Diaspora, fuite des cerveaux, universités: mythes et réalité par Samba Diop Ph.d

Date:

*Cet article est dédié à la mémoire de Madior Fall, ami et anciennement journaliste à Sud Quotidien à qui j’avais promis un papier sur ce sujet ce, à la suite de discussions passionnées que j’ai eues à plusieurs reprises avec Madior à Dakar ; à cause de contingences et d’impondérables liés à mes nombreux déplacements ainsi qu’un livre sur lequel je travaillais (paru depuis lors), je n’avais pas pu honorer mon engagement à temps. Mais comme le dit l’adage, mieux vaut tard que jamais.

Le but de cet article est de démêler les liens tissés autour de ces deux concepts de Diaspora et de fuite des cerveaux ainsi que d’essayer de clarifier une certaine confusion qui règne dans les débats portant sur ces deux notions, en plus d’arguments portant sur l’enseignement supérieur. Il existe un lien organique entre les deux idées. Le concept de Diaspora a été porté sur les fonts baptismaux par les Juifs qui ont été exilés de l’ancienne Palestine et se sont dispersés à travers le monde, d’abord en Egypte selon les sources bibliques (Ancien Testament). Dans son acception moderne, le concept de Diaspora a été étendu à tout groupement humain qui quitte son territoire ou pays d’origine et émigre sous d’autres cieux surtout pour des raisons économiques, c’est-à-dire à la recherche d’un mieux-être que le pays d’origine ne peut pas assurer. Ainsi, suivirent, plus récemment et dans un ordre non chronologique et non séquentiel, d’autres diasporas : chinoise en Europe, dans les Amériques et en Asie du sud-est ; japonaise dans les Amériques ; turque en Allemagne ; coréenne en Amérique du nord ; pakistanaise et indienne en Angleterre ; nigériane et ghanéenne en Angleterre ; on a aussi les travailleurs algériens, marocains et tunisiens en France et en Europe ; Caribéens et Antillais en France et Amérique du nord ; les égyptiens dans les pays du Golfe, ainsi de suite. Dès l’entame, nous nous devons de préciser la différence entre l’idée de Diaspora, d’une part, et la colonie de peuplement, de l’autre. Dans le premier cas, il y a , toujours, en arrière-plan et en filigrane, l’idée de retour, comme dans l’exemple concret des Noirs américains qui reviennent en Afrique ou des Juifs qui retournent dans l’Etat moderne d’Israël; ce retour peut aussi être fictionnel, il n’a jamais lieu et demeure donc dans les sphères de l’imaginaire, du souvenir et de la nostalgie : comme exemple on a les rastafaris de la Jamaïque qui invoquent en permanence le retour en Afrique mais la plupart d’entre eux ne mettront jamais les pieds sur le continent; ainsi a-t-on une combinaison de l’abstrait et du concret. Dans le cas de la colonie de peuplement, une fois qu’on quitte le pays d’origine, on met une croix sur l’idée de retour et c’est le cas des Européens qui ont émigré en masse, à partir du 16ème siècle (avec un pic au 19ème) dans les Amériques, en Australie et dans le Pacifique ainsi que les Européens qui se sont installés définitivement en Afrique : Kenya, ancienne Rhodésie, Afrique du sud, pays dans lesquels le climat est tempéré et plus clément, sans oublier les Français qui se sont installés au Québec depuis le 16ème siècle. Plus tard, les descendants de ces immigrants ‘définitifs’ blancs reviennent, comme touristes, visiter le pays d’origine de leurs ancêtres mais il ne faut pas s’y tromper : un Américain est un américain et le reste même s’il sait que ses ancêtres viennent d’Europe, la même chose peut être dite du Sud-africain blanc, du Québécois ou de l’Australien d’aujourd’hui. La même chose peut aussi être étendue à ceux nés à l’étranger mais dont les parents sont sénégalais. Les 2ème, 3ème, 4ème générations nées de parents sénégalais en Europe, USA ou ailleurs en Afrique se comportent—et se comporteront—comme les Australiens et Américains cités ci-dessus en ce sens que le Sénégal est—et sera—juste le pays de l’ancêtre, du primo migrant (1ère génération) et c’est tout. La réalité et la vie quotidienne de ces descendants se passent dans leur pays de naissance et pas dans le pays d’origine, du premier ancêtre. En général, la 2ème génération est prise dans ce que l’on appelle ‘l’entre-deux’, c’est-à-dire le fait d’être écartelé entre deux cultures, deux langues, deux visions du monde et deux sociétés. Cet état de fait n’est valable que pour la 2ème génération car, comme je l’ai remarqué tantôt, plus on avance dans le temps, plus les générations suivantes ont une souvenance diffuse du pays d’origine du premier ancêtre, du primo immigrant. Comme conclusion provisoire, tout juste faut-il noter que l’immigration et l’errance des hommes à travers la planète Terre sont aussi vieilles que le monde.
