Révélation du candidat Djibril Ngom : «Wade m’avait proposé le poste de Premier ministre»

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L’ancien Directeur général des Industries chimiques du Sénégal s’est déclaré candidat à la Présidentielle de février 2012. Djibril Ngom parle, dans ce premier jet de l’entretien, de son virus politique, de ses péripéties à la tête de ce fleuron de l’économie nationale, etc.

Qu’est-ce qui s’est passé pour que vous passiez des affaires à la politique ? 
J’ai été membre du gouvernement très jeune. J’étais dans le monde politique. Je voyais les choses se faire pendant sept ans. Je voyais des décisions importantes pour ce pays se pendre aussi. Je savais aussi comment se prenaient ces décisions-là. J’ai pu tester la solidité et la pertinence de certaines décisions qui sont d’ordre politique. Cela veut dire que même lorsque vous vous occupez de l’entreprise, lorsque vous êtes dans la gestion, il y a toujours une préséance du politique sur les affaires. Et je suis aussi allé dans l’entreprise. Que cela soit l’entreprise publique comme l’entreprise privée. Je sais aujourd’hui, les contingences au niveau de la gestion de ces entreprises-là. J’ai fait une évaluation et je me suis dis : «Qu’est-ce que je peux apporter à mon pays aujourd’hui ?» Sinon de briguer une station qui me permettrait, véritablement, de mettre en œuvre toutes les idées que j’ai dans la gestion des entreprises, de l’Etat, etc.

Donc, vous aviez le virus politique avant même de vous déclarer candidat ?
Vous savez, le virus politique, on l’a toujours. D’ailleurs, je dis toujours que ne pas faire la politique, c’est faire de la politique. Donc le virus était en moi depuis longtemps. Etudiant déjà, on militait dans les syndicats, surtout en France. J’ai rencontré tous les hommes politiques qui sont là. Dans les syndicats d’étudiants, nous avions des positions politiques, mais je n’ai jamais pris une carte politique, une carte de parti politique en tant que tel. Cela ne veut pas dire que je ne suis pas politique. La politique m’a toujours intéressé. J’ai eu beaucoup d’amis qui sont politiciens. J’ai eu beaucoup d’amis dans tous ces partis ; qu’il s’agisse des partis de Gauche comme des partis dits de Droite, parce que je ne pense pas qu’il y ait véritablement de partis de Droite au Sénégal. La politique c’est la gestion de la cité. Alors ça m’intéresse. Et ça interpelle tout Sénégalais.

Quelles sont ces décisions importantes qui vous auraient gênées ?
Ça ne m’a pas gêné (il se répète). Des décisions importantes peuvent gêner, ne pas gêner. Mais quelquefois des décisions importantes ont besoin de complément. Mais malheureusement quand la décision est importante, l’arbitrage ultime, c’est du ressort politique. Quand je dis des décisions importantes, c’est la vision qu’on a de la politique agricole par exemple ou encore la politique minière et la responsabilité des entreprises. Voilà des points sur lesquels je pense qu’il faut avoir un vécu. C’est très important. Il y a des gens qui commettent certaines erreurs, parce qu’ils n’ont pas le vécu, le vécu macroéconomique et microéconomique. J’ai eu peut-être un peu la chance d’avoir ces deux vécus. De gérer la macroéconomique, de présenter le budget de l’Etat à l’Assemblée nationale, mais aussi de gérer deux entreprises qui sont importantes et d’un impact ex­traordinaire sur l’économie nationale : le Port de Dakar et les Indus­tries chimiques du Sénégal (Ics).

Est-ce que vous liez ces décisions importantes à votre départ des Ics ?
Un peu, oui.

Donc, c’est d’ordre politique ?
Je crois que c’est une décision politique

Vous n’avez aucun reproche à vous faire ?
Absolument pas !

Comment comprenez-vous alors qu’un Etat prenne une telle décision ?
Mais vous savez, je me rappelle que quand je quittais le Port avant d’arriver aux Ics et quand j’ai fait la passation de services, le président du Conseil d’administration d’alors avait dit : «L’Etat n’a pas de cœur.» Et c’est exactement ce qui se passe. L’Etat a des objectifs et ces objectifs-là peuvent être en contradiction avec ceux du gestionnaire de l’entreprise.

A votre avis ici, c’est l’Etat n’a pas de cœur ou c’est le pouvoir actuel n’a pas de cœur ?
J’allais dire et je reviens là-dessus, l’Etat n’a pas de cœur mais les hommes qui y sont peuvent en avoir et ceux-là ont leurs intérêts. Et si leurs intérêts sont en contradiction avec ceux qui sont positionnés au niveau des entreprises, cela peut avoir quelquesfois des effets.

