Situé en Afrique de l’Ouest et peuplé d’environ 13 millions d’habitants, le Sénégal est un pays qui jouit d’une longue stabilité politique et sociale. Il compte 95% de musulmans, mais l’esprit de tolérance s’y est très tôt manifesté. Sur le plan institutionnel, la conduite des affaires, de 1960 à 1980, par un président chrétien, en la personne de Léopold Sédar Senghor en est une belle illustration. Un acquis à préserver à tout prix au moment où notre sous-région est menacée par des forces centrifuges comme au Mali.
Alors que la plupart des pays africains étaient régis par des partis uniques sous des dictatures militaires ou civiles à partir de 1960 (année des Indépendances) et n’ont opéré des réformes politiques que dans les années 1990, les autorités sénégalaises avaient déjà anticipé les revendications démocratiques. Le président parlait déjà de sa formation politique, ‘l’Union Progressiste Sénégalaise (Ups) comme d’un parti « unifié », une façon de se démarquer des modèles de super partis-Etat uniques comme on en voyait ailleurs.
Ce choix politique et la gestion qui en est faite par les acteurs de l’espace public, vaut au Sénégal d’être régulièrement cité sur la scène internationale, comme un exemple de démocratie, respectueux des droits de l’Homme et de la liberté de presse
A l’instar du système politique, le système médiatique sénégalais est devenu pluraliste après quelques années de monopole de l’Etat sur les médias. Il compte, aujourd’hui, 13 chaînes de télévision dont 2 religieuses, 1 radio publique avec ses stations régionales, une vingtaine de radios privées commerciales, une soixantaine de radios communautaires, 20 quotidiens dont Le Soleil (média public), de nombreux périodiques et plusieurs journaux en ligne. Pour l’essentiel, ces médias sont présents sur la toile mondiale. Cette dynamique médiatique est allée de pair avec la mise en place de groupes de presse privés devenus, au fil des ans, de véritables entreprises dont Sud Communication, Futurs Médias, Wal Fadjri, Avenir Communication, DMedia …
La vie publique au Sénégal est caractérisée par l’esprit de tolérance et de compréhension mutuelle entre les différentes communautés religieuses que sont l‘Islam, le Christianisme, les croyances traditionnelles et les autres cultes plus ou moins importants dans notre pays. Cet esprit de tolérance se reflète jusque dans les cimetières communs comme à Sor (Saint-Louis) à Joal et Ziguinchor où Musulmans et Chrétiens cohabitent ensemble pour le repos éternel.
La façon dont les deux principales religions ont été introduites au Sénégal, c’est-à-dire sans violence (même si le christianisme est arrivé avec les Colons) est sans doute pour beaucoup dans la pacification de la vie sociale. Le Sénégal est, en effet, l’un des rares pays au monde qui n’a véritablement pas connu de Jihad (guerre sainte). Dans cette partie de l’Afrique, l’Islam s’est installé en douceur par la pédagogie des figures emblématiques qui ont eu la mission historique de la propager, chacun à sa manière et selon les contextes.
Tolérance et compréhension mutuelle
De nombreuses familles sénégalaises vivent aujourd’hui ce « syncrétisme », partagées qu’elles sont entre ces deux religions. Aujourd’hui, la cohabitation entre Chrétiens et Musulmans se fait sous le sceau du respect mutuel voire de la fraternité et ce n’est plus une exception que les deux confessions soient représentées à l’intérieur d’une même famille.
Mgr Hyacinthe Thiandoum, premier Archevêque de Dakar est originaire de Popenguine où il compte lui-même des parents d’une autre religion. Musulmans et Chrétiens n’hésitent d’ailleurs pas à participer, sous une forme ou une autre, à l’organisation de toutes les cérémonies religieuses catholiques ou musulmanes d’importance comme le pèlerinage annuel de Popenguine, le Magal de Touba, le Gamou de Tivaouane.
