La ministre de la Santé et de l’Action sociale, Awa Marie Coll Seck, a effectué ce jeudi une visite à l’Institut Pasteur de Dakar pour remercier le personnel pour son implication dans la riposte contre Ébola au Sénégal et en Afrique de l’Ouest. Dans ce centre qui porte le nom du célèbre biologiste français, le virus, qui a fait plus de 2000 morts dans la sous-région, est voué à être neutralisé, inactivé et incinéré.
Tout a commencé le 20 mars dernier. La Guinée sollicite l’aide de l’Institut Pasteur de Dakar (IPD). Une épidémie inconnue a fait son apparition dans le pays.
Les autorités sanitaires ont effectué des prélèvements sur des malades, mais les compagnies aériennes refusent d’acheminer les échantillons dans la capitale sénégalaise pour analyse au niveau du centre qui porte le nom du célèbre chimiste français.
Dans une correspondance alarmiste, le ministère guinéen de la Santé demande aux équipes de l’IPD de faire une descente à Conakry pour éclairer leur lanterne. Le temps presse. Il y a des morts. La population est prise de panique. Les pouvoirs publics sont dans l’angoisse.
Trois jours après, une équipe de l’IPD foule le tarmac de l’aéroport de Conakry. Il est 20 heures. Huit tours d’horloge plus tard, le temps d’installer son laboratoire mobile et de procéder aux analyses sur les premiers prélèvements mis à sa disposition, elle découvre le pire. Ce qu’un laboratoire lyonnais avait confirmé quelques heures plus tôt, s’avéra juste : la Guinée est touchée par Ébola. À ce jour, l’épidémie y a fait 601 morts sur 942 cas recensés.
Le labo mobile de l’IPD en pivot
Dès l’installation à Donka (Sud) du laboratoire mobile de l’Institut Pasteur de Dakar, les prélèvements pleuvent. Ils viennent d’un peu partout de la Guinée et même d’ailleurs puisque l’équipe de l’IPD a pu diagnostiquer les deux premiers cas d’Ébola du Liberia après avoir reçu 7 prélèvements des autorités sanitaires de ce pays.
Ces « exploits » en un court laps de temps ont sûrement compté dans la décision de l’Organisation mondiale de la santé (Oms) de placer le laboratoire mobile de l’IPD en tête de la riposte contre Ébola en Afrique de l’Ouest. Lequel coordonne les activités « Laboratoire » de la Guinée, de la Sierra Leone et du Liberia, les trois pays les plus touchés par l’épidémie. Une reconnaissance qui s’ajoute à l’érection de l’IPD au rang de centre-collaborateur de l’Oms, une sorte de certification. La référence la plus élevée que délivre l’organe onusien.
En rapportant cette intervention, prompte et efficace, de l’IPD dans la riposte contre Ébola, Dr Amadou Alpha Sall, directeur scientifique du centre, ne jubile pas. Il est resté impassible. A l’image du buste de Louis Pasteur qui trône au milieu de l’Institut. De par sa posture, droite, grave et pensive, il semble que le biologiste français interdit aux médecins, professeurs et autres scientifiques qui le croisent chaque matin, de s’enflammer.
Pourtant ce jeudi 18 septembre, la ministre de la Santé et de l’Action sociale, Awa Marie Coll Seck, est venue tresser des lauriers aux équipes de l’Institut Pasteur de Dakar, sis au 36 de l’avenue Pasteur, à côté de l’hôpital Le Dantec. Il y a des viennoiseries, du café, du thé, de l’eau gazeuse et du jus pour le buffet. Au cours d’une cérémonie d’une heure dans la bibliothèque du centre, Dr Seck a « tenu à remercier » ses hôtes et leur dire sa « fierté » pour leur mobilisation contre le virus Ébola.
Haute sécurité
Après la brève improvisation de la patronne de la tutelle, tout le monde se dirige au niveau du « laboratoire de Haute sécurité P3 Arbovirus et virus des fièvres hémorragiques ». Là où les prélèvements sur les cas suspects d’Ébola sont analysés. Là où le cas importé au Sénégal a été détecté.
Une journaliste refuse de suivre la délégation. Peur d’être contaminée ? Sans doute. Elle sera finalement de la partie, sans doute convaincue par le personnel de l’IPD qu’elle ne court aucun risque.
Le lieu est ultrasécurisé, assure le directeur scientifique du centre. Le personnel médical n’est jamais en contact direct avec le virus. À leur réception à l’IPD les échantillons sont gardés dans trois emballages, voire quatre. Quand bien même Ébola ne se transmet pas par l’air, le personnel médical qui manipule les échantillons ne respirent pas celui ambiant. Seul le personnel « strictement nécessaire » a accès au laboratoire. Depuis 21 ans qu’il y est en poste, Dr Amadou Alpha Sall assure que l’IPD n’a jamais connu de cas de contamination par accident.
