3eme mandat : le ‘Ni oui Ni non’ du président, un dangereux précédent pour notre démocratie (Par Demba Babaly Ndiath )

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Lors de son dernier face à face avec la presse Sénégalaise après son traditionnel discours à la nation du 31 décembre, le Président a produit une réponse pour le moins troublante face à une question des journalistes concernant son intérêt pour un troisième mandat.
 
J’aimerai d’emblée saluer cet exercice de clarification de haute portée car contribuant à l’apaisement du climat politique et social et à l’enrichissement du débat politique. 
Une analyse globale sur le fond nous autorise à dire que le président s’est bien préparé et il a bien répondu à la plupart des questions.  

Il est aussi apparu que le président manie bien le wolof, se débrouille en sérère, mais aussi parle……couramment la langue de bois !
En effet sa réponse à une question posée par un journaliste, relève du domaine de l’art de la rhétorique et risque de figurer parmi les références culte des annales politique du Sénégal. 
 
Retour sur les faits : 
 
Journaliste : Président à chaque fois qu’on vous pose la question, vous affirmez que ce n’est pas encore le moment et que vous venez d’être élu, mais je pense que le 31 décembre est une occasion pour que vous disiez aux Sénégalais si oui ou non vous allez vous représenter en 2024 ? 
Président : Ce ne sera pas oui, ce ne sera pas non ! 
Voulant expliquer sa réponse, le président continua : L’année dernière au même moment, vous m’avez posé cette même question, l’année précédente avant la campagne, les gens en parlaient. Il s’agit d’un débat qui ne s’arrêtera jamais quel que soit ma réponse. 
 
Petite précision : Le président n’a jamais répondu à cette question depuis qu’il a entamé son second mandat. Il était plus ouvert sur la question au cours de son premier mandat. 
 
Devant un Ismaila Madior Fall (ancien ministre de la justice, artisan de la dernière réforme constitutionnelle qui limite le mandat présidentiel à deux), au sourire crispé, le président continua : Je considère qu’on m’a confié en toute confiance un mandat pour lequel, je dois avec mes collaborateurs travailler pour le peuple, tout ce qui a été dit ici concernant l’électricité, la santé est plus importante que de parler d’un mandat qui n’est pas encore arrivé. (De quel mandat parle-t-il??, il en aura plus en 2024 selon la constitution, bref hors sujet). 
Le summum de la démagogie fut atteint lorsque dans son argumentaire, le Chef de l’Etat président convoqua le très respecté saint homme Serigne Cheikh Mbacke Gainde Fatma avec un ton empreint de sagesse que je vais m’évertuer de traduire du mieux que je peux : ‘ Quand tu as dépassé une situation il ne faut plus en parler, quand tu es en train de travailler, persévère dans ton travail, et pour ce qui est du futur, abstient toi d’en parler car cela relève du domaine Divin’.  
Des paroles riches en sagesse mais copiées-collées dans un cadre que je ne pense pas être le contexte originel. 
En tout état de cause, le président nous renvoie au Divin pour une question qu’il avait lui-même affirme avoir réglé à travers l’article 27 de la constitution qui atteste : ‘Nul ne peut faire plus de deux mandat consécutifs”.  
Oui la constitution, car c’est bien avec un « Oui » à 62%, que les Sénégalais ont approuvé cette nouvelle réforme proposée par le président au cours du référendum de 2016. Et tous croyaient cette question réglée et derrière nous. 
 
Dans une république laïque, c’est la constitution qui encadre le début, le déroulement, et la fin de tout mandat institutionnel avant même son entame, non la philosophie religieuse aussi sage soit -elle.  
Mais qui peut aller à l’encontre du Divin ? Personne…Surtout d’un pays très religieux comme le nôtre, sacré Macky! 
Sortant de son ton solennel et empruntant enfin un ton plus cru, le président poursuit : ‘Aujourd’hui si je dis que je ne serais plus candidat, savez-vous que personne ne travaillera dans mon gouvernement. Car comme le président ne sera plus là, qu’ils le veuillent ou pas certains seront en train de chercher (peut être parle-t-il du pouvoir), d’autres seront démarcher. Donc ils ne vont plus travailler durant les cinq prochaines années. Donc quel en est l’intérêt ? Si je dis que je suis candidat, les polémiques et les manifestations seront plus nombreuses (rire dans la salle)’ 
Concluant le Président affirme que ce débat n’est pas encore à l’ordre du jour et que tous doivent garder à l’esprit les paroles du Saint homme. 
Il est vrai que le Chef de l’Etat a touché un point sensible : la fidélité dans l’engagement politique au Sénégal. Certains diront qu’il a raison et qu’il connaît bien ses hommes. J’ai envie de dire que si lui-même sait qu’il est entouré d’opportunistes, il n’a qu’à s’en séparer et recruter des technocrates ou des patriotes qui travailleront pour la patrie et non pour le parti, comme il aimait à le dire. Ce n’est pas ce qui manque dans ce pays et cela ne ferait qu’embellir son héritage politique.