Après ce bref aperçu historique, penchons-nous à présent sur le cas de la Diaspora sénégalaise.
L’accent est souvent mis sur la Diaspora sénégalaise vivant en Europe et en Amérique du nord mais on oublie qu’il y a plus de Sénégalais vivant dans les autres pays africains (le Sud) que dans le Nord (Europe et Amérique). Il est vérifiable que la Diaspora sénégalaise vivant dans les autres pays africains a tendance à être plus économique (artisans, ouvriers, etc.) qu’intellectuelle ; par ‘intellectuel’ il faut comprendre le fait que beaucoup de Sénégalais et d’Africains vont en Occident pour étudier et, ensuite, certains décident de s’y installer définitivement tandis qu’à l’intérieur de l’Afrique, on émigre avant tout pour des raisons économiques. S’il est aussi vrai que chaque Diaspora a ses spécificités, ce n’est pas la peine de réinventer la roue car dans le contexte actuel moderne de la mondialisation, il y a plus de similarités entre les différentes Diasporas qu’il n’y a de différences. Ainsi, le retour définitif au bercail concerne surtout la première génération qui a quitté dans les années 1950, 1960 et 1970, qui est à la retraite—ou qui s’en approche—et dont les enfants sont nés ou en grandi en France par exemple ; ces derniers n’ont pas la même approche concernant le retour au bercail car ils sont tenaillés entre deux ou plusieurs cultures et langues. Ensuite, au début des indépendances, après avoir fini les études, on rentrait pour construire le pays, la nation nouvellement indépendante ; souvent, ces études étaient financées grâce à des bourses, donc il tombe sous le sens que ceux dont on a financé les études rentrent pour travailler (rembourser ?) pour le pays. Cependant, depuis environ 30 ans, ce n’est plus le cas car beaucoup d’étudiants africains en Europe ou aux USA n’ont pas—ou n’ont pas eu–de bourse et se battent pour payer leurs études par eux-mêmes. Cela ne veut pas dire qu’ils ne doivent pas revenir au bercail et y travailler, il y a la réalité que cet état de fait modifie en profondeur le concept de ‘fuite des cerveaux’. Beaucoup de cadres de la Diaspora veulent bien revenir au pays pour contribuer à son développement et à son épanouissement ; il en est de même pour beaucoup de jeunes qui viennent juste de terminer leur PhD ou doctorat en Europe, en Amérique du nord et ailleurs mais rien—ou très peu—n’est fait pour encourager le retour sur investissement ; souvent l’insuffisance de postes budgétaires est la raison invoquée à propos du non-recrutement de ces cadres. En plus, nous avons une population très jeune, le nombre à scolariser et à former est si élevé que la demande dépasse l’offre et l’Etat ne peut pas, seul, prendre tout cela en charge. Encore une fois, je reviens sur l’idée de l’implantation massive et le maillage conséquent, à travers le territoire national, d’universités, d’écoles professionnelles, genre CFPA ou Community College aux USA où, en 2 ans on peut former des techniciens dans des formations courtes, pratiques et diplômantes de deux ans dans des domaines aussi variés que la plomberie, l’informatique, l’électricité, la mécanique, l’ébénisterie, le froid, etc. et d’instituts privés dans toutes les filières.
Cette stratégie aidera à absorber beaucoup de cadres et de techniciens (à l’intérieur comme à l’extérieur) voulant travailler dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche et qui ne peuvent pas être embauchés dans les universités publiques. Ce projet doit être couplé