Le bâtiment ne paie pas de mine. Aseptisé et d’un blanc éclatant, il est néanmoins fortement fissuré à plusieurs endroits. L’administrateur général de l’IPD, Pr André Spiegel, joue au chef de protocole aux côtés de la ministre de la Santé. Le directeur scientifique, au guide. Il est préposé aux explications de la procédure de manipulation des échantillons prélevés sur les cas suspects d’Ébola. De leur réception à la publication des résultats des analyses.
La visite est menée au de charge. Agenda serré de la ministre oblige. Dr Amadou Alpha Sall, qui « n’aime pas trop parler à la presse », fera une exception pour l’équipe de www.seneplus.com. Après avoir raccompagné Awa Marie Coll Seck et pris congé de ses collègues, il a accepté de nous recevoir dans son bureau pour revenir sur les différentes étapes de la manipulation des échantillons prélevés sur les cas suspects d’Ébola.
Lorsque les équipes du Samu municipal dépose des échantillons à l’IPD, une « équipe dédiée » de l’IPD récupère le colis qu’elle achemine au niveau du laboratoire de haute sécurité. L’échantillon est d’abord inactivé, pour s’assurer que le virus n’est plus en mesure d’infecter quelqu’un. Les équipes du Dr Sall passent à l’extraction de son ARM (matériel génétique). Les conclusions permettent de dire si le test est positif ou négatif. Le processus dure 6 à 7 heures et ne se pratique que le jour. Les prélèvements arrivés au Centre entre 14 heures et 15 heures n’étant traités que le lendemain.
Le résultat ainsi obtenu est transmis directement, « par le biais d’une procédure de communication spécifique », au ministère de la Santé. L’opération se termine par l’insémination des matières pathogènes.
À ce jour, l’IPD a traité 36 prélèvements au Sénégal. Un seul cas s’est révélé positif. Il s’agit de celui importé de Guinée et dont le porteur est déclaré guéri par les autorités sanitaires.
« Le combat continue »
L’Institut Pasteur de Dakar est au cœur de la lutte contre le virus. Il mène les activités « Laboratoire » et apporte son expertise au sein de différentes commissions du Comité national de gestion de l’épidémie Ébola. Il est impliqué dans les épidémies qui surviennent sur toute l’Afrique (dix par an en moyenne), selon Dr Amadou Alpha Sall dont les équipes se déplacent sur le continent en moyenne 3 à 4 fois par an « sous la casquette IPD-OMS ». C’est le cas actuellement en Guinée où l’IPD compte deux virologues et un laboratoire mobile.
L’Institut Pasteur de Dakar existe depuis 1924. C’est un pôle d’excellence de recherches, notamment sur la fièvre jaune. Après la signature en 1963 d’une convention le liant à l’État du Sénégal, il ne changera de statut qu’en 2010. Il devient la fondation Institut Pasteur de Dakar. Une entité privée d’utilité publique dont l’objectif est de contribuer à la santé publique en Afrique, en particulier au Sénégal.
Elle mène des activités de recherches, d’enseignements, de formation, d’expertise dans le domaine médicale, épidémiologique et biologique. Il produit des vaccins en interne, comme celui de la fièvre jaune. Toutes les recherches portent sur les maladies infectieuses qui sont une priorité de santé publique.
L’IPD élimine le virus contenu dans les prélèvements sur les malades, mais ne traite pas Ébola. Cette tâche est dévolue aux spécialistes du CHU de Fann. Lesquels, en agissant sur les symptômes, ont permis au seul malade du virus enregistré au Sénégal, de guérir.
L’IPD ne mène pas, non plus de travaux de recherche pour un vaccin contre Ébola. Par contre, informe son administrateur général, il participera « à l’évaluation de l’efficacité des deux vaccins » qui sont à l’étude et qui devraient être mis en circulation au mois de novembre prochain.
« Le Sénégal est prêt à faire face au virus Ébola, au regard de son dispositif », clame Pr André Spiegel. Qui, cependant, prévient qu’il faut «rester prudent parce qu’il peut toujours y avoir de cas importé. Il faut « peaufiner le dispositif », suggère-t-il.
Ce qui passera forcément, notamment, par l’amélioration des conditions de travail au niveau de l’IPD qui semble supporter de plus en plus difficilement le poids de l’âge, 90 ans. La bibliothèque est poussiéreuse, peu doté en manuels et pas du tout moderne ; compte tenu de la renommée et du rôle du centre dans la lutte contre les épidémies. Les murs sont décatis, craquelant à certains endroits. Les équipes sont en quête d’un mieux-être.
D’ailleurs dans son discours, la ministre de la Santé et de l’Action sociale a promis de marteler son plaidoyer au sommet de l’État pour que l’IPD puisse continuer à s’acquitter de sa mission avec des moyens conséquents. Une « doléance », en petit comité, du directeur des Ressources humaines du centre, rapportée à l’assistance par Awa Marie Coll Seck elle-même. Qui, en prenant congé de ses hôtes, a lancé : « Le combat continue ! ».
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