Samsung, un Etat dans l’Etat

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Souvent on parle de la Corée du Sud comme de la « république de Samsung ». Le puissant chaebol – conglomérat – occupe une place centrale dans son pays, pour le meilleur mais également pour le pire. Car si le succès de ses produits nourrit la fierté nationale, son fonctionnement comme le comportement de ses dirigeants alimentent une défiance réelle.
L’annonce, vendredi 24 janvier, par Samsung Electronics, fleuron d’un groupe qui emploie aujourd’hui plus de 400 000 personnes dans le monde, de ses performances pour 2013 en est l’illustration. Au quatrième trimestre 2013, le résultat opérationnel a chuté de 18 % par rapport au trimestre précédent, à 8 300 milliards de wons (5,7 milliards d’euros).

Ces chiffres étaient très attendus. Le 7 janvier, le fabricant avait déjà, sans entrer dans les détails, prévenu les investisseurs de cette chute de sa profitabilité, invoquant alors l’appréciation du won et les difficultés sur un marché mondial des smartphones en ralentissement.

L’annonce avait fait plonger la Bourse de Séoul. La presse locale s’était enflammée. L’économie nationale ne risquait-elle pas de s’effondrer, victime d’un « choc Samsung » ?

L’importance du conglomérat pourrait le faire craindre. « Si les gains de Samsung Electronics baissent de 10 % à 20 %, estime Kim Sang-jo, de l’université Hansung, la Bourse du pays peut chuter de 50 %. »

STRUCTURE COMPLEXE

De fait, Samsung est présent dans des activités aussi diverses que l’électronique, les services financiers, l’industrie lourde, l’hôtellerie, voire les parcs d’attractions.

Ses revenus équivalent à 23 % du produit intérieur brut (PIB) de la Corée du Sud. Et les 89 sociétés incluses dans sa complexe structure capitalistique assurent 13 % des exportations du pays. Enfin, sa capitalisation à la Bourse de Séoul représente 28,5 % de la composition du principal indice boursier Kospi… Quand Samsung tremble, c’est toute l’économie du pays du Matin-Calme qui risque de vaciller.

Samsung fascine par sa capacité à s’imposer dans les secteurs les plus innovants. Le dirigeant actuel, Lee Kun-hee, 72 ans, successeur, en 1987, du fondateur, son père, Lee Byung-chul, a réussi à faire sortir le groupe de sa logique de production massive de produits de qualité moyenne. « Changez tout, sauf votre femme et vos enfants », avait-il lancé en 1993 au personnel du chaebol, ouvrant la porte à l’internationalisation de l’entreprise.

En 2011, il a dévoilé les nouveaux objectifs du groupe pour 2020. « La majorité de nos produits d’aujourd’hui auront disparu dans dix ans », affirmait-il, soulignant l’importance de se lancer dans de nouvelles activités axées sur les technologies environnementales et médicales.

Les décisions de M. Lee sont suivies avec la plus grande attention, d’autant plus que l’économie sud-coréenne vit une période de relative morosité, même si les chiffres de la croissance au quatrième trimestre 2013 paraissent positifs.

OMNIPRÉSENCE ÉCONOMIQUE ET INFLUENCE POLITIQUE

La Banque de Corée du Sud a annoncé, le 23 janvier, une augmentation de 0,9 % du PIB entre octobre et décembre 2013, soit + 3,9 % sur un an. Les investissements des entreprises ont crû de 6,4 %, un chiffre de bon augure pour les mois à venir. Séoul table sur une croissance de + 3,9 % en 2014, « si la tendance se maintient », précise le ministre des finances, Hyun Oh-seok.

L’omniprésence économique de Samsung se double d’une réelle influence politique. « Ce chaebol exerce un pouvoir immense sur l’administration en soutenant des politiques et des législations correspondant à ses propres intérêts », constate Kim Jeong-ju, de l’université Hanyang, qui rappelle que Samsung n’a pas de syndicat, ce qui va « à l’encontre des droits fondamentaux des travailleurs ».

