Après la rengaine de la banalisation des institutions, des atteintes à notre identité historique et des innombrables détricotages constitutionnels, la Commission Nationale de Réforme des Institutions vient à son heure.
Il est vrai que les alternances réalisées sans heurt et dans la sérénité et la bonne dynamique née des Assises Nationales avaient déjà démontré l’attachement profond du peuple sénégalais aux principes de démocratie et de paix.
Il n’en demeure pas moins que chaque compatriote, doit faire face à ce qu’il peut, ajouter sa pierre à l’édifice et avoir des valeurs que d’autres après lui serviront pour que notre pays ne décline.
Il s’agit modestement dans le cadre de la réforme des institutions de soumettre à votre sagacité les dix propositions suivantes.
1 sortir du régime présidentiel
Ces dernières années, le Sénégal a vécu sous le règne d’un Pouvoir Personnel Individualisé, avec un Président, véritable chef d’orchestre, tout puissant, touche à tout, exerçant un pouvoir omniprésent.
Aujourd’hui, il faudrait militer pour la thèse d’une Présidence vouée à la modestie, à la pratique d’une Présidence distanciée.
Il faudrait un Président-arbitre qui exerce à la fois la fonction d’autorité dans les domaines désignés par le texte constitutionnel et une fonction d’arbitrage, de conseil et de conciliation d’où l’urgence de :
-répertorier les structures et les tâches qui ne devraient pas être logées ou remontées à la Présidence pour les confier au Gouvernement, à l’Assemblée nationale, à d’autres Organismes internationaux.
L’Inspection Générale de l’Etat par exemple ne devrait plus pour des raisons d’indépendanceet d’efficacité localiser à la Présidence de la République, ni dépendre d’elle.
Il s’agit de déléguer plus de pouvoirs et d’obliger les ministres à mieux se saisir de leursdossiers.
2 instaurer le régime parlementaire
Le Sénégal a une forte tradition parlementaire. Ce système de contrôle et de collaboration entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif a notre faveur. Nul n’a cependant besoin de se livrer à de savantes analyses pour savoir dans quel état de déclin, de faiblesse, l’exécutif enfonce depuis longtemps le Parlement.
Mais comment comprendre aussi que les députés acceptent de fragiliser leur propre institution en élisant leur Président pour un mandat renouvelable tous les ans ?
La politique politicienne n’a pas sa place au sein d’une institution majeure dont le Président est appelé en cas de démission, d’empêchement ou de décès à suppléer au Chef de l’Etat .Il est plus urgent que nécessaire de revenir à un mandat de 5 ans. Toute incertitude pourrait ouvrir la voie à une éventuelle crise politique.
Que se passerait-t-il si la fin du mandat du Président de l’Assemblée nationale coïncide avec les hypothèses énumérées à l’article 39 ?
Il faut instaurer un régime parlementaire fort en renforçant les moyens d’action de l’Assemblée nationale pour pouvoir:
-exercer un contrôle effectif du gouvernement, vérifier l’activité de chaque département officiel et convoquer tous les témoins à entendre.
-donner son avis sur les nominations des Présidents ou Directeurs dans l’Administration Centrale ou entreprises nationales sur les récompenses des amitiés ou des fidélités parti- culières pour mieux couronner la compétence et le caractère.
-faire en sorte que la représentation nationale ait la primeur des programmes des ministres L’évolution médiatique tend de plus en plus à transplanter l’essentiel du débat, de la tribune de l’Assemblée nationale aux studios de radios et de télévision.
-ouvrir les Commissions à la presse et recourir le plus souvent à des Commissions parlementaires d’enquête sauf si les faits donnent lieu à des poursuites judiciaires (respect de la séparation des pouvoirs).
L’Assemblée nationale doit en effet pouvoir exercer sa fonction de contrôle. Les Commissions d’enquête doivent jouer leur rôle en évitant d’être tributaires des informations que le gouvernement veut bien leur donner.
-renforcer les moyens de travail individuels et collectifs des parlementaires en leur permettant de s’assurer chacun le concours d’un assistant parlementaire .Compte tenu des charges inhérentes à la fonction, cela n’a rien d‘excessif. Ainsi 150 assistants parlementaires, au moins de niveau BAC + 4, choisis librement chacun par chaque député et par contrat dont la durée dépendra du mandat ou de la volonté du député.
-opérer à une réforme drastique des services de documentation auprès desquels on doit trouver autre chose que de l’information de base, des idées reçues, philosophiques et juridiques mais une information qui prend en considération l’évolution des idées économiques et sociales. Le législateur politique doit être en mesure comme l’exécutif, d’exercer un travail de commande intellectuelle et auprès d’universitaires ou d’experts.
-procéder à la traduction simultanée puisque le français étant la langue de travail utiliséedans l’hémicycle .Comment alors fabriquer des lois ou contrôler efficacement l’action gouvernementale si certains députés ne savent ni lire, ni écrire en français ?
