Au-delà des larmes diversement interprétées et des qualités rhétoriques de l’auteur, j’estime que la quintessence de la sortie d’Idrissa Seck se trouve dans les positions économiques qu’il a défendues pour, disait-il, permettre la création d’emplois et entraîner, par voie de conséquence, la richesse. Même si je ne supporte pas la posture politique de l’homme, j’admets, comme lui, que le développement du Sénégal passe inévitablement par un virage économique qui s’appuie sur le secteur privé. Bien évidemment, l’État et la fonction publique ne peuvent pas du tout absorber les milliers de demandeurs d’emplois sortant des universités et qui viennent grossir annuellement le rang des chômeurs existants sans compter les milliers d’autres jeunes qui n’ont aucune formation académique. Toutefois, la promotion du secteur privé passe d’abord par la mise en place de conditions socioéconomiques favorables à l’investissement étranger et la stimulation d’un environnement interne des affaires qui pousserait notre population active à entreprendre. Cette dernière exigence passe indéniablement par un système éducatif qui prépare notre jeunesse à se lancer aux affaires, d’où la nécessité de repenser l’école sénégalaise.
Un état des lieux
Après plusieurs décennies de colonisation, beaucoup de pays africains, dont le Sénégal, ont accédé à l’indépendance dans les années 60. Si, dans cette nouvelle donne, le bonheur d’être affranchi et le sentiment de prendre son destin en main ont animé les tout nouveaux dirigeants africains et leurs peuples, un obstacle majeur s’est toutefois dressé sur leur chemin : quel système de gestion étatique faudrait-il mettre en place? Avec une élite intellectuelle qui a jusqu’ici fréquenté l’école du colon et séjourné dans les grandes universités françaises, il va sans dire que la marche de l’État sera inéluctablement calquée sur le modèle de gestion occidentale et plus particulièrement française. Du système économique au fonctionnement des institutions, en passant par l’architecture du milieu scolaire, aucun démembrement de l’État ne sera le fruit exclusif de l’imagination des intellectuels africains basé sur nos valeurs culturelles.
Ainsi, notre système scolaire, du primaire à l’université, des années indépendances jusqu’à nos jours, n’est que la copie du modèle français avec tout ce que cela comporte comme limites formelles, dont la plus grande demeure la formation trop théorique et largement généraliste. Pire, l’État qui tient à garder la mainmise sur la marche du pays et pour plusieurs autres raisons, s’impose, en grande partie, comme le seul pourvoyeur d’emplois. Ainsi, pour les futurs diplômés, surtout ceux des lettres et des sciences humaines, il serait illusoire de penser exercer une profession en dehors de la fonction publique. Ce type paternaliste de gestion qui tire ses racines du socialisme, même s’il a fonctionné dans le passé, à cause principalement du nombre réduit des étudiants qui sortaient des universités, montre aujourd’hui toutes ses carences.
Un enseignement plus technique au lycée
Il est partagé dans l’imaginaire des élèves sénégalais que le baccalauréat doit nécessairement mener à des études supérieures. Pour beaucoup, nulle réussite ne peut être envisagée en dehors d’un diplôme universitaire. Ce qui est totalement faux. Toutefois, il est du ressort des autorités et des gestionnaires de l’éducation de mettre en place les conditions optimales qui entraîneront un changement des perceptions. L’une d’elles est l’application d’une formation duale au lycée. En effet, il s’agit d’accorder une place grande place à l’enseignement technique et d’introduire l’apprentissage de certains métiers semi professionnels à côté d’une formation générale menant à des études de sciences humaines ou sociales. Il est clair que cette nouvelle programmation ne pourra se réaliser qu’avec l’étroite collaboration du secteur privé et des entreprises publiques. En effet, des stages seront essentiels pour une expérience pratique sur le terrain. Donc, l’État pourrait négocier avec le patronat des quotas annuels de stagiaires moyennant certains allègements fiscaux ou par le truchement d’autres types d’avantages.
Bref, c’est pour dire que le capital humain est à la base de toute richesse. En effet, comme l’expliquent les économistes, si le capital naturel (mines, forêts, agriculture, pêche) est une des composantes de l’activité économique, donc de la richesse nationale, c’est le capital humain, soit la main d’œuvre d’un pays et son niveau de productivité et d’expertise, qui est le pivot du développement de la richesse. Un État dont les entreprises disposent d’une main d’œuvre bien formée pourra développer son capital technique (infrastructures, expertises et percées technologiques) et, du même coup, assurer sa prospérité économique.
