à prix d’or leurs parcelles. Pendant ce temps, le grand nombre composé de Sénégalais moyens, y compris de nombreux jeunes qui souhaitent fonder un foyer, courent derrière une parcelle introuvable.

Il convient de signaler aussi, Monsieur le président, que tout au long de vos douze ans de gouvernance meurtrie,la Sociétéimmobilière du Cap-Vert (Sicap) etla Sociéténationale des Habitations à loyer modéré (Snhlm) n’ont construit aucun logement social. Vous avez préféré attribuer, dans des conditions nébuleuses, des milliers de m2 à des « investisseurs » venus d’on ne sait où et à quelque deux ou trois compatriotes qui construisent des villas dont les prix sont hors de portée du Sénégalais moyen, et même des hauts fonctionnaires. Quel Sénégalais a-t-il les moyens, en effet, d’acheter comptant une villa de 200 à 300 millions ou payer mensuellement 500 à 700000 francs Cfa ?

Le forfait (connu) le plus insoutenable de votre gestion foncière, est sans conteste l’attribution à ce Mbackiou Faye, de30 hectaresde la réserve foncière de l’Aéroport international Léopold-Sédar-Senghor, pour financer la construction de ce fameux monument de la « renaissance » africaine, au prix de 14 milliards de francs Cfa. Monsieur le Président, vous ne nous ferez jamais croire que les Coréens qui ont construit ledit monument ont reçu la somme officiellement déclarée. En outre, les seuls18 hectaresont été vendus à l’Ipres pour 27 milliards de francs. Où sont passés les 13 milliards restants ? Ce n’est pas tout, monsieur le Président. Les observateurs les plus sérieux estiment la valeur des30 hectaresoctroyés à votre protégé et acolyte à au moins 50 milliards. Qu’est devenu tout cet argent ? Monsieur le président, vous avez la chance inouïe de régner sur un peuple indifférent (ou presque) à tout. Dans tout autre pays à démocratie avancée, vous seriez destitué pour ce grave forfait ou, tout au moins, sévèrement sanctionné par les électeurs.

Monsieur le président, vous considérez que tout vous appartient dans ce pays : le budget, le patrimoine foncier, immobilier, etc. Et vous en disposez comme bon vous semble, en piétinant s’il y a lieu les lois et règlements que vous avez pourtant pour mission de défendre. C’est ainsi que vous vous êtes permis de « donner » les véhicules de l’Assemblée nationale aux députés dont le mandat arrive à expiration, sans tenir compte du fait que cette institution bénéficie quand même de l’autonomie de la gestion de son budget et de tout ce qui relève de son patrimoine mobilier et immobilier. Les véhicules de la présidence connaissent le même sort : ils sont distribués à tour de bras et en priorité à des chefs religieux.

Monsieur le Président, vous donnez l’impression, au quotidien, de vous employer à rabougrir les institutions que vous avez pourtant solennellement juré de défendre. En particulier, vous avez défiguréla Constitutionen la faisant modifier une quinzaine de fois en dix ans, pour des motivations proprement politiciennes et électoralistes. Vous régnez sur l’Assemblée nationale et obtenez de vos députés qu’ils votent les lois les plus scélérates comme cette inique Loi « Ezzan ». Sous votre magistère, le palais dela Républiqueest devenu tristement « le poulailler de la république ». La mythique Salle des Banquets voit défiler au quotidien de minables courtisans, y compris des transhumants et des imams venus vous inonder de louanges pour mériter les prébendes que vous leur distribuez en retour. Le partage d’un « butin » a d’ailleurs donné lieu plusieurs fois, et sur place, à un pugilat entre courtisans.

L’importante fonction que vous incarnez depuis le 1er 2000 n’a pas été épargnée. Vous l’avez terriblement dépréciée, comme vous l’avez fait de la fonction ministérielle. Vous nous avez fait l’injure de propulser ministres dela République des hommes et des femmes ternes, sans relief, parfois n’ayant jamais travaillé de toute leur vie et qui éprouveraient toutes les peines du monde à trouver un poste d’attachés de cabinet dans un gouvernement normal. Vous avez vous-même reconnu tout récemment, en plein Conseil des Ministres, que nombre de vos ministres sont techniquement limités, mais que, sur le terrain – et c’est cette seule considération qui retient votre attention –, ils pèsent lourd. C’est ainsi que vous vous êtes séparé sans état d’âme de ministres aussi compétentes et aussi intègres que mesdames Éva Marie Colle Seck et Soukeyna Ndiaye Ba, sous le seul prétexte qu’elles ne sont pas politiques.

