Si le système éducatif s’est effondré à ce point, les parents d’élèves y ont une responsabilité qui n’est pas assez soulignée. Il leur est reproché de s’être détournés de l’école et de ne plus suivre leurs enfants à la maison. Ce qui laisse à ces derniers une marge de manœuvre très large et nuisible à leurs études.
Le milieu social et le niveau d’instruction des parents sont des déterminants décisifs pour la réussite d’un élève. Cette assertion qui émane des sociologues montrent l’importance de l’implication des géniteurs dans l’instruction de leurs enfants. Justement ! Voilà où le bât blesse au Sénégal. S’il est évident que les parents ne sont pas contents des enseignants, à cause des grèves, il est tout aussi clair que ces derniers sont loin d’être satisfaits de l’attitude des premiers vis-à-vis de l’école. Et c’est le moins qu’on puisse dire. À entendre les pédagogues juger les parents, on a l’impression d’être au prétoire, avec pères et mères au banc des accusés. Les professeurs du lycée Blaise Diagne membres du focus groupe se sentent complètement délaissés par ceux qui devaient être leurs alliés naturels. ‘’Le parent est un éducateur naturel, le professeur un éducateur pédagogique. Il y a une complémentarité entre les deux. Malheureusement, ils ne cherchent même pas à savoir ce que font les enfants à l’école’’, regrette un doyen.
Certains se montrent encore plus sévères. La benjamine du groupe se défausse carrément sur eux. ‘’En réalité, ils n’envoient pas les élèves pour qu’ils viennent apprendre. Ils se débarrassent d’eux’’, martèle-t-elle. ‘’Ils sont à l’école pour ne pas être à la maison’’, renchérit un autre. Les enseignants en veulent pour preuve le rythme de fréquentation de l’école par les parents. Si l’on en croit l’un d’eux, sur une classe d’une soixantaine d’élèves, l’enseignant ne reçoit qu’un à deux parents pendant les 9 mois de l’année. ‘’Un bon parent d’élève doit se rendre fréquemment à l’école pour voir les conditions de travail de son enfant et surtout son comportement vis-à-vis de ses camarades, des professeurs et de l’administration’’, souligne un autre. Ce qui est loin d’être le cas puisque, même lors des grandes réunions avec les parents d’élèves, très peu sont ceux qui se présentent.
Les seules fois où les géniteurs rechignent à faire le déplacement, c’est lorsqu’il y a une crise. Il faut qu’un élève ne soit plus admis en classe sans la présence d’un tuteur ou qu’il soit même renvoyé pour que l’établissement découvre enfin un de ses ascendants. ‘’En 2008, nous avons renvoyé une élève pour bulletin blanc. Elle n’a même pas eu de notes. Sa maman est venue pleurer ici. Elle ne savait même pas que sa fille qui quittait la maison chaque jour avec son sac ne se rendait pas à l’école. Si elle s’était déplacée plutôt pour s’enquérir de l’attitude de son enfant, elle n’aurait pas eu cette si mauvaise surprise à la fin de l’année’’, souligne un prof.
Outre cet exemple, il y a un autre auquel nous avons assisté au CEM Scat Urbam. Après la proclamation des résultats du Bfem, le père d’un élève admis à passer les épreuves du second tour est venu signaler à l’établissement un problème de date de naissance pour son fils. En fait, la date mentionnée sur le bulletin de naissance ne correspond pas à celui qui est sur les papiers des examinateurs. Selon l’élève, le président du jury lui a dit qu’avec cette différence de date, il risque de ne pas être accepté par les examinateurs. Donc, il a appelé son papa à la rescousse. Une attitude difficile à expliquer vu les investissements qu’ils consentent. En effet, ce sont eux qui financent à 80% le fonctionnement des écoles.
« J’ai vu des élèves dans des salles de jeu jusqu’au-delà de 22h »
Par ailleurs, en dehors de la non-fréquentation des établissements, il y a l’absence de suivi à la maison. Les enseignants disent avoir noté que les élèves n’apprennent plus leurs leçons. Sitôt arrivés à la maison, ils ont un autre programme sans aucun lien avec les études. Pour les uns, ce sont des feuilletons télévisés et les matchs de foot qui se suivent sans fin. Pour les autres, ce sont les baby-foot et les salles de jeu. ‘’J’ai vu des élèves dans des salles de jeu jusqu’au-delà de 22h. Cela veut que ces jeunes-là n’ont pas la poigne de leurs parents’’, regrette un enseignant qui propose même à l’Etat la fermeture de ces dits lieux une fois la nuit tombée.
Un autre enseignant se souvient qu’un jour, il avait besoin d’acheter quelque chose à la boutique. Ses jeunes frères étaient dans le salon. Estimant l’heure tardive pour envoyer l’un d’eux, il a décidé d’y aller. A la boutique, il a retrouvé un jeune élève de son établissement préparant du thé. Le gamin en question devait être en classe à 8h. Deux exemples qui, aux yeux des professeurs, prouvent amplement que l’élève n’est plus sous le contrôle de ses parents. ‘’Il y a même certaines mamans qui viennent ici nous demander de parler avec leurs enfants, parce qu’à la maison, ils ne leur obéissent pas. Mais qu’est-ce que nous pouvons faire ? C’est parce que l’éducation a été ratée à la base’’, regrette un autre.
Contrat de performance avec les parents
Pour pallier cela, le principal du CEM Scat Urbam, Moustapha Ndiaye, compte proposer aux parents un contrat de performance, à la rentrée prochaine. En fait, l’école organise d’autres tests globaux en dehors des examens. Il prévoit, à la sortie des résultats de chaque test, de convoquer les parents des élèves qui n’ont pas la moyenne pour une séance d’explications. ‘’Le parent et l’administration vont écouter les enseignants concernés qui vont dire pourquoi l’élève n’a pas la moyenne. Si c’est de notre responsabilité (administration), nous l’assumerons et prendrons des mesures. Si par contre, ça dépend de l’enseignant, il sera mis devant ses responsabilités. Si c’est du ressort du parent. Il sera invité à jouer son rôle. Si maintenant, c’est dû au comportement de l’élève, nous saurons quoi faire’’, détaille-t-il.
Mais au-delà des parents, ils sont nombreux à être convaincus que c’est la communauté elle-même qui a abandonné l’école. M. Ibrahima Gnabaly, professeur d’Histo-Géo, ne croit pas à ces associations des parents d’élèves. Pour lui, ce ne sont que des chasseurs de per diem qui ne disent pas la vérité, de peur d’être écartés par l’Etat de certains postes de sinécure. Il invite donc ‘’la grande majorité silencieuse’’ à prendre la parole et surtout à agir. Il est rejoint en cela par M. Ndiaye qui veut lui aussi que cesse la dualité, pour ne pas dire le duel enseignant-Etat. Et pour cela, il faut que la communauté fasse de l’école son affaire, mais aussi sa priorité.
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