Ce fut le cas lors du séjour historique du Pape Jean Paul II en 1992 à l’occasion duquel le sanctuaire marial fut béni. Les fêtes religieuses musulmanes comme chrétiennes sont célébrées dans la communion la plus parfaite sans nuire à l’orthodoxie cultuelle de l’une ou de l’autre religion.
Cette même tolérance et cette compréhension se retrouvent au niveau des confréries qui se réfèrent toutes à l’Islam Soufi (sunite) dont les plus représentatives sont la Tidjaniyya, le Mouridisme, la Quadriyya, première confrérie implantée en Afrique de l’Ouest. Tant par leur naissance, que par leur évolution historique, les confréries ont toujours été, au-delà du foyer religieux, des espaces d’éducation à la paix, à la tolérance et au respect mutuel. En cela, la confrérie a hérité de la forme d’initiation traditionnelle où le Diom (dignité), le Ngor (honneur) et la kersa (éthique) étaient dispensés dans une perspective de façonner un « être social ou sociable». C’est en cela également que les confréries ont toujours été considérées comme le complément indispensable à une chaine de valeurs qui fondent l’homo senegalensis.
La religion dans les médias
La religion a toujours occupé une place de choix dans les programmes des médias au Sénégal (radios et télévisions et journaux). Les grilles de programmes des chaines sénégalaises intègrent en général les émissions religieuses, qu’elles soient musulmanes ou chrétiennes. Les grands événements religieux, Magal de Touba et Gamou de Tivaouane, Pèlerinage de Popenguine, sont largement couverts ainsi que les autres événements de moindre importance. « Manhar Al Islam » de Elhadj Cheikh Gassama et l’émission catholique le « jour du Seigneur » sur l’ORTS (RTS) sont des œuvres pionnières qui ont marqué les premiers pas des émissions religieuses dans la presse.
A partir des années 90, les médias privés emboîtant le pas aux médias publics commencèrent à recruter des prédicateurs formés d’abord dans les daaras sénégalais comme Touba, Tivaouane, Pire, Ndiassane, Médina Baye, ensuite, quelques années plus tard, dans les universités du Maghreb et d’Egypte.
Ils s’évertuaient à développer un discours axé sur le sacré en puisant dans les sources livresques les éléments de leurs prêches. (Exaltation et glorification du fait religieux, rappel des hauts faits des chefs religieux). Leur radicalisme, si on peut l’appeler ainsi, se manifeste dans le traitement des rapports sociaux, basés notamment sur le genre, la position de l’homme dans l’Islam, la femme dans sa vie de jeune fille et d’épouse, l’image de la femme, voilée ou non, La question de la sexualité, des rapports dans le ménage, le rôle du marabout, etc…
Quant aux sermons des imams, ils font souvent allusion à la vie et à l’œuvre du Prophète et à ses compagnons et se focalisent sur des rappels historiques. Ces sermons sont en général des invites à se conformer aux préceptes de l’Islam et à la charia. Ces prêches sont repris dans les radios et télévisions dans des émissions dédiées.
La question des rapports entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel, des rapports entre l’homme et son prochain, entre l’homme et l’au-delà est également traitée par les religieux dans des émissions en langues nationales.
L’utilisation des langues locales dans les émissions religieuses a été une option stratégique qui a permis de capter le maximum d’auditeurs et de téléspectateurs tout en permettant à des arabisants d’occuper leur temps d’antenne. Beaucoup de Sénégalais se sont imprégnés de leur religion à travers ces émissions.
L’Islam face à la Mondialisation
Aujourd’hui, les émissions religieuses musulmanes et chrétiennes occupent toutes les chaines et peuplent les grilles des programmes et les prêcheurs sont parmi les animateurs les plus en vue. Leurs prêches sont sollicités même dans les conférences religieuses, en particulier pendant le Ramadan. Les émissions interactives sont utilisées pour non seulement capter la clientèle mais aussi se faire de l’argent par le biais des serveurs vocaux.