avec l’entreprenariat. Tout le monde n’est pas et ne doit pas être destiné à l’enseignement supérieur. Dans cet exercice de création d’instituts ou de sociétés dans le secteur privé, on doit absolument se garder d’y mêler la politique politicienne car cette dernière n’a aucunement sa place dans des projets hautement techniques, lesquels ont pour finalité la satisfaction et la prise en charge des besoins des populations. On a cette fâcheuse tendance au Sénégal à mêler la politique politicienne à tout. On doit aussi ‘sectorialiser’ les domaines de compétences et d’expertises, voulant signifier par là que chacun agît seulement dans son domaine de compétence, ainsi développe-t-on de vrais Leaders dans chaque domaine ; mettre l’homme/la femme qu’il faut à la place qu’il faut ; on ne fera que rendre à César ce qui lui appartient. Dans le même ordre d’idées, les porteurs de projets et d’idées novatrices et imaginatives doivent être encouragés et soutenus ; à cet effet, une agence comme l’APIX ne doit pas avoir pour seul but d’attirer les investisseurs étrangers mais doit aussi payer attention aux nationaux du dedans comme du dehors. En général, on a le sentiment (et il est banal de le dire) que les conditions d’accueil et la politique d’utilisation des cadres africains en Afrique encouragent la fuite des cerveaux. Cependant, là où il y a la méritocratie, une concurrence saine et l’évitement des situations de rente et de monopole, il n’y a pas raison d’avoir peur car les meilleurs vont émerger et tirer le reste vers le haut, verticalement, comme le fait la locomotive par rapport aux wagons mais de façon horizontale. Qui a peur se meurt, comme le dit l’adage. Il y a de la place pour tout le monde donc il n’y a pas de raison d’avoir peur de quoi que ce soit. Tout ceci est vraiment dommage car ces pays pauvres du Sud comme le Sénégal ont formé leurs cadres, ont dépensé des sommes faramineuses là-dessus pour, qu’au final, les pays riches et développés du Nord les leur chipent sous leur nez et barbe. Les pays du Nord et l’Occident en général savent ce qu’ils veulent, pouvant reconnaître la valeur, l’expertise et l’excellence (d’où qu’elles viennent) et en faire une utilisation judicieuse au lieu de perdre du temps dans des considérations politiciennes ou crypto-personnelles ; il ne faut pas leur en vouloir. Comme le dit aussi l’adage, ‘nul n’est prophète chez soi’ car beaucoup de Sénégalais évoluent à travers le monde, y brillent, leurs compétences sont appréciées et reconnues et c’est tant mieux. On a comme l’impression que, au Sénégal en particulier et en Afrique en général, nous voulons une chose et son contraire, le beurre et l’argent du beurre, en l’occurrence, ne pas encourager le retour des cadres de la Diaspora et ne pas non plus utiliser de façon judicieuse les ressources humaines présentes sur place et puis, dans un même mouvement, on se retourne pour pleurnicher sur la fuite des cerveaux ! Il faut juste préciser que, de nos jours, le concept de ‘retour au pays’ lui-même a changé et a acquis, de ce fait, des contours, aspérités et modalités variés. Dans un article récent (cf., Le Quotidien du 15 février), j’y indiquais que nos gouvernants doivent faire preuve de plus d’imagination et d’innovation dans l’utilisation de la Diaspora sénégalaise dans son ensemble comme le font les Turcs ou Indiens. De quoi s’agit-il ? Avec les nouvelles Technologies de l’information et de la Communication-TIC (Internet, Skype, enseignement à distance/en ligne, téléphonie mobile, vidéo conférence, etc.), les voyages inter continentaux rapides en jet, la télévision satellitaire, etc., les distances se sont considérablement rétrécies. En plus, beaucoup de cadres de la Diaspora voyagent, travaillent et résident dans plusieurs pays à la fois, incluant le Sénégal, le pays d’origine. Il faut se rendre compte que cette Diaspora est variée, diverse et multiforme même s’il faut avoir en tête une politique d’ensemble. On est donc en présence d’une situation nuancée, complexe et mouvante. Ainsi, certains cadres peuvent revenir définitivement tandis que d’autres reviennent ponctuellement, dépendant de leur expertise et projets sur lesquels ils travaillent. Ainsi des ponts sont établis entre le pays d’origine et le pays d’établissement ce qui, à son tour, facilite les transferts de technologie et de savoir-faire ; on n’est pas obligé d’être toujours physiquement présent au Sénégal. Ensuite, il ne s’agit pas de recruter tout le monde à tour de bras dans la Fonction Publique sénégalaise ou de donner à tout le monde des sinécures, strapontins ou des postes de Ministres ou de DG. Au contraire, le Sénégal doit compter sur sa Diaspora afin de développer, de créer et d’encourager un secteur privé dynamique, en tandem avec les réalités et besoins locaux et avec les ressources humaines disponibles sur place. Comme je l’ai indiqué dans l’article du 15 février, on peut, par exemple, réfléchir sur comment canaliser les mandats envoyés par les immigrés vers des secteurs productifs et créateurs d’emplois (dans l’agriculture par exemple) au lieu de se cantonner à faire jouer à ces envois d’argent leur rôle traditionnel de subsistance pour les familles restées au pays. Le domaine de l’éducation et de la formation est aussi un domaine où on doit encourager les intellectuels, enseignants et cadres de la Diaspora à venir créer des instituts, écoles de formation et universités privés afin de complémenter l’effort de l’Etat qui, disons-le tout de suite, n’est pas en mesure d’offrir l’enseignement supérieur à tous les bacheliers même s’il faut reconnaître que des efforts sont en train d’être faits dans ce sens ; dernièrement l’idée a été avancée d’inscrire les bacheliers non orientés dans l’enseignement supérieur public dans des instituts privés reconnus par le CAMES. Est-ce une solution pérenne ? Est-on en train de mettre les bœufs avant la charrue ? L’Etat a-t-il les coudées franches dans les moyen et long termes pour poursuivre cette politique ? Est-ce que cela ne pose pas la question d’un traitement égalitaire pour tous ? Est-ce mettre un cautère sur une jambe de bois ? Puisque la crise de l’enseignement supérieur dure depuis environ 30 ans, ne vaudrait-il pas mieux faire les choses posément, après mûres réflexions et de larges concertations, avec des solutions durables à la clé plutôt que de se précipiter et prendre des décisions qui s’avéreront inefficaces en fin de compte ? Dans une entreprise de cette envergure, le chemin à parcourir, le processus, est aussi important que l’objectif final. Justement, en parlant du CAMES, j’en profite pour ouvrir une petite parenthèse concernant la réforme du LMD (Licence-Master-Doctorat) présentement en cours ; cette dernière doit être appréhendée à deux niveaux : enseignant et étudiant. Les grades des enseignants doivent être revalorisées et mises en adéquation et à niveau avec les grades des autres universités à travers le monde ; à cette fin, des passerelles doivent être créées afin d’accommoder les détenteurs de doctorat ou de PhD dans d’autres systèmes éducatifs ainsi que des étudiants car, ne l’oublions pas, le LMD est une standardisation graduelle universelle du système de l’enseignement supérieur, lequel est copié sur le système anglo-saxon (Bachelor-Master-PhD) ; le LMD a surtout été consacré par le Processus de Bologne (1992) quand la plupart des pays européens ont réformé leur système universitaire en adoptant le LMD et l’ont, par la même occasion, standardisé par rapport aux recommandations du Processus de Bologne de telle sorte qu’une Licence en France est valable en Suède et vice-versa, pas besoin d’établir des équivalences. Il est inadmissible, voire anachronique, qu’un professeur titulaire ou un maître de conférences aux USA ou au Canada voulant enseigner au Sénégal se voit proposer de redescendre au grade de maître-assistant pendant que son dossier est envoyé au CAMES pour évaluation alors, qu’à l’inverse, les universitaires sénégalais et africains qui quittent le continent et sont recrutés aux USA le sont par rapport au grade qu’ils ont dans leur université d’origine ce qui, à mon avis, a plus de sens. Quand on est maître de conférences dans une université sénégalaise, on a automatiquement son équivalence (Associate Professor) dans le système universitaire américain ; pareillement, un professeur titulaire au Sénégal est ‘full professor’ aux USA et ainsi de suite. L’autre versant de la réforme LMD concerne les étudiants ; là aussi, l’encadrement des étudiants par un nombre suffisant d’enseignants et de chercheurs est la clé de réussite de la réforme, car contrairement à l’ancien système du DEUG, Licence et Maîtrise dans lequel on pouvait être dans un cycle inférieur (disons en 2ème année de DEUG) et s’inscrire en année de Licence le temps de terminer les cours de 2ème année auxquels on n’a pas réussi, ceci est impossible dans le système LMD car ce dernier est construit autour de modules par année d’études (Freshman, Sophomore, Junior, Senior, correspondant aux 4 années du Bachelor ou de la Licence du système LMD) qu’il faut obligatoirement compléter avant de passer au palier supérieur. Donc, le ratio enseignant-étudiant doit répondre aux normes internationales en vigueur, en plus d’être bas, le seuil étant 30 étudiants par enseignant, au maximum. Enfin le recrutement en Master des étudiants ayant leur Licence ou passer du Master au PhD n’est pas automatique, il y a forcément une