Tunisie : les pénuries d’eau déclenchent une vague de colère

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Des manifestations spontanées éclatent dans tout le pays à cause de coupures répétées d’eau. Au-delà de la question de la gestion et de l’entretien des conduites, il y a, surtout, la réalité du stress hydrique, accentué par la surconsommation de certains secteurs.
Le manque d’eau avive la colère, en Tunisie, au point que des manifestations spontanées éclatent sporadiquement. La méthode est souvent la même. Des usagers dénonçant les pénuries s’emparent de pneus, y mettent le feu, et barrent la route. Dans des petites municipalités, ce sont aussi des agriculteurs qui manifestent, réclamant que les travaux sur des puits soient accélérés. Sur les réseaux sociaux, des internautes font circuler des vidéos de Tunisiens parcourant de longues distances et creusant de profonds trous pour accéder à une eau saumâtre.
Le 25 juillet, un groupe a ainsi bloqué des routes à Kelibia, à l’est de Tunis. La veille, c’est la route reliant Métlaoui à Tozeur, dans le centre du pays, qui a été coupée. Des manifestations ont eu lieu dans les régions de Sfax, Kef, Gabes ou encore Tabarka, selon des médias nationaux. Jawhara FM rapporte pour sa part, clichées à l’appui, que des agriculteurs du sud de Béja se plaignent de voir des têtes de bétail littéralement mourir de soif.
Des alertes en hausse depuis quatre ans
Au total, l’Observatoire tunisien de l’eau, une structure associative, relève 104 de ces manifestations de colère pour les mois de mai et juin 104. « Les réactions peuvent parfois paraître excessives, mais en manifestant, les citoyens pointent du doigt un très grave risque qui devrait engager l’ensemble des Tunisiens », estime Alaa Marzougui, de l’Observatoire, qui tient aussi le décompte de ce qu’il appelle « les alertes citoyennes » concernant des coupures d’eau. Entre mai et juin, l’observatoire a reçu 404 alertes d’usagers privés d’eau.
Un chiffre qui, en fait, n’a que peu augmenté par rapport à 2017 : l’observatoire avait reçu 395 alertes sur la même période. Mais pour ce seul mois de juillet, le premier décompte tourne autour d’un peu plus de 300. Surtout, le nombre d’alertes a significativement augmenté depuis quatre ans.
Selon Marzougui, si les robinets crachotent, c’est en partie en raison de la vétusté des installations, entraînant d’importantes pertes d’eau. « On constate d’importantes fuites, dans certaines régions, entre 30 et 50% de l’eau qui passe dans les conduits est perdue », assure le militant.
La Société nationale d’exploitation et de distribution des eaux (Sonede), liée au ministère de l’Agriculture – qui est aussi celui des Ressources hydrauliques – le concède à Jeune Afrique : « La Sonede gère environ 54 000 kilomètres de conduites. Le maintien du réseau en bon état avec une moyenne de vie acceptable nécessite le renouvellement annuel de 1 100 kilomètres de conduite. Étant donnée la situation financière, la Sonede n’en renouvelle qu’entre 120 à 150 kilomètres annuellement. »
Un stress hydrique qui s’accentue
Mais la Sonede pointe une autre cause, plus profonde, à ces pénuries à répétition. « Nous enregistrons des difficultés croissantes depuis environ quatre ans, qui sont en partie dues à la période de sécheresse qui a généré une baisse importante dans les réserves des barrages et une baisse des niveaux des nappes dans certaines régions, engendrant des chutes des débits des forages », indiquent les services de communication de l’entreprise publique.
Pour exemple, la région de Médine, parmi les plus touchées cet été, « s’alimente exclusivement à partir des eaux souterraines dont les nappes sont sensibles à la pluviométrie. Étant donné la sécheresse, les ressources ont connu des chutes », souligne la Sonede.
Le stress hydrique, il en était déjà question en 2015, dans le plan d’action concernant le climat du ministère de l’Environnement. « Avec une disponibilité des ressources renouvelables d’eau de l’ordre de 385 mètres cube par an et par habitant, la Tunisie est déjà dans le stress hydrique. Cette situation va s’aggraver dans les années avenir sous l’effet des changements climatiques, avec une baisse des ressources en eaux conventionnelles [eaux superficielles, retenues par les barrages et lacs, nappes d’eaux souterraines, ndlr] estimée à environ 28 % à l’horizon 2030. La diminution des seules eaux de surface avoisinerait 5% au même horizon », insiste la Sonede.
Et d’ajouter : « Par ailleurs, suite à l’élévation attendue du niveau de la mer, les pertes par salinisation des nappes côtières due à l’élévation du niveau de la mer seraient d’environ 50% des ressources actuelles de ces nappes, à l’horizon 2030, soit près de 150 millions de mètres cube. »
Des activités gourmandes en eau
Les pouvoirs publics tentent de répondre à cette situation. « À Médenine, la situation s’est améliorée suite à la mise en exploitation de la station de dessalement des eaux de mer de Djerba au début du mois de mai 2018 », assure la Sonede.
Mais pour Alaa Marzougui, le recours à des sources d’approvisionnement en eaux « non conventionnelles » n’est pas une réponse adéquate. Lui pointe plutôt une nécessaire diminution de la consommation, en particulier dans les secteurs qui font une consommation excessive des ressources disponibles. « Traiter 12 millions de tonnes de phosphate nécessite environ 16 millions de mètres cube d’eau. Avec ça, on fournit en eau potable les habitants de la région de Gafsa sur pas loin de deux ans », souligne le militant associatif.
Les professionnels du phosphate, eux, pointent d’autres secteurs, tout aussi gourmands en eau, comme l’agriculture. Selon des chiffres de 2018 du ministère de l’Agriculture, la pastèque – très gourmande en eau -, est ainsi le deuxième fruit le plus exporté. Au ministère, des discussions ont lieu avec les groupements de producteurs depuis plusieurs mois pour envisager des moyens de réorienter les exportations sur des produits moins coûteux en eau.
« Nous entamons une politique pour rationaliser notre utilisation de l’eau, sachant que 70 % de nos ressources hydriques sont utilisés par l’agriculture. Nous continuerons à développer les barrages mais en parallèle, nous exploiterons d’autres sources non conventionnelles, via la mise en place de stations de dessalement d’eau de mer dont certaines seront mobiles, pour répondre aux demandes les plus pressantes », assurait ainsi à Jeune Afrique Samir Taïeb, dès 2016. En attendant, le ministère appelle « les usagers à rationaliser leur consommation. »
Jeuneafrique

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