C’est dire que les chaines y compris les nouvelles chaines confessionnelles, sont en compétition permanente pour élargir leur audience et les sermons et prêches prennent des allures de show médiatiques. Cet intérêt prononcé vers les émissions religieuses est dicté par trois facteurs : l’ouverture des universités arabes aux jeunes sénégalais qui, de retour, choisissent l’enseignement et le prêche comme activité principale ; le conflit au Moyen Orient qui a conduit beaucoup de Sénégalais à s’intéresser à l’Islam et à la vie religieuse ; la place de l’Islam dans la mondialisation perçue non plus comme espace de dialogue et d’échange mais plutôt comme champ de confrontation et de guerre idéologique.
Point essentiel autour duquel ces animateurs se retrouvent, le terme Jihad que beaucoup interprètent non plus comme la guerre sainte mais plutôt comme une guerre contre son moi, ses instincts animaux et ses pulsions. La Jihad ul nafsu est en opposition à l’intégrisme religieux qui vous met en conflit avec celui qui n’épouse pas les mêmes idées que vous. C’est là que le terrorisme et le radicalise religieux sont renvoyés dans le registre des prises de positions politiques et non religieuses. En effet, le radicalisme religieux et son expression la plus violente, à savoir le terrorisme, ont souvent pris racine là où les contenus des livres saints (Tora, Bible, Coran) ont été enseignés dans une optique d’exclusion, de stigmatisation et de diabolisation. Mais si la lutte contre ses propres instincts tranche avec le radicalisme religieux, elle pose le problème de la passiveté voire du fatalisme face à un environnement dont la transformation demande l’intervention de l’homme. Ni ascétisme « passif » ni agressivité aveugle, tels semblent être les deux pôles des discours religieux tenus dans les médias sénégalais.
Mais, ces discours sont-ils bien perçus par les publics ? Utilise-t-on les meilleurs supports et les meilleurs créneaux pour faire passer les messages ?
Quel impact ces discours du religieux ont-ils sur les populations ? Ceux à qui ces émissions sont confiées, ont-ils la formation requise pour la diffusion du message ? Maitrisent-ils les contenus et les modalités de transmission du message de l’émetteur au récepteur ? En somme, sont-ils des personnes averties à défaut d’être des journalistes spécialisés ? La réponse à toutes ces questions nous renvoie à la nécessité de repenser les formats de ces émissions et le profil des hommes qui les animent.
Pôles de cristallisation de conflits
La guerre prenant « naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes qu’il faut ériger les défenses de la paix ». La promotion de la paix par l’éducation fait partie des missions des hommes de médias. Cela, nul n’est mieux placé que la presse pour en tirer profit. C’est dire, l’intérêt primordial accordé à toutes les initiatives œuvrant pour la promotion de la paix. La culture de la paix est en effet d’une brûlante actualité face aux mutations et aux bouleversements dans nos sociétés et qui parfois constituent des pôles de cristallisation de conflits aux motivations diverses et souvent même saugrenues.
Parler à la radio et à la télévision requiert donc des aptitudes et des compétences particulières. En effet, le métier de journaliste ou d’animateur est sans aucun doute l’un des plus difficiles et des plus exigeants qui soient en raison des nombreuses contraintes liées à la bonne maîtrise des contenus et à la bonne gestion du contenant dans un champ public qui est, par excellence, le domaine de toutes les libertés et de toutes les sensibilités.
Relais indispensables dans la communication sociale, les médias sont des outils incontournables dans la promotion d’une culture de la paix tout comme ils peuvent être des instruments diaboliques dans la culture de la haine. L’exemple de la radio mille collines au Rwanda est là pour le démontrer. Dans un contexte de démocratie totale consacrée par le pluralisme sous toutes ses formes, le journaliste ou l’animateur se trouve tous les jours interpellé par sa propre conscience. Dans ce domaine, la plus petite erreur, la faute la plus anodine se paie cash car elle ne se rattrape guère. C’est encore plus grave quand il s’agit de la religion qui, comme chacun le sait, charrie des passions. Nous l’avons tous constaté à travers les informations qui nous parviennent du monde où la stigmatisation, la diabolisation et le rejet font le lit de l’intolérance et de la violence aveugle.