Quels sont ces effets ?
L’intérêt du politique n’est pas celui du gestionnaire. Quand vous gérez une entreprise, vous avez une vision. Je vous donne l’exemple des Ics. Il y a plusieurs décisions que j’ai prises par rapport à la vision que j’avais, moi, de l’économie globale, du rôle d’une société d’Etat. Je m’étais rendu compte que cette société ne distribuait jamais de dividendes. Je voyais aussi, par ailleurs, que l’Etat indien pouvait avoir une influence négative sur la société, en ce sens que les prix étaient fixés en Inde ? Pourquoi les prix étaient-ils fixés en Inde ? C’est, en fait, selon la subvention que donnait le gouvernement indien que les prix arrivaient à un certain niveau. Nous avions calculé notre breaking point qui démontrait que si nous n’allions pas à 400 dollars, on était dans une zone de perte. Il fallait avoir une production importante. Et pendant trois ans, ce n’est pas seulement que les prix sont cycliques ; l’Etat indien avait aussi baissé les prix. Mais je me suis dit attendez : l’Etat indien baisse les prix pour l’acide, pourquoi nous on ne baisse pas les prix des engrais pour pouvoir satisfaire le paysan sénégalais. (…) Je ne segmentais pas la population, je ne regardais pas si la population-là était Ps (Parti socialiste), Pds (Parti démocratique sénégalais), Afp (Alliance des forces de progrès), ou un autre parti. Moi ce qui m’intéressait, c’était le Sénégalais qui était sur le sol, qui était déplacé et qui avait effectivement besoin d’une compassion. J’ai pris aussi une décision pour dire que le décret qui permettait de payer ces gens-là qui étaient déplacés, était de 1963. Donc, le franc de 1963 est quand même différent de celui de 2003, j’ai multiplié par cinq pour que les Sénégalais puissent en bénéficier. Pourtant je crois que cela, ils ne devaient pas me le reprocher parce que tout simplement on l’avait fait pour que les Sénégalais profitent d’une unité de production où le Sénégal avait 45% et où l’Inde en avait moins. Et c’est lui qui dictait à la limite le comportement du compte d’exploitation en termes de profit et de perte. Ces visions-là étaient les miennes que je défendais au Conseil d’administration. Parce que vous savez, dans des cas pareils, le Conseil d’administration est le seul patron du directeur, même si l’Etat est actionnaire parce que ce sont des sociétés privées. Beaucoup de gens oublient que les Industries chimiques du Sénégal étaient une société privée sur laquelle l’Etat n’avait même pas le droit d’avoir une mainmise. A partir du moment où tu es nommé président ou Directeur général, on devait te laisser parce que tu ne rends compte qu’au Conseil d’administration. Sur certains points, effectivement, l’Etat voyait que peut-être j’avais une forte personnalité qui impactait sur la gestion de l’entreprise et on m’a combattu pour que je parte.

Qui vous a combattu ?
Beaucoup de gens autour de Abdoulaye Wade. C’est lui qui m’a demandé gentiment de démissionner. Je lui ai dit : «Non je ne démissionne pas.»

C’est lui personnellement qui vous a combattu ou bien des personnes autour de lui ?
Beaucoup de gens autour de lui, mais ce n’est pas important. L’essentiel, un jour, il m’a demandé de démissionner et il y avait beaucoup de gens sur la table, je lui ai dit non.

Pourquoi vous n’êtes pas parti au moment où la situation des Ics n’était pas des plus roses ?
Non ce n’est pas possible ! Tous les indicateurs de gestion montraient, en termes de coût de revient, que les meilleurs moments des Ics, c’étaient entre 2002 et 2004. Quand on juge une entreprise on la juge par rapport aux capacités de bien gérer les coûts. Mais à ces coûts, il y a naturellement le fait que le prix de l’acide phosphorique sur le marché était à un niveau historique très bas, il était à 320 dollars, alors que c’était à 450 dollars. A cela, il faut ajouter une chose : c’est que quand je suis arrivé aux Ics, j’avais moi-même – et ce ne sont pas les auditeurs qui l’ont trouvé, ça il faut que je le redise – trouvé qu’il y a certains coûts qui n’ont jamais été intégrés dans le compte d’exploitation. Je vais vous expliquer quelque chose de très simple : Le phosphate est à 40 mètres du sous-sol et sous l’eau en plus, cela veut dire que le phosphate sénégalais est le plus difficile à traiter et à exploiter. Par exemple vous allez à Matam, vous creusez sept mètres et vous l’avez, vous allez au Togo, vous faites sept mètres vous l’avez, vous allez en Tunisie ou au Maroc vous faites à peu près 13 mètres. Mais au Sénégal, c’est 40 mètres sous l’eau. Cela veut dire que pour accéder aux phosphates, vous devez enlever du sable. Mais ce sable-là, quand vous l’enlevez, ce sont des coûts non ? Ces coûts-là n’ont jamais été intégrés dans les comptes des Ics. Ce n’est pas depuis 2000 mais depuis 1995. (…) Vous avez une perte vous devez partir et on me l’a dit mille fois avant, j’ai toujours refusé. La première fois qu’on me l’a dit, c’était en 2002. Après, on m’a proposé le poste de Premier ministre, de ministre de l’Agriculture et de l’Industrie pour que je parte. Chaque remaniement, on me propose un poste, je disais que non, je connais les gouvernements, et le premier gouvernement auquel j’ai appartenu, c’était un gouvernement de 18 personnes. Et ce n’était pas n’importe quel gouvernement. Donc, je n’accepterai pas de venir dans un gouvernement où on ne sait pas ce qu’on fait finalement.
A SUIVRE


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