sélection rigoureuse à ces deux niveaux. Le danger qui guette la réforme du LMD en cours au Sénégal est de la conduire de façon partielle (comme nous avons l’habitude, souvent, de ne pas mener les choses à leur terme et de bien les faire) et, ainsi, assurer l’échec de cette réforme du LMD. Comme résulta final, on a des demi-réformes, pour ne pas dire des réformettes. Je n’ai donné ci-dessus que quelques exemples à propos de ce système complexe qu’est le LMD. Ensuite, ne nous voilons pas la face, la plupart des membres de l’élite sénégalaise politique, économique et intellectuelle envoient leurs enfants étudier dans des universités et instituts publics et privés en Europe et en Amérique du nord et nul ne peut empêcher ces gens fortunés d’envoyer leurs enfants au Nord pour étudier; seuls les jeunes bacheliers dont les parents n’ont pas les moyens de le faire envoient leur progéniture dans les universités sénégalaises qui, c’est un secret de polichinelle, sont dans une crise et une léthargie profondes et ceci, malgré les efforts immenses et sacrifices énormes consentis au cours des décades passées par le corps enseignant et le personnel administratif. Il est évident que l’Etat n’a pas accompagné comme il le fallait—par le biais de recrutement massif d’enseignants-chercheurs et l’érection soutenue et suivie d’infrastructures—ces efforts et sacrifices. Ainsi, en créant plusieurs universités privées d’excellence et de qualité sur place, cela incitera les riches, l’intelligentsia et l’élite à faire scolariser et former leurs enfants sur place ; ce faisant, les devises dépensées à l’étranger resteront sur place ; comme je l’ai remarqué auparavant, il y aura un volet social pour venir en aide aux élèves brillants mais qui n’ont pas les moyens de payer les frais de scolarité. D’aucuns diront que ces universités privées ne seront fréquentés que par les enfants de riches ; pas forcément car comme je l’ai brièvement indiqué plus haut, par le biais d’une combinaison d’actions philanthropiques, de soutiens de la part des Fondations, de sponsorisations par le secteur privé, de levées de fonds, etc. des bourses seront mises à la disposition d’élèves brillants mais issus de milieux modestes. Dans une université comme Harvard University (où l’auteur de cet article a enseigné de 1997 à 2005 comme Assistant Professor), plus de la moitié des étudiants sont boursiers même s’ils sont de issus de familles fortunées. L’enseignement supérieur de qualité que l’élite va chercher à l’extérieur sera désormais disponible sur place, ici au Sénégal. Enfin, faut-il le rappeler car la répétition est pédagogique, une compétition saine est nécessaire dans tous les domaines de l’économie et même de la vie ; un enseignement privé de qualité forcera les universités publiques à relever leur jeu de la même manière que la chaîne de télévision publique, la RTS, pour ne pas la nommer, a été obligée (forcée ?) d’abandonner son monopole grâce à la survenue de chaînes privées (TFM, Walf, 2sTV, etc.). Il en va de même dans le domaine de la téléphonie mobile (Orange, Expresso, Tigo, etc.) ; Pareil pour le domaine de la banque et du sport. On peur multiplier les exemples à l’infini. Là où il y a une offre variée et une concurrence saine et stimulante, le consommateur est gagnant, en plus du fait que les prestataires de services sont obligés de proposer des produits excellents sinon on a toujours le choix d’aller voir chez le voisin. Dans une économie de marché, capitaliste de surcroît, en vigueur au Sénégal, le public et le privé doivent coexister et se compléter, les situations de rente et de monopole étant, non seulement nocives mais, en plus, ne marchent pas et ne marcheront jamais. Le rôle de l’Etat n’est pas de créer des richesses, des emplois ou de la plus-value, c’est au secteur privé de le faire. L’Etat n’a pas vocation non plus, ne peut pas et ne doit pas recruter tout le monde. L’Etat doit s’assurer, en tant qu’arbitre, que les règles du jeu sont bien respectées, qu’il y a une concurrence saine, laquelle entraîne, ipso facto, une stimulation et pousse ainsi les acteurs en présence à tendre vers l’excellence. Dans certains pays émergents (Brésil, Turquie, Indonésie, Malaisie, Inde, etc.), L’Etat crée les infrastructures de base (routes, ports, zones économiques nouvelles, aéroports, chemins de fer, etc.) et facilite l’avènement d’une main d’œuvre bien formée et qualifiée afin