Pourtant il est exigé de tout candidat à l’élection présidentielle de savoir lire, écrire et parler la langue officielle (article 28).
-supprimer l’élection des députés sur liste nationale: tout député doit être rattaché à une circonscription et rendre compte à ses électeurs et non à son parti.
En contrepartie, un député nommé ministre pourrait en cas de perte de son poste ou de dé- mission, retrouver son mandat de député dans un délai de 6 mois.
3 redéfinir la place et le rôle du gouvernement
Le Premier Ministre « Primus inter pares » doit conduire la politique de la Nation. Il doit être à la tête d’un gouvernement resserré où il n’a plus à cohabiter avec des ministres-conseillers nommés par le Président. Ces derniers devraient perdre « leur qualificatif » de ministre.
En effet, par définition, un ministre est en charge d’un ministère pluridirectionnel.
Le Premier Ministre doit avoir la responsabilité de l’administration.
Il doit être tenu de faire sa déclaration de politique générale au Parlement un mois après sa nomination.
4 favoriser une justice indépendante, moderne, accessible à tous les citoyens et rendue dans des délais raisonnables
On pourrait inscrire dans notre Constitution, un titre libellé « Justice ». En effet, la Justice estinhérente aux droits fondamentaux. Elle est encore l’élément-clé des échanges internationaux et de tout développement économique durable.
Il faudrait réformer :
-le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) en affirmant son existence constitutionnelle
Il nous paraît plus simple et plus efficace que ses membres soient issus de la magistrature et des professions juridiques et judiciaires.
Le Chef de l’Etat n’aurait plus en être le Président. Le Garde des Sceaux n’y serait que le représentant de l’Exécutif. Et c’est au CSM qui serait confié la gestion de l’ensemble du corps des magistrats, les services compétents placés sous son autorité.
-le Conseil Constitutionnel dans le mode de désignation de ses membres et l’élargissement de sa saisine à tous les justiciables.
Aujourd’hui les 5 membres du Conseil Constitutionnel sont nommés de façon discrétionnaire par le Président de la République (article 89).
Pourquoi pas une nomination des membres par le Président de la République (2), le Président de l’Assemblée Nationale(2) et le Conseil Supérieur de la Magistrature (1).
On devrait aussi empêcher tout membre du Conseil Constitutionnel de siéger dans un gouvernement s’il a participé à la régularité du vote, à la proclamation des résultats et au recueillement de la prestation de serment du Président de la République nouvellement élu.
Enfin, peut-on abolir la peine de mort dans ce pays et continuer à maintenir les condamnations aux travaux forcés ?
On ne peut qu’assimiler ce type de condamnation à des survivances coloniales ou en tout casà des pratiques surannées.
5 constitutionaliser les questions de l’environnement
Soit dans le préambule de la Constitution, soit dans un article indiquant que le Sénégalœuvre pour la protection durable et l’amélioration de l’environnement.
Ainsi, notre pays pourra être à l’avant-garde sur cette question au niveau continental. On se réjouit d’avance que le qualificatif « environnemental » soit rajouté dans l’intitulé du Conseil Economique et Social.
Par ailleurs, il s’agit de reconnaître à chaque citoyen sénégalais le droit de vivre dans un environnement normal et équilibré. Aujourd’hui, l’enjeu est aussi la santé environnementale : les risques de la consommation, d’hygiène alimentaire. ..
6 accorder une place primordiale aux régions
Notre souhait le plus ardent est que la réforme institutionnelle accorde une place majeureau développement des régions.
Il faut rappeler avec insistance qu’un pays n’est économiquement fort que s’il repose surdes régions puissantes, prolongement de l’Etat dans l’aménagement de l’espace et de l’environnement.
La question est de savoir si tout pourrait se faire sans le plan, lieu et moyen des ces interven-tions. La région et le plan sont incontestablement indissociables.
Il est devenu urgent de révolutionner nos collectivités locales en rompant avec la traditiontutélaire de l’Etat ou en l’atténuant pour penser en termes de proximité le développement.
Il s’agit de faire du Sénégal un Etat unitaire décentralisé.
7 modifier les articles 38, 42 et 53 de la Constitution du 07 janvier 2001
L’article 38 de la Constitution permet au Président de la République d’être en même tempsChef de parti tout en incarnant l’unité nationale.
Il faudrait sortir de « cette anomalie archaïque » en imposant expressément une incompatibilité entre la charge du Président de la République et de Chef de parti afin de respecter lesuffrage universel direct.
Ce système favorise inéluctablement l’instauration d’un Etat-Parti ou de Parti-Etat alors qu’il s’agit avant tout de restituer l’Etat à la République.
Enfin, attraire le parti du Président en justice revient à engager dans ce cas la responsabilité du Chef de l’Etat en sa qualité de leader d’un parti (à savoir d’une association).