Ce qui est plus insupportable encore, Monsieur le président dela République, c’est le nombre impressionnant de ministres d’État qui siègent au Conseil des Ministres. Bécaye Diop, ministre d’État ! Aïda Mbodj, ministre d’État ! La délinquante Awa Ndiaye, ministre d’État ! N’importe qui peut devenir finalement ministre d’État dans votre gouvernement ! Je fais table rase des innombrables et insignifiants ministres conseillers, dont la plupart sont en divagation, pour paraphraser un collègue aujourd’hui disparu.

Il y a aussi que, Monsieur le Président, au lieu d’être le « Père » de la Nationet au-dessus de la mêlée politicienne, vous êtes le président le plus partisan que notre pays ait jamais connu. Il ne doit pas d’ailleurs exister en Afrique, un seul président qui le soit autant que vous. Pourtant, à l’occasion de la première visite de courtoisie que vous fîtes au Khalife général des Tidianes à Tivaouane, en votre qualité de tout nouveau président de la République, vous déclariez, rassurant : « J’ai été président du Pds, mais présentement, avec les nouvelles charges que le peuple m’a confiées, j’ai un autre parti, le Sénégal. » Il ne fut rien malheureusement de toute cette promesse. Vous vous présentez à nous, au contraire de votre déclaration, comme un politicien pur et dur, qui n’a d’yeux et d’oreilles que pour sa famille, son Parti et sa mouvance. Il existe pour vous deux Sénégal : un qui est avec vous et applaudit à tout ce que vous entreprenez, et un autre que vous considérez comme ennemi, parce que n’agréant pas votre manière singulière de gouverner. C’est ainsi que, le 29 mai 2008, vous avez lancé une sévère mise en garde contre tous les Sénégalais qui seraient tentés de se rendre au lancement officiel des Assises nationales prévu pour le lendemain. Vous avez tenu à préciser que c’était l’occasion pour vous de compter vos amis et, naturellement, vos ennemis.

Monsieur le Président, je ne passerai surtout pas sous silence votre parole qui ne vaut plus un sou. Dans les hameaux les plus reculés, votre wax waxeet alimente toutes les discussions. Vos promesses n’engagent plus personne. Dès que vous avez fini d’en faire et Dieu sait que vous en faîtes beaucoup, la réaction immédiate est celle-ci : « Waxi Wadd du ma ci duma sama doom ». En d’autres termes, je ne punis pas mon enfant sur la base d’une simple parole du président Wade qui n’a plus aucun crédit. C’est triste, très triste Monsieur le Président car, la parole d’un homme de votre âge et de votre fonction devait tenir lieu de contrat écrit, comme dans l’Afrique traditionnelle.

Monsieur le Président, vos courtisans s’empresseront de me reprocher de ne voir que du noir dans votre longue gouvernance et de faire table rase de vos réalisations. Je ne les ai jamais tues, Monsieur le Président. J’en ai toujours fait état, aussi bien dans mes contributions que dans mes livres. Mais contrairement à vos courtisans qui tombent d’extase devant elles, je les apprécie la tête froide. J’apprécie en particulier ces fameuses infrastructures qu’ils sont prompts à nous jeter toujours à la figure par rapport à leur pertinence, à leur qualité, à leur coût, à leurs retombées sociales et surtout à la transparence qui entoure leur réalisation. De ces derniers points de vue, il y a énormément de questions à se poser. Je ne m’y attarderai pas d’ailleurs outre mesure, Monsieur le Président, me contentant de renvoyer mes compatriotes aux mille scandales qui entachent votre nauséabonde gouvernance et, en particulier, aux différentes gestions discrétionnaires et nébuleuses de votre distingué fils.