d’attirer les investissements et capitaux étrangers privés comme publics, incluant ceux de leurs Diasporas. On attend la même attitude de l’Etat sénégalais. In toto, l’imagination et l’innovation dont doivent faire preuve l’Etat sénégalais et les décideurs en général consistent à créer un environnement propice à la floraison de projets variés et diversifiés dans le secteur privé pour ceux qui ont les capitaux ou l’expertise ou les deux à la fois. L’innovation consiste aussi à se rendre compte qu’il n’y a pas de pointure unique, il ne s’agit pas de tailler le même costume pour tout le monde ; un simple exemple : beaucoup de membres de la Diaspora sénégalaise ne rentreront jamais au pays, ils mourront et seront enterrés dans leurs pays d’accueil. Il faut tenir compte de la diversité des individus, des savoir-faire et des expertises et, de ce fait, favoriser les conditions idoines afin de capitaliser sur cette pluralité. Le Sénégal appartient à tous les Sénégalais et Sénégalaises, qu’importe leur affiliation politique, identité ethnique, penchant linguistique ou option religieuse et non pas à un groupe quelconque.
En conclusion, il faut préciser que l’idée ici n’est pas que le Sénégal sera construit par sa Diaspora seulement ou que cette dernière va jouer un rôle de messie ; loin de là ; cependant, dans le même sillage, ce pays ne se fera pas sans sa Diaspora comme le dit si bien l’architecte Pierre Atépa Goudiaby dans son dernier ouvrage (cf., Oser : douze propositions pour un Sénégal émergent). L’idéal est la conjonction des synergies entre les forces de l’intérieur et celles de l’extérieur. Reconnaissons que la face car l’élite politique, intellectuelle et économique sénégalaise restée sur place, au pays, appartient, dans une certaine mesure, à la Diaspora car beaucoup ont fait leurs études, ou ont vécu, voyagent souvent ou ont des membres de leur famille immédiate biologique vivant en France, en Europe ou en Amérique du nord. Quand elle est malade, l’élite sénégalaise se soigne en Occident, en Europe et aux USA en particulier. Beaucoup de membres de cette élite sénégalaise ont acquis des propriétés et richesses immobilières, ont des comptes bancaires, ont acquis une autre nationalité et/ou ont investi en Europe, en Amérique du nord et ailleurs. Donc, on est en présence d’une élite extravertie. Ainsi, cette élite autochtone—mais ayant des liens organiques forts avec la Diaspora—qui est aux manettes du pays est mieux outillée que quiconque pour comprendre les arguments exposés ci-dessus. Le Sénégal et l’Afrique sont en chantier, tout y est à construire et à bâtir, c’est la nouvelle frontière ; conséquemment, on a besoin de tous les bras, de toutes les compétences, de tous les cerveaux, sans exclusive ; on ne peut pas se permettre de faire la fine bouche. Les choses peuvent être difficiles mais pas impossibles et il y a une solution à tout problème. Nous devons avoir de grandes ambitions, sortir des sentiers battus et prendre en compte la remarque de Einstein comme quoi, ‘le summum de la stupidité est de vouloir faire toujours la même chose et espérer des résultats différents’. On doit inverser la tendance et attirer les matières grises et les cerveaux vers l’’Afrique. Il nous faut aussi de la générosité et de l’enthousiasme car, comme le dit si bien Balzac, ‘le manque d’enthousiasme est signe de médiocrité.’ Au Sénégal et en Afrique, nous sommes une société, une culture dans laquelle on vit trop dans le présent ; nous ne nous projetons pas suffisamment dans le futur, il n’y a pas assez de Prospective, idée chère au Président Senghor, en plus du concept cartésien d’organisation et de méthode ; nous aimons l’immédiateté et les jouissances du présent ; c’est la métaphore de planter un manguier aujourd’hui, le voir grandir aujourd’hui, récolter les fruits et s’asseoir sous son ombre le même jour, ce qui est impossible, nous l’admettrons tous. Comme le révèle Lee Kuan Yew, ancien Premier Ministre et bâtisseur de la Cité-Etat moderne de Singapour dans son dernier livre (Lee Kuan Yew : The Grand Master’s Insights on china, the United States, and the World), s’il faut interpréter le passé, comprendre le présent, il faut, par la même occasion, essayer de deviner le futur. Il est grand temps que l’élite et l’intelligentsia sénégalaises (et africaines) posent des actes pour la postérité ; ainsi, les générations futures, à naître, leur en sauront gré.