L’exemple japonais
Après une capitulation sans conditions qui met fin à la Seconde Guerre mondiale et devant un pays ruiné, les dirigeants japonais décident que leur pays retrouvera sa place sur l’échiquier mondial en devenant une grande puissance économique. Pour y parvenir, ils misent sur leur principale ressource : une population nombreuse et scolarisée. Ils investissent massivement dans l’éducation, la formation, les technologies et le développement des méthodes industrielles. Résultat : les entreprises et les multinationales japonaises ont conquis les marchés internationaux avec leur industrie automobile et celle des technologies de pointe dans les télécommunications, l’audiovisuel et l’informatique. Ce petit pays dont le territoire compte peu de ressources naturelles comme le Sénégal, est devenu en deux ou trois décennies un des pays les plus riches du monde, et fait d’ailleurs partie du puissant G8.
Prendre un nouveau cap à l’Université
Pour la grande majorité des jeunes, l’université a été le premier endroit d’actualisation de soi, de véritable affirmation de la personnalité et de mise à l’épreuve de la responsabilité individuelle : gestion rigoureuse de la bourse, du temps alloué aux études et aux autres activités parascolaires. Ainsi, même s’il faut permettre à un grand nombre de jeunes d’accéder à des études universitaires, il faut, par ailleurs, avouer que la façon systématique de recrutement des étudiants laisse à désirer. Sans parler d’exclusion d’une certaine frange de la population, il nous semble que l’université devrait être réservée aux plus méritants et à ceux qui veulent se spécialiser dans certains domaines.
En effet, comment comprendre ce besoin irrémédiable de chaque nouveau bachelier d’aller remplir les campus universitaires déjà pleins alors qu’on sait pertinemment que seule une petite minorité arrivera à trouver un travail décent et compatible aux divers domaines de compétence? Comment expliquer le fait qu’un maîtrisard soit payé à 100.000 CFA/mois ou moins après plus de seize ans de scolarité? Poser la question c’est y répondre. Cela prouve qu’il y a beaucoup de choses qui ne marchent pas dans notre système universitaire et qui demandent à être modifiées.
L’État devrait se désengager de plus en plus en laissant une plus grande autonomie à chaque université. Celle-ci, en fonction de ses critères bien définis, choisira les modalités d’acceptation ou pas des futurs étudiants. Un changement de perspective devrait également pousser les autorités à arrêter de se positionneur comme des assistants sociaux envers les étudiants. En effet, dans la perception de chaque étudiant, il est du devoir des services publics d’assumer à la fois le paiement des études, l’octroi d’une aide financière et, cerise sur le gâteau, de vous trouver un travail au terme des études. Ce penchant attentiste, qui est, du reste, entretenu par l’État lui-même, inhibe toute forme de créativité et de déploiement des réels potentialités de l’individu surtout en matière de création de petites entreprises ou de toute autre forme d’emploi dont le nouveau diplômé serait l’instigateur principal.
Il serait alors important que l’État, par le truchement des banques, par une redéfinition du budget alloué à l’éducation et des objectifs poursuivis par cette dernière songe à encourager les jeunes à devenir des entrepreneurs et à lancer leurs propres affaires et cela, dès l’obtention du baccalauréat. Il s’agit en fait de faciliter l’accès au crédit à tous les jeunes qui ont pour ambition de rester au pays et de mener un travail indépendant.
De même, pour les futurs étudiants qui désirent poursuivre des études universitaires réfléchir à un système de prêt et bourse qui impliquera très certainement la responsabilité de chaque créditeur. Avec, au préalable, une réflexion approfondie sur le sujet en dehors de tout calcul politique et avec l’aide des spécialistes dans le domaine, cette alternative, si elle se réalise, pourrait réduire considérablement le chômage des jeunes, empêcher l’engorgement des universités et propulser le dynamisme économique.
Lamine Niang
Enseignant-Consultant pédagogique
Montréal, Québec
http://www.lamineniang.blogspot.ca