Les liens avec le pouvoir remontent au début du décollage économique du pays, dans les années 1970, et se sont forgés notamment par la proximité entre Lee Byung-chul et Park Chung-hee, le dictateur qui dirigea la Corée du Sud de 1961 à 1979.

M. Park, père de l’actuelle présidente, Park Geun-hye, avait fait du développement des chaebols une priorité de son action dans le cadre de sa « stratégie de développement déséquilibré ».

Il s’agissait d’attribuer les quelques ressources disponibles d’un pays ravagé par la guerre à un petit nombre d’entreprises. Cette politique avait fonctionné, notamment parce que le succès de ces conglomérats a profité à l’ensemble de l’économie du pays.

UNE RÉPUTATION TERNIE

Fils d’un riche propriétaire terrien de Daegu (centre de l’actuelle Corée du Sud), Lee Byung-chul a créé sa société en 1938. Baptisée Samsung Sanghoe (littéralement « la maison de commerce trois étoiles »), la petite entreprise a prospéré en exportant des fruits, des légumes et du poisson séché vers la Mandchourie et Pékin. Après l’indépendance, en 1945, et surtout la guerre de Corée (1950-1953), M. Lee s’est lancé dans la distribution, l’assurance et la finance.

Grâce au soutien de Park Chung-hee, Samsung est entré dans l’électronique à la fin des années 1960 par un rapprochement avec le Japonais Sanyo puis, la décennie suivante, dans la construction navale, la chimie et la construction.

La proximité de Samsung avec le pouvoir perdure. Elle a ses avantages. Elle permettrait notamment de limiter les velléités manifestées par le gouvernement en faveur d’une « démocratie économique », axée sur la réduction du pouvoir des chaebols et le soutien aux PME.

En 2008, Lee Kun-hee a été reconnu coupable d’évasion fiscale et de malversations financières. Il a échappé à la prison et a été condamné à une simple amende, avant de bénéficier du pardon du président Lee Myung-bak, « dans l’intérêt de la nation ».

Cette « protection » jusqu’à présent constante nuit cependant à l’image du groupe, par ailleurs aujourd’hui ternie par des révélations sur l’usage de produits cancérigènes dans ses usines de semi-conducteurs et sur la forte pression pesant sur ses employés. Aujourd’hui, intégrer le chaebol ne fait plus rêver les étudiants autant qu’autrefois.

UNE SUCCESSION À LA « DALLAS »

Samsung, c’est aussi une saga familiale dans la plus pure tradition confucéenne locale, de celles qui inspirent les scénaristes des populaires séries télévisées du pays. La succession à la “Dallas” de 1987 a laissé des traces au sein du groupe.

Lee Kun-hee, l’homme le plus riche de Corée du Sud, est en procès avec plusieurs membres de sa famille, à commencer par son frère aîné, Maeng-hee, qui revendiquait aussi le pouvoir.

Les deux parties se déchirent sur la propriété des actions de Samsung Life Insurance, léguées par le patriarche, Lee Byung-chul. Ces actions permettent, grâce au jeu des participations croisées, de contrôler l’ensemble du groupe. Le 7 janvier, lors d’une audition du procès en appel de cette affaire, Kun-hee a rejeté une offre de réconciliation formulée par Maeng-hee…

Cette histoire ne devrait pas empêcher l’actuel dirigeant de continuer à diriger l’entreprise avant d’en confier les rênes à son fils Jay-yong, choisi en décembre 2012 pour lui succéder. « Jay-yong était en rivalité avec sa sœur Boo-jin », note un bon connaisseur des chaebols. Cette dernière ressemble énormément à son père, qui lui aurait dit un jour : « Si tu avais été un garçon, j’aurais été heureux. »

Certains jugent que le fonctionnement de Samsung, devenu en quelques années le principal rival d’Apple dans la high-tech, reste archaïque. Trop hiérarchisé, avec quelques chefs décidant ce qu’une armée d’exécutants applique avec rigueur. Un « Etat » qui, au final, évoque plus une monarchie qu’une république.

Par Philippe Mesmer (Tokyo, correspondance)
lemonde.fr

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