 Et s’il se soucie des manifestations, le président sait qu’il en aura moins s’il confirme ce que dit la constitution à la lettre, non les interprétations politiques des uns et des autres.  
C’est comme si on était dans un jeu de carte et que le Président veut garder ce mandat comme un joker. Cette stratégie me semble contreproductive, car il ne fait que repousser la guérison du mal par des antidouleurs. Ses collaborateurs et lui-même continueront de faire face à cette question comme c’est le cas en Côte d’Ivoire avec le président Ouattara, jusqu’à ce qu’il tranche définitivement le débat. 
La démocratie n’est un pas jeu, Elle est un compromis nécessaire pour le bienêtre de tous. Ce n’est pas la lecture de la constitution qui doit conforter ou déranger le Président dans sa mission ; c’est à lui d’avoir le charisme et l’autorité de diriger ses hommes dans le respect de la constitution.  
Si Mahamadou Issoufou du Niger peut le faire, vous pouvez aussi le faire Mr le président ! 

Mieux encore, cet argument renferme certaines limites en termes d’analyse politique. Car toutes les échéances électorales auxquelles il a participé ont montré que la force de Macky Sall réside dans le fait qu’il s’y prend toujours tôt quand il s’agit de bataille politique. En jouant le jeu de la montre à quatre ans des prochaines élections, ce flou ne profite qu’à une seule personne dans son camp…lui. Pendant ce temps, certains opposants prennent de l’envergure politique ; sans compter que cela jette un sacré discrédit sur ses collaborateurs. J’ai envie d’ajouter que si le président a du mal à contenir les ambitions légitimes de ses hommes, ce ne sont pas les Sénégalais qui doivent, encore en payer le prix.  
Quelques minutes et quelques questions plus tard, un second journaliste est revenu à la charge, notant que le Président semble prendre la question du mandat avec beaucoup de légèreté, et rappelant que c’est la constitution qui limite le nombre de mandat à deux. Le Président avait pourtant clairement promis l’année dernière qu’il partirait en cas de défaite mais que cette fois ci, il a plus de mal à avoir la même clarté. Pour répondre au journaliste, il lui adressa une question qui a mon sens, semble être la seule réponse directe à cette polémique, depuis qu’il a été réélu. En effet il rétorqua au journaliste les mots suivants : ‘Pourquoi ma parole de l’année dernière ne pourrait pas être celle d’aujourd’hui ? Qu’est ce qui a changé ?’. Cette question réponse est une première. On pourrait ainsi espérer que le Président serait en train de confirmer ce qu’il avait dit l’année dernière avant les élections à savoir qu’il ne ferait que deux mandats. Mais le journaliste répliqua par une remarque maladroite qui aura malheureusement ou heureusement pour le président, détourné le sujet. En effet, le journaliste affirma que les collaborateurs du président aimeraient savoir sur quel pied danser et que le parti du président n’était pas assez structuré. Ceci offrit, naturellement, au Président une échappatoire après lui avoir servie la meilleure réplique de la soirée.   Le président utilisera ainsi cette échappatoire pour parler de la structuration et l’évolution de son parti, avant d’atterrir, enfin, sur sa ligne de défense préférée : En gros ce débat est sans fin, je suis concentre sur le travail, le moment venu, on s’assiéra et on fera ce qu’il y a lieu de faire, seul Dieu sait ce qui arrivera. 
En choisissant de continuer à maintenir le flou sur cette question, c’est à dire de refuser d’appliquer une mesure qu’il a maintes fois rappelé lui tenir à cœur dans le passé, allant même jusqu’à réformer la constitution dans ce sens. Le Président, garant de la charte fondamentale, ne se rend peut-être pas compte, qu’un autre, peu scrupuleux pourrait être tenté à convoquer cette jurisprudence pour faire des mandats illimités. C’est tout l’effet contraire que devrait susciter une loi constitutionnelle, qui doit être assez impersonnelle, contraignante et claire pour éviter toute ambiguïté. En effet, par ce clair-obscur, le Président est entrain de violer l’esprit même de sa loi sur la limitation des mandats. Une loi qu’il a longuement étayée avant et après l’entrée en vigueur et qui avait pour but encore une fois de régler la question des mandats au Sénégal, un fléau qui gangrène la gouvernance en Afrique. 
Dans un contexte sous régionale marqué par des risques d’instabilités créés par le même flou, et vu l’histoire politique récente du Sénégal, entaché par des morts autour de cette problématique, il est légitime que les Sénégalais redoutent le pire et réclament de la clarté sur cette question fondamentale. Cette demande, légitime, ne peut en rien constituer un obstacle à la réussite de la mission du Président ; même si cela pourrait figurer parmi les nombreux challenges auxquels il doit faire face. Ce sont les aléas de la démocratie. Cette dernière n’offre pas seulement que des avantages, elle renferme aussi des « inconvénients » dont la transparence et le respect de la constitution. 
 
 
Mieux notre démocratie pourrait en sortir plus grandie, car nous sommes dans un contexte inédit, ou nous pouvons assister au premier président cédant sa place, non pas du fait d’une élection ou d’une démission, mais simplement de l’application de règles préétablies par la constitution, avec la fin de son dernier mandat. Un moment qui mérite d’être magnifié et pouvant renforcer le bilan politique du président. 
Le Sénégal mérite cette avancée. 
 
 
Bonne et heureuse année 2020. 
 
 
Demba Babaly Ndiath 
Master en Droit international Public 
Master en Communication 
Université de Nice Sophia Antipolis, France 
Militant du Rewmi  
 
 

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