Monsieur le Président, votre passif est lourd, très lourd et efface pratiquement votre maigre actif. Il disqualifie votre candidature à l’élection présidentielle du 26 février 2012. Á supposer même que vous ayez bien travaillé et ne traîniez pas de lourdes casseroles, cette candidature ne serait pas acceptable. Elle ne le serait pas, même si elle était recevable devant le Conseil constitutionnel. Á 88 ans, votre avenir est derrière vous. Robert Mugabe excepté, vous êtes le plus vieux chef d’État du monde. Vos courtisans, soucieux seulement de continuer de jouir des prébendes que leur assure votre  nébuleuse gouvernance, vous trompent en vous présentant comme un candidat idéal, un candidat qui « se porte merveilleusement bien », qui « est en meilleure forme qu’un adolescent de 18 ans » et « peut rester assis huit heures, sans se lever une seule fois ». Monsieur le Président dela République, vous n’êtes quand même pas un extra terrestre ! Nous avons connu l’homme fringant et alerte que vous étiez dans les années 80. Cet homme-là n’a plus rien à voir avec celui que nous voyons tous les jours à la télévision nationale. Monsieur le Président, vous avez manifestement perdu de votre superbe. Votre voix est à peine audible, votre démarche de plus en plus mal assurée. Cette jambe gauche qui s’écarte de la droite et que vous traînez lourdement n’échappe à personne. Vos courtisans savent parfaitement que vous êtes au bout du rouleau et appartenez désormais au passé. Vous avez beau essayer de forcer le destin, vous n’y arriverez pas. Malgré tous les efforts que vous serez appelé à déployer, les lois de la nature s’imposeront inéluctablement à vous. Prenez donc votre courage à deux mains, Monsieur le Président dela République, et jetez l’éponge ! Vous arriverez ainsi peut-être à sauver au moins quelques meubles.

Il est vrai que vous craignez comme la peste de devoir quitter le pouvoir, à cause des scandales gravissimes qui vous éclaboussent, votre fils et vous-même. Faites confiance à la magnanimité de vos compatriotes qui ne mettront pas, en tout cas pas pour longtemps, un homme de 90 ans en prison ! Il est vrai que nous ne ferons pas montre de la même mansuétude avec votre distingué fils.

Il vous appartient malgré tout, Monsieur le Président, pour peu que vous soyez croyant, de remercier Dieu de vous avoir permis de vivre 88 ans et surtout d’avoir présidé aux destinées du Sénégal sans encombre pendant douze longues années. Vous n’auriez jamais dû solliciter un second mandat en 2007. Trois seuls forfaits parmi de nombreux autres, la rénovation de l’avion de commandement, la gestion calamiteuse de vos fonds spéciaux – dont vous partagez la lourde responsabilité avec votre ancien Ministre d’État Directeur de cabinet – et les 15 millions de fonds taïwanais auraient dû vous en empêcher. Ils auraient même pu vous coûter la démission forcée et, peut-être même, vous faire traduire devantla HauteCourde Justice pour Haute trahison. L’Affaire du Watergate est une peccadille par rapport à l’un quelconque des dizaines de forfaits qui ont gravement pollué votre longue gouvernance.

Rendez donc grâce à Dieu, Monsieur le Président, de n’avoir pas connu le sort de Richard Nixon ! Posez le premier acte de grandeur de votre gouvernance en renonçant à votre candidature inédite, et en laissant le peuple sénégalais choisir librement votre successeur, comme il vous avait porté librement à la magistrature suprême le 19 mars 2000 ! Ce dernier sursaut ne vous vaudra sûrement pas le Prix Nobel ou quelque autre prix que ce soit, comme le laisse entendre bizarrement Souleymane Jules Diop. Il ne constituera surtout pas une sortie honorable pour vous, car ce sera déjà trop tard. Tout au plus, nous incitera-t-il à être plus indulgents avec vous, ce qui ne nous empêchera pas cependant de passer au crible votre gestion et de lui faire révéler tous ses secrets, afin que nul n’en ignore.

 

Mody Niang, e-mail : [email protected]

 

 

 

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

DEPECHES

DANS LA MEME CATEGORIE
EXCLUSIVITE

Rapports des corps de contrôle : La saga des cleptomanes (Par Marvel Ndoye)

Au fur et à mesure que les rapports des...

Viatique du 03 mai 2024 : Compétence…(Par Dr Massamba Gueye)

« La compétence n’a ni âge, ni religion, ni ethnie,...

Introduction des langues locales à l’école – Approche concrète (Par Dr Dalla Malé Fofana)

Il est souligné dans le programme DiomayePrésident « l’intégration effective...