Risques de dérapages préjudiciables à l’harmonie de la nation
Dans le contexte sénégalais marqué par ce qu’on peut appeler une pluralité de chapelles, une telle vérité nous renvoie à la diversité et la pluralité des sources. Dans le discours religieux, c’est plutôt la contradiction des faits relatés qui peut lui faire perdre totalement son caractère sacré. Sur ce terrain, les prêcheurs sénégalais sont encore dans les normes si l’on en juge par la fiabilité de leurs sources et de leurs références.
Il faut cependant reconnaître que parfois, certains Sénégalais sont désorientés, et agacés par la manière dont les passages des livres saints sont relatés et souvent même fabriqués par des prêcheurs qui ne disposent d’aucune compétence pour exercer ce métier ni du point de vue du niveau de base ni du point de vue de la maîtrise des techniques de collecte et de traitement encore moins des règles éthiques et déontologiques.
Il va de soi que de tels comportements font perdre toute crédibilité, ce qui rejaillit forcément sur l’appréciation d’ensemble que les populations font de tel ou tel média. En effet, quand les mauvaises interprétations se substituent aux faits, quand le virtuel prend la place du réel, quand les suppositions occupent le champ de la vérité, c’est la porte ouverte à tous les dérapages et la mort de toute expression crédible.
Hélas, avec le développement exponentiel des chaines de radios et télé, le risque est grand de voir ce genre de situations prospérer avec des risques de dérapages préjudiciables à l’harmonie de la nation.
C’est en cela qu’il faut veiller à ce que l’éducation à la vie religieuse réponde davantage aux objectifs que l’Etat assigne à toutes ses composantes : la paix, la concorde et l’harmonie de la société. A cet égard, il convient de situer les rôles et responsabilités de l’Etat dans la préservation de cette harmonie, même si son caractère laïc et équidistant de toutes les confessions lui assigne une mission d’observateur avisé de la vie religieuse et de régulateur. Il va sans dire qu’il doit veiller à tous les équilibres qui fondent la stabilité de la société, notamment la laïcité de l’Etat et de ses institutions, les droits et devoirs de chacun (homme, femme, enfant) dans la société, la question des minorités et des forces émergentes, celle de l’intégrisme sous toutes ses formes en particulier.
Vigilance face à la menace de l’intégrisme international
Au demeurant, il est heureux de constater que le fondamentalisme religieux a des difficultés à s’implanter et à s’incruster dans des espaces déjà bien occupés par les confréries à la fois fortes et bien enracinées fondées sur la pédagogie du symbole. C’est en cela que les messages politico-religieux tels qu’ils sont émis et diffusés sous d’autres cieux ne sont ni acceptés ni tolérés dans les médias sénégalais, même si sur ce point important une vigilance s’impose face à la menace de l’intégrisme international.
A l’opposé des Etats islamiques où l’Islam est la religion d’Etat, au Sénégal, c’est plutôt la laïcité qui devrait garantir une parfaite communion des religions, promouvoir l’égal accès à l’éducation de qualité, à la formation qualifiante; partant, favoriser l’émancipation de la femme par le biais de l’acquisition du savoir au même titre que l’homme. L’éducation à la citoyenneté semble être, à cet égard, le meilleur garant et le plus efficace rempart contre les injustices, la discrimination, l’intolérance d’où qu’elle vienne.
A cet égard, les médias doivent exercer leur droit d’informer de la véracité des faits, tout en évitant de tomber dans le piège d’une instrumentalisation consciente ou inconsciente de forces centrifuges dont l’objectif est de détruire les bases qui fondent la vie de notre société.
Mamadou KASSE
sudonline.sn