Samba DIOP – PhD, Professeur Titulaire des Universités – Oslo, Norvège, Lagos, Nigeria
Email: [email protected]

1 COMMENTAIRE

  1. Texte tres bon!

    Il faut que l’universite senegalaise change ses criteres de selection, il y a trop de doctorants au Senegal.

    Pour la maitrise il faut qu’on exige au moins 12/20 de moyenne cumulative aux licenciers et une experience professionnel(Stages, CDD ou CDI)

    Pour le doctorat: il faut exiger 15/20 de moyenne aux maitrisards et un CDI, un test d’evaluation du niveau de francais et d’Anglais et etre enseignant dans une institution.

    A CONSIDERER
    Pour l’orientation des bachelier il faut laisser a l’eleve faire son choix et non pas privillegie ses notes de BAC. Il a des eleves issuent de series litteraires qui sont plus scientifiques que des eleves sortis de series S2. En micro economie, statistiques et probabilites, chimie j’ai vu des litteraires tres forts.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

CAN 2023

DEPECHES

DANS LA MEME CATEGORIE
EXCLUSIVITE

De la saine définition des priorités (par Amadou Tidiane Wone)

En ce 21ème siècle, et dans plusieurs domaines de...

Les transhumants (Par Makane)

Du camp défait par les urnesEn rangs épars, temps...

Assemblée nationale : Échanges téléphoniques entre Macky Sall et les députés de Benno Bokk Yakaar

XALIMANEWS-L’ancien chef de l’Etat, Macky Sall a eu une...