L’article 53 permet au Président de la République de déterminer la politique de la Nation. A l’évidence, on voit que cette disposition serait difficilement applicable en cas de cohabitation politique.
Le Président doit donc définir les grandes orientations politiques et le gouvernement conduire la politique de la Nation. Le Premier-Ministre est d’ailleurs responsable devant l’Assemblée nationale.
L’article 42 fait du Président de la République, le Protecteur des Arts et Lettres du Sénégal. La pertinence de ce texte nous paraît discutable au même titre que l’idée d’instaurer en son temps un Bureau des Droits de l’Homme à la Présidence.
8 lutter contre le cumul des mandats
En accumulant les mandats, on délaisse inévitablement l’un ou l’autre ou tous à la fois.
Si on veut favoriser le renouvellement de la classe politique et la promotion des femmes, on doit supprimer le cumul des mandats d’où la nécessité de :
-limiter tous les mandats électifs à 5 ans et renouvelable une fois
-interdire à tout ministre d’exercer un mandat local : être ministre, c’est une fonction de tout temps.
9 reconnaître les candidatures indépendantes
Les politiques ne peuvent demeurer les seuls possesseurs de la plénitude de l’action. Des concitoyens longtemps ravalés à la condition d’instrument quelle que soit leur valeur et leur compétence ne l’acceptent plus.
Désormais, le peuple sénégalais entend signifier qu’il ne serait plus là pour recevoir l’action, la subir sans en être en tous partis, les collaborateurs.
Si dans un pays de tempérance comme le nôtre, résolument démocratique et allergique aux extrêmes, un peuple a crié dans la rue sa colère une journée de 23 juin 2011, c’est aussi grâce à la force de mobilisation de la société civile.
Or aujourd’hui, la constitution de groupes de parlementaires non-inscrits ou apparentés est impossible.
La démocratie gagnerait à reconnaître les candidatures indépendantes tant au niveau national que local. La réforme de la Constitution ne saurait occulter le scénario d’un candidat indépendant au pouvoir.
10 plafonner et contrôler les dépenses électorales par le Conseil Constitutionnel
A chaque campagne électorale, les choix politiques sont brouillés par l’utilisation massive de moyens financiers et matériels. La tyrannie de l’argent fait la décision au détriment du débat d’idées ou de l’affirmation des convictions profondes.
Les méthodes clientélistes pour se faire élire encouragent ainsi un processus de marchandisation de l’électeur.
On ne saurait plus voir plus triste signe d’un système démocratique devenu trop mercanti- liste, immoral et faussé d’avance dans ses modalités par l’absence d’égalité entre les candidats. Cela n’est pas sain car loin de protéger la démocratie, il tend à l’affaiblir.
Il est urgent de moraliser la vie politique, car l’impact des moyens financiers prend des dimensions démesurées.
Pour la transparence dans le financement des partis politiques, l’origine des fonds et les modalités des dépenses doivent être connues par le public.
Les budgets de campagne doivent être publiés de manière détaillée. Par ailleurs, la limitation des dépenses électorales pour un montant global des crédits devrait être inscrite dans une loi de finances. De même, pour le contrôle du financement des partis politiques, il faudrait débattre du financement public ou privé de ces partis par l’acceptation des dons et legs de contribuables en contrepartie de déductions fiscales. Le contrôle, par une Commission Nationale des Comptes de Campagne, pourrait par exemple, en cas de dépassement du plafond des dépenses électorales, sanctionner le parti ou le candidat ayant manqué aux obligations les incombant.
La moralisation de la vie politique dans un pays pauvre par le biais du plafonnement des dé- penses électorales serait le premier signe fort d’une volonté de transparence, d’égalité de chance et de respect du citoyen électeur.
La réforme des institutions ne peut se satisfaire d’un traitement cosmétique. Il s’agit avant tout d’attribuer aux institutions, quantité non-négligeable dans la vie d’un peuple, d’une République libre et démocratique, un pouvoir fort et permanant capable de survivre aux hommes et femmes chargés de les incarner, aux citoyens de les respecter.
Il ne suffit plus de rénover comme on repeindrait une vieille façade ou réhabiliterait un vieil immeuble. Il faudrait radicalement repenser et redéfinir une autre voie reposant sur un large consensus national et une évolution culturelle des mentalités.
Nous souhaitons ardemment des institutions modernes et stables, capables de résister à toutes les convulsions politiques et de s’adapter à une cohabitation politique.
L’opinion finira par reconnaître l’importance de la réflexion de la Commission MBOW et de la sagesse de la solution proposée. Notre optimisme nous pousse à croire qu’un projet global, cohérent et sérieux, porté par un peuple rassemblé et rassuré sortira de ses travaux.
Mamadou DIALLO
Avocat au Barreau de Paris
Docteur en droit
Auteur des Eclats du Temps (Poésie)